— Donne-moi la main ; on remonte.
Le vieil homme s’exécuta. Ils se mirent à gravir la pente ; ils progressaient régulièrement, la combinaison leur assurant des prises solides dans le sol meuble. Ils s’arrêtèrent devant la balustrade. L’aéronef emplissait tout le ciel nocturne au-dessus de leurs têtes et, en haut de la passerelle, l’entrée sous-ventrale déversait une lumière jaune qui éclairait faiblement les plus proches instruments de mesure taillés dans la pierre.
Il jeta un regard au groupe de touristes pendant que Beychaé reprenait son souffle. Ils se trouvaient de l’autre côté de l’observatoire ; le guide braquait une torche sur un bas-relief ancien. Zakalwe se releva.
— Allons-y, lança-t-il à Beychaé, qui se redressa à son tour.
Ils enjambèrent la balustrade, gagnèrent la passerelle et entrèrent dans l’aéronef. Beychaé ouvrait la marche ; Zakalwe gardait un œil sur son affichage rétroviseur, mais n’aurait su dire si un des touristes s’était aperçu de leur manœuvre.
— Combinaison ! Relevez la passerelle, ordonna-t-il tandis qu’ils débouchaient dans le vaste espace qui formait l’intérieur du vaisseau.
Il était luxueux dans le genre surchargé ; les parois en étaient tendues de tentures et le sol tapissé d’une épaisse moquette. Des canapés et de lourds fauteuils étaient posés çà et là dans la pièce, dont une extrémité comportait un autobar et l’autre un immense écran qui affichait pour l’instant les dernières lueurs du crépuscule.
La passerelle émit un tintement suivi d’un crissement en rentrant dans le ventre de l’appareil.
— Combinaison : rétractation des pieds, fit-il en rabattant sa visière vers l’arrière.
Heureusement, la combinaison fut assez futée pour comprendre de quels pieds il s’agissait. Zakalwe venait de se rendre compte qu’on pouvait très bien atteindre les pieds de l’appareil en sautant depuis la balustrade.
— Combinaison ! Réglage d’altitude : dix mètres vers le haut.
Le léger bourdonnement qui les entourait de toutes parts se modifia, puis revint à son niveau de départ. Zakalwe regarda Beychaé ôter sa lourde veste, puis inspecta l’intérieur de l’appareil ; l’effecteur affirmait qu’il n’y avait personne d’autre à bord, mais il préférait s’en assurer lui-même.
— Voyons… quelle était la prochaine étape de cet engin ? fit-il tandis que Beychaé prenait place sur un long sofa en soupirant et s’étirant de tous ses membres. Combinaison ! Prochaine destination de l’appareil ?
— Terminal Spatial de Gipline, lui répondit une voix nette et précise.
— Ça me semble parfait. Tu nous y emmènes, combinaison, et tu fais en sorte que notre vol paraisse tout ce qu’il y a de plus normal et légitime.
— Exécution en cours, répondit la combinaison. Atterrissage dans quarante minutes.
Le bruit de fond émis par l’appareil se modifia à nouveau et monta dans les aigus ; le plancher fut légèrement ébranlé. Tout au bout de la vaste cabine, l’écran montra leur propre véhicule en train de survoler des collines boisées tout en prenant de l’altitude.
Zakalwe fit un tour de l’appareil qui lui confirma l’absence de tout autre passager, puis revint s’asseoir à côté de Beychaé, auquel il trouva l’air très fatigué. La journée avait dû être bien longue, pour lui.
— Comment te sens-tu ?
— Je ne suis pas mécontent d’être assis, crois-moi, répondit Beychaé en repoussant ses bottes.
— Je vais t’apporter quelque chose à boire, Tsoldrin, reprit-il en enlevant son casque et en se dirigeant vers le bar. (Brusquement, une idée lui vint.) Combinaison ! Tu disposes d’un des numéros d’accès direct à Solotol ?
— Oui.
— Établis la connexion via l’aéronef. (Il se pencha pour examiner l’autobar.) Et ça, comment ça marche ?
