George Martin - La Bataille des rois

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Au Royaume des Sept Couronnes, rien ne va plus. La mort du roi Robert a clos une longue période d’été, de paix et d’apparente prospérité : le Trésor est au bord de la banqueroute, et trop nombreux sont les candidats prétendument légitimes au Trône de Fer : Stannis et Renly Baratheon le disputent à leur neveu Joffrey, tandis que Robb Stark, proclamé roi du Nord, s’efforce de venger son père naguère condamné à mort et exécuté sous couleur de trahison. Au fin fond de l’Orient, l’unique descendante des anciens rois targaryens médite sa revanche en élevant ses trois dragons… L’hiver vient, qui grouille de forces obscures, de mages et de morts-vivants, d’intrigants sournois prêts à tous les maléfices en vue de fins impénétrables.
Grâce à son pouvoir d’évocation sans égal, George R.R. Martin nous entraîne dans un fabuleux univers de complots, de vengeances et de combats, de poison et de magie. Ses personnages ont la force des plus grandes créations romanesques : une fois le livre refermé, quel lecteur pourra oublier Sansa, la princesse sentimentale qui se découvre le jouet d’intrigues machiavéliques, Arya, sa sœur casse-cou qui se déguise en garçon pour échapper à la mort, ou leur frère Bran, l’étrange infirme à demi loup-garou ?
Audacieux, imaginé avec un luxe inouï de détails, nourri par une invention débridée,
est un roman éblouissant. Il a la puissance des contes anciens qui hantent toutes les mémoires.

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— Son adversaire sera bourré de paille », dit Joff en se levant. Le lion rugissant gravé sur son corselet de plates doré semblait trahir ce qu’il attendait de la guerre : engouffrer tôt ou tard un chacun. Grand pour les treize ans qu’il fêtait en ce jour, il avait la blondeur et les prunelles vertes des Lannister.

« Sire », dit-elle en lui plongeant une révérence.

Ser Arys s’inclina. « Que Votre Majesté daigne me pardonner, je dois aller m’équiper. »

D’un geste bref, Joff le congédia, tout en étudiant Sansa des pieds à la tête. « Il me plaît que vous portiez mes pierres. »

Il avait donc décidé de jouer les galants, aujourd’hui. Elle répondit, soulagée : « Soyez remercié pour elles… et pour ces mots affectueux. Je souhaite un heureux anniversaire à Votre Majesté.

— Assise, commanda-t-il en désignant le siège vide à ses côtés. Savez-vous la nouvelle ? Le roi Gueux est mort.

— Qui donc ? » Une seconde, elle craignit qu’il ne s’agît de Robb.

« Viserys. Le dernier fils d’Aerys le Fol. Je n’étais pas né qu’il vagabondait déjà par les cités libres en s’intitulant roi. Mère dit que les Dothrakis l’ont finalement couronné. D’or en fusion. » Il s’esclaffa. « C’est comique, non ? Leur emblème était le dragon. Un peu comme si quelque loup tuait votre félon de frère. Peut-être en nourrirai-je des loups quand je l’aurai attrapé. A propos, vous ai-je dit que je compte le défier en combat singulier ?

— Je serais heureuse de voir cela, Sire. » Plus que tu ne crois. Malgré le ton froidement poli qu’elle avait adopté, les yeux de Joffrey s’étrécirent – se moquait-elle ? « Prendrez-vous part au tournoi ? » demanda-t-elle précipitamment.

Il se renfrogna. « Madame ma mère le déclare inconvenant, dans la mesure où il se donne en mon honneur. Sans quoi j’aurais raflé le prix. N’est-ce pas, Chien ? »

La bouche du Limier se tordit. « Contre cette racaille ? Pourquoi non ? »

Lui avait remporté le tournoi de Père, se souvint Sansa. « Jouterez-vous, messire ? s’enquit-elle.

— Vaut même pas la peine de m’armer, grommela-t-il avec un souverain mépris. Combat de moustiques. »

Le roi éclata de rire. « Farouche aboiement que celui de mon chien ! Peut-être devrais-je lui commander d’affronter le champion du jour. Un duel à mort…» C’était une friandise, pour Joff, que d’obliger les gens à se battre à mort.

« Mais tu ferais là piètre figure de chevalier. » Le Limier s’était toujours refusé à prononcer les vœux de chevalerie. Par haine de son frère qui l’avait fait, lui.

Une sonnerie de trompes éclata là-dessus. Le roi s’adossa confortablement et saisit la main de Sansa. Un geste qui, naguère encore, l’aurait chavirée, mais, depuis qu’au lieu de la grâce de Père il lui avait offert sa tête, il lui inspirait, sans qu’elle en montrât rien, la dernière des répugnances. Elle se contraignit à feindre une parfaite tranquillité.

« Ser Meryn Trant, de la Garde », appela le héraut.

