Et destiné à le devenir plus encore, si j’accède à sa requête. Lorsque Daenerys avait fermé les arènes de combat de la cité, leur valeur s’était effondrée. Hizdahr zo Loraq avait alors saisi des deux mains toutes les parts disponibles ; désormais, il était propriétaire de la majorité des arènes de Meereen.
Le noble arborait des ailes de cheveux crépus rouge et noir qui jaillissaient de ses tempes. Elles donnaient l’impression que sa tête allait prendre son envol. Son visage allongé était rendu plus long encore par une barbe emprisonnée dans des anneaux d’or. Son tokar mauve se frangeait d’améthystes et de perles. « Votre Radieuse Majesté connaît sûrement la raison de ma présence ici.
— Assurément, ce doit être que vous n’avez d’autre but que de me harceler. Combien de fois vous ai-je déjà dit non ?
— Cinq fois, Votre Magnificence.
— En voilà désormais six. Je refuse de rouvrir les arènes de combat.
— Si Votre Majesté voulait écouter mes arguments…
— Je l’ai fait. Cinq fois. M’en apportez-vous de nouveaux ?
— Les anciens, reconnut Hizdahr, mais formulés sous de nouveaux aspects. Des mots charmants et courtois, plus propres à émouvoir une reine.
— C’est votre cause qui ne me convainc point, et non votre courtoisie. J’ai si souvent entendu vos raisons que je pourrais moi-même plaider votre cause. Puis-je ? » Daenerys se pencha en avant. « Les arènes de combat font partie de Meereen depuis la fondation de la cité. Les combats ont une nature profondément religieuse, un sacrifice de sang aux dieux de Ghis. L ’art de la mort de Ghis ne se borne pas à une simple boucherie mais constitue une démonstration de courage, d’habileté et de force particulièrement agréable à vos dieux. Les combattants victorieux sont choyés et acclamés, et les morts honorés, leur souvenir perpétué. En rouvrant les arènes, je démontrerai au peuple de Meereen que je respecte ses us et coutumes. La réputation des arènes s’étend loin de par le monde. Elles attirent du commerce à Meereen et emplissent les coffres de la ville avec de l’argent venu de l’autre bout de la terre. Tous les hommes ont du goût pour le sang, un goût que les arènes aident à étancher. De cette façon, elles contribuent à maintenir la paix à Meereen. Pour les criminels condamnés à périr sur le sable, les arènes représentent un jugement par le combat, la dernière chance pour un homme de prouver son innocence. » Elle se redressa, avec un mouvement de la tête. « Voilà. Qu’en dites-vous ?
— Votre Radieuse Majesté a plaidé ma cause bien mieux que je n’aurais espéré le faire moi-même. Je vois que votre éloquence n’a d’égale que votre beauté. Je suis pleinement convaincu. »
Elle ne put se retenir de rire. « Hélas, pas moi.
— Votre Magnificence, lui chuchota Reznak mo Reznak à l’oreille, il est de coutume pour la cité de prélever une dîme sur tous les profits des arènes de combat, après déduction des frais. On pourrait employer ces sommes à bien des nobles usages.
— On le pourrait… Mais si nous devions rouvrir les arènes, nous percevrions notre dîme avant déduction des frais. Je ne suis qu’une jeune fille, et je m’y connais fort peu sur de tels sujets, mais j’ai vécu assez longtemps chez Xaro Xhoan Daxos pour avoir retenu cela. Hizdahr, si vous pouviez déployer des armées comme vous le faites de vos arguments, vous seriez capable de conquérir le monde… Mais ma réponse reste non. Pour la sixième fois.
— La reine a parlé. » Il s’inclina de nouveau, aussi profondément qu’auparavant. Ses perles et ses améthystes cliquetèrent doucement contre le sol de marbre. Un homme fort souple, cet Hizdahr zo Loraq.