— L’autobar est activé par la voix, et…
— Zakalwe ! (La voix de Sma couvrit brusquement celle de la combinaison et le fit sursauter. Il se redressa.) Mais où est-ce que… (Une pause, puis :) Ah ! Je vois que tu t’es trouvé un aéronef.
— En effet. (Il jeta un regard à Beychaé, qui l’observait.) Nous nous dirigeons vers le spatioport de Gipline. Et alors, qu’est-ce qui s’est passé ? On peut savoir où est le module ? Tu sais, Sma, tu m’as fait de la peine : tu ne m’as ni appelé, ni écrit, ni envoyé de fleurs…
— Beychaé va bien ? coupa Sma d’un ton pressant.
— Tsoldrin est en pleine forme, répondit-il en souriant à son compagnon. Combinaison ! Débrouille-toi pour que cet autobar nous confectionne deux boissons rafraîchissantes, mais néanmoins remontantes.
— S’il va bien, alors c’est parfait. (La jeune femme soupira et l’autobar émit une série de déclics suivis de gargouillements.) Et si nous n’avons pas pris contact avec toi, reprit-elle, c’est parce que cela les aurait menés jusqu’à vous ; l’accès confidentiel a été coupé par l’explosion de la capsule. Zakalwe, ce que tu as fait est ridicule ; si tu avais vu ce chaos une fois que la capsule a anéanti le camion, au Marché aux Fleurs, et que tu as descendu leur unité de combat ! Tu as eu de la chance de pouvoir t’enfuir aussi loin. Au fait, où est la capsule à l’heure qu’il est ?
— Restée à l’Observatoire de Srometren, répondit-il en regardant s’ouvrir un compartiment de l’auto-bar. (Il s’empara du plateau supportant leurs deux boissons et retourna s’asseoir en compagnie de Beychaé.) Sma, dis bonjour à Tsoldrin Beychaé, lança-t-il en tendant son verre à l’intéressé.
— Monsieur Beychaé ? fit la voix de Sma depuis l’intérieur de la combinaison.
— Allô ?
— Je suis contente de vous entendre. J’espère que M. Zakalwe vous traite avec tous les égards ? Vous vous sentez bien ?
— Fatigué, mais en bonne santé.
— M. Zakalwe aura sans doute eu le temps de vous informer de la gravité de la situation politique au sein de l’Amas.
— En effet. Je suis… j’envisage sérieusement d’agir comme vous le suggérez et, pour le moment, je ne ressens aucunement le besoin de revenir à Solotol.
— Je vois, fit Sma. Je vous en suis reconnaissante. Je suis certaine que M. Zakalwe fera tout ce qui est en son pouvoir pour garantir votre sécurité pendant que vous réfléchirez, n’est-ce pas, Chéradénine ?
— Mais naturellement, Diziet. Et maintenant, où est le module ?
— Là où il a toujours été : blotti sous les nuages de Soreraurth. Grâce à tes escapades à la surface, qui sont passées aussi inaperçues que l’explosion d’une nova, ils sont en état d’alerte maximum ; on ne peut pas bouger le petit doigt sans se faire immédiatement repérer, et si on nous voit nous mêler de cette affaire, nous pouvons être directement responsables du déclenchement des hostilités. Redis-moi avec précision où se trouve la capsule ; on va être obligés de faire un repérage passif depuis le microsatellite et de la faire exploser de là-haut pour ne rien laisser traîner derrière nous. Merde, tu as flanqué une de ces pagailles, Zakalwe !
— Navré. (Il but une gorgée.) La capsule se trouve sous un grand arbre à feuilles caduques de couleur jaune, entre quatre-vingts et… cent trente mètres au nord-est de l’observatoire. Ah ! Et le fusil à plasma est à environ… vingt à quarante mètres plein ouest.
— Tu ne l’as plus ? interrogea Sma d’un ton incrédule.
— Je l’ai jeté dans un accès de dépit, avoua-t-il en bâillant. Il s’est fait effectoriser.
— Je t’avais bien dit que sa place était dans un musée, intervint une autre voix.
— La ferme, Skaffen-Amtiskaw, fit-il. Alors, Sma, quelle est la suite des événements ?
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