Revêtu de plate blanche guillochée d’or, ser Meryn se présenta par le côté ouest de la cour. Il montait un destrier laiteux à longue crinière grise, et son manteau flottait derrière lui comme un champ de neige. Il portait une lance de douze pieds.

« Ser Hobber Redwyne, de La Treille », entonna le héraut. Ser Hobber entra au trot par l’est sur un étalon noir caparaçonné de bleu et de lie-de-vin. Sa lance était rayée des mêmes couleurs, et sur son écu se voyait le pampre de sa maison. Lui et son frère jumeau étaient, comme Sansa, les hôtes forcés de la reine. Aussi semblait-il peu probable que la fantaisie de prendre part au tournoi de Joffrey leur fut venu spontanément.

Au signal que donna le maître des cérémonies, les combattants couchèrent leurs lances en éperonnant leurs montures. Des acclamations clairsemées montèrent de l’assistance. Dans un grand fracas de bois et d’acier, la rencontre eut lieu au centre de l’arène. Les deux lances explosèrent simultanément en une volée d’échardes, et si le choc le fit chanceler, Redwyne parvint néanmoins à demeurer en selle. Retournant chacun à son point de départ, les deux chevaliers jetèrent leurs lances rompues et en reçurent de nouvelles des mains de leurs écuyers. Ser Horas Redwyne encouragea son frère à grands cris.

Ser Meryn n’en trouva pas moins le moyen, lors de la seconde passe, d’atteindre ser Hobber en pleine poitrine et de l’envoyer, bruyamment cabossé, mordre la poussière. Avec un juron, ser Horas se rua pour aider son frère à quitter la place.

« Piètre joute », décréta le roi.

« Ser Balon Swann de Pierheaume, de la garde Rouge », hélait déjà le héraut. De larges ailes blanches ornaient le casque de ser Balon, et sur son écu s’affrontaient des cygnes noirs et blancs. « Morros Slynt, fils aîné de lord Janos de Harrenhal. »

« Regardez-moi ce parvenu godiche ! » brocarda Joff assez haut pour que la moitié de l’assistance l’entendît. En vulgaire écuyer tout juste promu écuyer, pour ne rien gâter, Morros éprouvait quelque peine à se dépêtrer de sa lance et de son écu. Des armes nobles, apprécia Sansa, entre des mains de vilain, mais qui donc avait lordifié, nommé membre du Conseil et fieffé de Harrenhal Janos Slynt, jusque-là simple commandant du Guet, sinon Joff lui-même ?

Sur une armure noire niellée d’or, Morros arborait un manteau à carreaux noir et or, et son écu portait la pertuisane ensanglantée dont le père avait blasonné leur fraîche maison. Mais, au moment de pousser son cheval, il ignorait apparemment si fort à quoi servait un bouclier qu’un instant plus tard la pointe de ser Balon y donna de plein fouet. Morros en lâcha sa lance, gigota pour garder l’équilibre, le perdit, se prit un pied dans l’étrier durant sa chute, et sa monture emballée le traîna jusqu’en bout de lice, tête bondissant au sol, sous les huées narquoises de Joffrey. Epouvantée quant à elle, Sansa se demandait si les dieux n’exauçaient pas là ses prières vindicatives. Mais, lorsqu’on l’eut enfin dégagé, le garçon, tout sanglant qu’il était, vivait. « Nous nous sommes trompés d’adversaire pour toi, Tommen, commenta le roi. Le chevalier de paille joute mieux que celui-ci. »

Vint alors le tour de ser Horas Redwyne. Il s’en tira mieux que son frère, en l’emportant sur un chevalier chenu dont la monture était tapissée de griffons d’argent sur champ strié de bleu et blanc, mais que ces dehors superbes ne préservèrent pas d’une insigne médiocrité. La lèvre de Joff s’ourla de dégoût. « Pitoyable.

— Je vous avais prévenu, dit le Limier. Moustiques. »

Avec l’ennui croissant du roi croissait l’anxiété de Sansa. Baissant les yeux, elle décida de ne souffler mot, quoi qu’il advînt. Quand s’assombrissait l’humeur de Joffrey Baratheon, le moindre mot hasardeux risquait de déclencher sa rage.

« Lothor Brune, franc-coureur au service de lord Baelish, cria le héraut. Ser Dontos Hollard le Rouge. »

Petit homme armé de plate bosselée unie, le premier se présenta bien mais, du second, point trace. A la fin, toutefois, parut au trot un étalon bai brun juponné de soies cramoisies et écarlates, mais ser Dontos ne le montait pas, qui survint au bout d’un moment, jurant, titubant, sans autre appareil qu’un corselet de plates et un heaume à plumes. Il avait des jambes maigres et blêmes, et sa virilité ballotta de manière obscène quand il se jeta aux trousses de son cheval, parmi les injures et les rugissements de l’assistance. Le chevalier finit toutefois par empoigner la bride, mais lorsqu’il tenta d’enfourcher la bête, il était si ivre et elle dansait si bien que jamais son pied nu ne trouvait l’étrier.

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