Il pourrait avoir du charme, sans cette coiffure ridicule. Reznak et la Grâce Verte pressaient Daenerys de prendre un noble meereenien pour époux, afin de réconcilier la cité avec son autorité. Hizdahr zo Loraq pourrait mériter une étude attentive. Plutôt lui que Skahaz. Le Crâne-ras avait offert de répudier sa femme pour elle, mais cette idée donnait des frissons à Daenerys. Hizdahr au moins savait sourire.
« Votre Magnificence, annonça Reznak en consultant sa liste, le noble Grazdan zo Galare souhaiterait s’adresser à vous. Voulez-vous l’écouter ?
— J’y aurais plaisir », répondit Daenerys en admirant les reflets de l’or et le lustre des perles vertes sur les sandales de Cleon tout en s’efforçant d’ignorer le pincement de ses orteils. Grazdan, l’avait-on prévenue, était un cousin de la Grâce Verte, dont elle avait trouvé le soutien inestimable. La prêtresse s’exprimait en faveur de la paix, de l’acceptation et du respect d’une autorité légitime. Je peux accorder à son cousin de l’écouter avec respect, quoi qu’il puisse désirer.
Ce qu’il désirait se révéla être de l’or. Daenerys avait refusé de dédommager aucun des Grands Maîtres pour la valeur de leurs esclaves, mais les Meereeniens ne cessaient de deviser de nouvelles méthodes pour lui soutirer de l’argent. Le noble Grazdan avait naguère possédé comme esclave une excellente tisserande, apparemment. On prisait fort les fruits de son ouvrage, tant à Meereen, qu’à la Nouvelle-Ghis, à Astapor et à Qarth. Quand cette femme était devenue vieille, Grazdan avait acheté une demi-douzaine de jeunes filles et ordonné à l’aïeule de leur enseigner les arcanes de son art. Depuis lors, la vieillarde était morte. Les jeunes filles, affranchies, avaient ouvert un atelier sur le port, près de la digue pour vendre leurs tissages. Grazdan zo Galare demandait à ce qu’on lui accorde une portion de leurs gains. « Elles me doivent leur talent, insista-t-il. Je les ai ramassées sur le billot des enchères pour les donner au métier à tisser. »
Daenerys écouta en silence, le visage immobile. Quand il eut terminé, elle s’enquit : « Comment se nommait la vieille tisserande ?
— L’esclave ? « C’était… Elza, je crois bien. Ou Ella. Voilà six ans qu’elle est morte. J’ai possédé tant d’esclaves, Votre Grâce.
— Disons Elza. Voici notre jugement. Des jeunes femmes, tu ne recevras rien. C’est Elza qui leur a enseigné le tissage, pas toi. De toi, les jeunes filles recevront un nouveau métier à tisser, le plus beau qui se puisse acheter. Cela, c’est pour avoir oublié le nom de la vieille femme. »
Reznak aurait ensuite appelé un autre tokar, mais Daenerys insista pour qu’il fasse venir un affranchi. Dès lors, elle alterna entre anciens maîtres et anciens esclaves. Tant et plus d’affaires présentées à elle portaient sur des réparations. Après sa chute, Meereen avait été sauvagement mise à sac. Les pyramides à degrés des puissants avaient été préservées des pires ravages, mais les plus humbles quartiers de la cité avaient été livrés à une orgie de pillage et de meurtre, quand les esclaves s’étaient soulevés et que les hordes affamées qui avaient suivi Daenerys depuis Yunkaï et Astapor avaient déferlé par les portes défoncées. Ses Immaculés avaient fini par rétablir l’ordre, mais le sac avait laissé dans son sillage une épidémie de problèmes. Et donc, ils venaient voir la reine.
Une riche femme se présenta, dont le mari et les enfants avaient péri en défendant les remparts de la cité. Durant le sac, elle avait fui avec son frère, effrayée. À son retour, elle avait retrouvé sa maison convertie en bordel. Les filles se pavanaient sous ses bijoux et ses vêtements. Elle voulait récupérer ses bijoux et sa demeure. « Qu’elles gardent les vêtements », concédait-elle. Daenerys lui accorda les premiers, mais jugea que la seconde avait été perdue quand elle l’avait abandonnée.
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