— Le commandant syndic a peut-être reçu l’ordre de défendre ces vaisseaux et le portail de l’hypernet, lui aussi, de sorte qu’il se doit de réagir. »
Trop plausible pour n’être pas vrai : une mission impossible pour les forces chargées de la remplir, de sorte qu’une bonne partie serait immolée pour satisfaire les espérances insensées du haut commandement. Du temps de Geary, un siècle plus tôt, ces pertes simulées dans des batailles fictives n’arrivaient qu’au cours d’exercices d’entraînement. Mais, même à l’époque, il se demandait si, comme le lui affirmaient ses supérieurs, la situation serait effectivement différente dans un conflit réel ou si les mêmes schémas se reproduiraient en dépit d’un coût autrement élevé. À ce qu’il savait de cette guerre, à ce qu’il en avait vu de ses propres yeux, on n’optait que trop fréquemment pour la seconde branche de l’alternative. « Très bien, capitaine Desjani, assurons-nous que la flotte est convenablement disposée pour liquider ces deux cuirassés sans perdre pour autant un seul de ses vaisseaux.
— Capitaine Desjani ! la héla la vigie de l’ingénierie. Le niveau des réserves de cellules d’énergie de l’ Indomptable vient de passer au-dessous de cinquante pour cent. »
Desjani hocha la tête puis jeta un regard à Geary. « Le vieux rafiot n’a jamais été aussi bas. »
Le « vieux rafiot » en question n’avait quitté son dock d’armement que deux ans plus tôt, mais ça n’en donnait pas moins la chair de poule. S’ils ne réussissaient pas à piller ces bâtiments de radoub syndics, la flotte n’irait guère plus loin sur le chemin de l’espace de l’Alliance. Les vaisseaux ne carburent pas à la prière.
Quarante minutes depuis leur réémergence à Lakota. Jusque-là, tout se présentait remarquablement bien. Mais de quel délai disposeraient-ils encore avant que la puissante force syndic qui les traquait ne fît irruption derrière la flotte, résolue à lui interdire de s’échapper à nouveau ?
Les vaisseaux de la flotte de l’Alliance s’étaient déversés pêle-mêle du point de saut et avaient dépassé le sommet du champ de mines syndic pour accélérer ensuite sur des trajectoires individuelles. L’espace d’un instant, ce spectacle avait rappelé à Geary l’irruption chaotique de la flotte à Corvus, après qu’il en avait pris le commandement, quand elle avait rompu sauvagement la formation pour attaquer quelques malheureux appareils syndics. Mais, cette fois, les bâtiments de l’Alliance se pliaient aux ordres et ils ne s’éparpillaient en ordre dispersé, sur des trajectoires différentes et à des vélocités diverses, que pour lancer des attaques coordonnées sur tous les bâtiments syndics qu’ils pourraient atteindre. Les officiers qui n’appréciaient pas la stratégie de Geary n’y trouveraient rien à redire en l’occurrence, tant étaient nombreuses les cibles qui s’offraient à la flotte.
Celle-ci réagissant à ses ordres comme elle était censée le faire et aucune force syndic lancée à sa poursuite n’étant jusque-là apparue à l’arrière, Geary fut pris d’une de ces somnolences qu’engendrent les longues distances d’un système stellaire. Même si son vaisseau accélérait jusqu’à 0,1 c, il mettrait plus d’une heure et demie à couvrir les dix minutes-lumière séparant la flotte de la grosse formation syndic de vaisseaux de guerre endommagés et de bâtiments de radoub. Mais, si les Syndics s’éloignaient des vaisseaux de l’Alliance, ils étaient incapables, et de loin, de filer aussi vite que la flotte qui fondait sur eux.
« Délai estimé avant interception : 1,7 heure, grommela Desjani. Ils fuient, mais nous serons sur eux bien avant que ces deux cuirassés ne nous aient rejoints.
