Un ancien esclave se présenta, pour accuser certain noble des Zhak. L’homme avait récemment pris pour femme une affranchie qui avait été chaufferette du noble avant la chute de la cité. Le noble l’avait dépucelée, avait usé d’elle pour son plaisir et l’avait engrossée. Son nouvel époux demandait la castration du noble pour le crime de viol, et exigeait également une bourse d’or, afin de le dédommager d’élever le bâtard du noble comme son propre fils. Daenerys lui accorda l’or, mais pas la castration. « Lorsqu’il couchait avec elle, ta femme lui appartenait, pour qu’il en use à sa guise. Selon la loi, il n’y a pas eu viol. » La décision de Daenerys déplut à l’homme, elle le vit bien, mais si elle castrait tous les hommes qui avaient un jour forcé une esclave de couche, elle régnerait bientôt sur une cité d’eunuques.
Un jeune garçon se présenta, plus jeune que Daenerys, menu et balafré, vêtu d’un tokar gris délavé traînant une frange d’argent. Sa voix se brisa quand il raconta comment deux des esclaves de la maison de son père s’étaient révoltés la nuit où les portes avaient été enfoncées. L’un d’eux avait tué son père, l’autre son frère aîné. Les deux avaient violé sa mère avant de la tuer à son tour. Le jeune homme s’en était tiré sans rien d’autre que la cicatrice sur son visage, mais un des assassins occupait toujours la demeure de son père et l’autre s’était engagé dans les soldats de la reine, pour devenir un des Hommes de la Mère. Il exigeait que tous deux soient pendus.
Je suis reine d’une cité bâtie sur la poussière et la mort. Daenerys n’avait d’autre choix que de lui refuser. Elle avait décrété une amnistie générale pour tous les crimes commis durant le sac. Et elle ne voulait pas non plus punir des esclaves pour s’être soulevés contre leurs maîtres.
Lorsqu’elle le lui annonça, le garçon se rua sur elle, mais ses pieds se prirent dans son tokar et il vint s’étaler de tout son long sur le marbre mauve. Belwas le Fort fut dans l’instant sur lui. L’énorme eunuque brun le souleva brutalement d’une main et le secoua, comme un dogue le fait d’un rat. « Il suffit, Belwas, lança Daenerys. Lâche-le. » Au garçon, elle déclara : « Chéris ce tokar, car il t’a sauvé la vie. Tu n’es qu’un enfant, aussi oublierons-nous ce qui s’est passé ici. Tu devrais en faire autant. » Mais en s’en allant, le garçon jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et, en voyant son regard, Daenerys comprit : La Harpie a gagné un autre fils.
Quand midi arriva, Daenerys commençait à sentir le poids de sa couronne sur sa tête et la dureté du banc sous ses fesses. Face à tant de gens qui attendaient son bon plaisir, elle ne s’interrompit pas pour manger. Mais elle expédia Jhiqui aux cuisines pour qu’elle en rapporte un plateau de pain plat, d’olives, de figues et de fromage. Elle grignota tout en écoutant, et but du vin coupé d’eau. Les figues étaient bonnes, les olives meilleures encore, mais le vin lui laissa en bouche un arrière-goût âpre et métallique. Les grappes de petits raisins jaune pâle de ces régions produisaient un cru de qualité nettement inférieure. Nous n’aurons pas de marché, pour les vins. D’ailleurs, les Grands Maîtres avaient incendié les meilleures vignes en même temps que les oliviers.
Dans l’après-midi, un sculpteur se présenta, pour proposer de remplacer la tête de la grande harpie de bronze sur la Plaza de la Purification par une nouvelle, coulée à l’image de Daenerys. Celle-ci refusa, avec toute la courtoisie dont elle fut capable. On avait péché dans la Skahazadhan un brochet d’une taille sans précédent, et le pêcheur souhaitait en faire présent à la reine. Elle manifesta une admiration extravagante devant le poisson, récompensa le pêcheur par une bourse d’argent et envoya le brochet dans ses cuisines. Un dinandier lui avait confectionné une tenue d’anneaux polis à porter à la guerre. Elle l’accepta avec force remerciements ; la tenue était superbe à regarder, et tout ce cuivre doré devait miroiter joliment au soleil, mais si une véritable bataille menaçait, elle préférerait se parer d’acier. Même une jeune fille qui ne connaissait rien aux us et coutumes de la guerre savait cela.
Les sandales envoyées par le Roi Boucher devenaient trop inconfortables. Daenerys s’en débarrassa d’un coup de pied et resta assise, un pied replié sous elle et l’autre se balançant d’avant en arrière. Ce n’était pas une posture très royale, mais elle était lasse de se montrer royale. La couronne lui avait infligé une migraine et elle avait le postérieur tout ankylosé. « Ser Barristan, appela-t-elle, je sais quelle qualité est la plus nécessaire à un roi.
— Le courage, Votre Grâce ?
— Des fesses en fer, le taquina-t-elle. Je passe mon temps assise.
— Votre Grâce se charge de trop de choses. Vous devriez permettre à vos conseillers d’endosser une plus grande part de vos fardeaux.
— J’ai trop de conseillers et trop peu de coussins. » Daenerys se tourna vers Reznak. « Combien encore ?
— Vingt et trois, n’en déplaise à Votre Magnificence. Tous avec des revendications. » Le sénéchal consulta quelques papiers. « Un veau et trois chèvres. Le reste concernera des moutons ou des agneaux, à n’en pas douter.
— Vingt et trois. » Daenerys soupira. « Mes dragons ont pris un goût prodigieux pour le mouton depuis que nous avons commencé à payer les bergers pour leurs ravages. Est-ce que ces revendications ont été prouvées ?
— Certains ont apporté des os brûlés.
— Les hommes font du feu. Ils cuisent des moutons. Des os calcinés ne prouvent rien. Brun Ben prétend qu’il y a des loups rouges dans les collines à l’extérieur de la cité, et des chacals et des chiens sauvages. Devons-nous payer en bon argent chaque agneau qui s’égare entre Yunkaï et la Skahazadhan ?
— Non, Votre Magnificence. » Reznak s’inclina. « Dois-je chasser ces canailles, ou voulez-vous les faire fouetter ? »
Daenerys changea de position sur son banc. « Nul homme ne devrait craindre de venir me voir. » Certaines revendications étaient mensongères, elle n’en doutait pas, mais davantage étaient authentiques. Ses dragons avaient trop grossi pour se contenter de rats, de chats et de chiens. Plus ils mangent, et plus ils grandiront, l’avait mise en garde ser Barristan, et plus ils grandiront, plus ils mangeront. Drogon en particulier couvrait de vastes distances et pouvait aisément dévorer un mouton par jour. « Payez-leur la valeur de leurs bêtes, ordonna-t-elle à Reznak. Mais, dorénavant, les requérants devront se présenter au Temple des Grâces et prêter un serment sacré devant les dieux de Ghis.
— Il en sera ainsi. » Reznak se tourna vers les pétitionnaires. « Sa Magnificence la reine a consenti à dédommager chacun de vous pour les bêtes que vous avez perdues, leur annonça-t-il en ghiscari. Présentez-vous demain à mes commis et l’on vous paiera, en argent ou en troc, à votre convenance. »
La déclaration fut accueillie dans un silence morose. On aurait cru les voir plus heureux que cela, jugea Daenerys. Ils ont ce pour quoi ils sont venus. N’y a-t-il jamais moyen de satisfaire ces gens ?
Un homme s’attarda tandis que tous les autres sortaient à la file – un homme trapu au visage tanné, aux vêtements rudes. Ses cheveux formaient une calotte de crin raide, d’un rouge tirant sur le noir, coupée autour des oreilles, et dans une main il serrait un pauvre sac de jute. Il se tenait, tête basse, contemplant le sol de marbre comme s’il avait totalement oublié où il se trouvait. Et que veut-il, celui-ci ? s’étonna Daenerys.
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