— Nous devrons néanmoins veiller à les stopper net avant qu’ils aient pu se frayer un chemin en force jusqu’à l’un de nos auxiliaires. » Sur l’écran de Geary, des trajectoires s’incurvaient à travers l’espace à mesure que les destroyers et les croiseurs légers de l’Alliance devançaient les unités combattantes les plus lourdes pour piquer, non seulement sur la grosse formation syndic, mais aussi sur des groupes plus restreints et des vaisseaux isolés. « Mettons qu’il nous faille deux heures pour arraisonner ces vaisseaux. Nous aurons de la chance si la flotte syndic n’apparaît pas derrière nous avant que nous ayons mené cette tâche à bien.
— Croyez-vous que d’autres renforts se soient pointés ici après notre départ ? s’enquit Desjani.
— Bonne question. Nous ne pouvons pas présumer que la flottille que nous avons croisée à Lakota lors de notre passage précédent reflète la réalité de ce dont ils disposent à présent, ici, ailleurs ou dans la flotte qui nous poursuit. Mais il semble que ceux qui sont ici soient disposés à se battre. » Geary remarqua que quelques vaisseaux endommagés qui, jusque-là, se dirigeaient séparément vers les planètes intérieures, altéraient leur course pour se retourner et viser individuellement un point de rendez-vous avec les deux cuirassés, dans l’intention manifeste de former un détachement improvisé. Il fit le décompte des vaisseaux impliqués, vérifia les progrès de leurs réparations et secoua la tête. Il savait ce qu’ils devaient ressentir, si inférieurs en nombre et mal préparés pour ce genre de combat fussent-ils. Sa propre flotte avait été confrontée à une situation identique lors de son dernier passage à Lakota.
Sur les quelque quatre-vingts cuirassés et croiseurs de combat syndics que la flotte avait affrontés à Lakota, six cuirassés et dix croiseurs au moins avaient été détruits pendant ces batailles. Les senseurs de l’Alliance avaient également confirmé l’anéantissement de vingt croiseurs lourds et de dizaines de croiseurs légers et d’avisos ennemis. Mais de nombreux vaisseaux syndics avaient aussi été sévèrement touchés, parfois par l ’Audacieux, le Rebelle et l’Infatigable quand ils s’étaient battus jusqu’à la mort. Ces bâtiments blessés étaient restés sur place quand le commandant en chef syndic avait lancé un fort détachement aux trousses d’une flotte de l’Alliance en débandade.
La grosse formation de vaisseaux syndics endommagés se composait de quatre cuirassés, pas moins de sept croiseurs de combat, ainsi que de trente croiseurs lourds. Un autre cuirassé, deux croiseurs de combat et trois croiseurs lourds, qui tous avaient subi de lourds dommages, s’efforçaient de s’en rapprocher, s’ajoutant aux deux cuirassés opérationnels de la flottille de surveillance. Une douzaine de croiseurs légers et d’avisos sortis en claudiquant des docks de radoub s’éparpillaient tout autour, dont certains tentaient de joindre leurs forces à la défense de leurs camarades impuissants.
Geary calcula vecteurs et minutage. Si tous ces vaisseaux parvenaient à opérer la jonction, ils formeraient une flottille relativement dangereuse en dépit de sa faiblesse. Mais, compte tenu des distances impliquées et des avaries aux unités de propulsion dont avaient souffert tant de ces bâtiments, les défenseurs syndics ne pourraient arriver que par vagues successives, passablement branlantes, de quelques unités, à moins de battre en retraite pour tenter de se regrouper loin de la flotte, au risque de permettre à l’Alliance de laminer sans encombre leur plus grosse formation. Ils gagneraient sans doute un peu de temps, mais pas assez pour sauver leur peau, à moins que la flottille qui poursuivait la flotte n’émergeât du point de saut plus tôt que Geary ne l’escomptait.
Deux remorqueurs halaient un peu plus tôt un croiseur lourd syndic criblé de tirs, à quelque trois minutes-lumière du point de saut. Le malheureux croiseur lourd avait sans doute été contraint de patienter le plus longuement en attendant l’arrivée d’un remorqueur. Et, maintenant qu’ils n’avaient plus aucun espoir d’échapper aux destroyers et aux croiseurs légers de l’Alliance, les équipages de ces deux remorqueurs abandonnaient leur vaisseau et des capsules de survie se déversaient frénétiquement de ces bâtiments lents et maladroits. Le croiseur lourd lui-même en vomit plusieurs, signalant que l’équipe de renflouage quittait elle aussi son bord.
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