George Martin - L'Invincible forteresse

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Bien que faits et signes ne cessent de confirmer la devise de Winterfell, « l’hiver vient », le royaume des Sept Couronnes affecte toujours d’ignorer la fin de l’été pour se consacrer plus commodément à ses querelles, vindictes, ambitions. Pendant que Rob Stark poursuit ses campagnes sanglantes dans l’ouest, que Port-Réal vit dans la hantise du siège imminent, que la guerre se répand jusqu’à Winterfell grâce aux menées des Greyjoy, eux-mêmes divisés, s’amoncellent au-delà du Mur des forces obscures et malfaisantes.
     Mais contrairement aux apparences, Bran, le jeune fils du défunt maître de Winterfell, n’est pas mort, pas plus que n’est anéantie l’indomptable forteresse, prête à renaître de ses cendres…

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— Quand ? demanda-t-elle. Quand partons-nous ?

— La nuit des noces de Joffrey. Après le banquet. Tout est réglé dans le moindre détail. Le Donjon Rouge pullulera d’étrangers. La moitié de la Cour sera ivre, et l’autre moitié secondera la parade nuptiale de Joffrey. On vous oubliera le temps de ce bref entracte, et nous aurons la pagaille pour allié.

— Mais le mariage n’aura lieu que dans une lune ! Margaery Tyrell se trouve encore à Hautjardin, et l’on vient tout juste de la mander…

— Vous attendez depuis si longtemps, patientez seulement un peu plus. Tenez, j’ai quelque chose pour vous. » Il fouilla dans sa bourse et finit par en extirper une toile d’araignée brillante qu’il laissa pendiller entre ses gros doigts.

C’était une résille d’argent si fine et si délicate qu’elle ne pesait pas plus qu’un soupçon de brise au creux de la paume. A chaque croisement des fils se devinaient d’infimes gemmes si sombres que le clair de lune s’y engloutissait. « Quelle espèce de pierres est-ce là ?

— Des améthystes noires d’Asshaï. La variété la plus rare. D’un violet véritable et abyssal au jour.

— C’est absolument ravissant, dit-elle, tout en pensant : C’est d’un bateau que j’ai besoin, pas d’une parure pour mes cheveux.

— Beaucoup plus ravissant que vous ne pensez, chère enfant. C’est magique, en fait, vous savez. C’est la justice que vous tenez là. C’est la vengeance de votre père. » Il se pencha contre elle et l’embrassa de nouveau. « C’est le chez moi que vous désiriez. »

THEON

Mestre Luwin vint le trouver dès que parurent sous les murs les premiers éclaireurs. « Messire prince, il faut vous rendre », annonça-t-il.

Theon considéra fixement les galettes d’avoine, le miel et le boudin rouge qu’on lui avait servis pour son déjeuner. Il émergeait nerfs à vif d’une nouvelle nuit d’insomnie, et la seule vue de la nourriture lui donnait des nausées. « Pas de réponse de mon oncle ?

— Aucune, répondit le mestre. Ni de votre père, à Pyk.

— Expédiez de nouveaux oiseaux.

— Inutile. Le temps qu’ils atteignent…

— Expédiez-en ! » Repoussant violemment le plateau d’un revers de coude, il rejeta ses couvertures et jaillit du lit de Ned Stark nu et furibond. « Ou c’est ma mort que vous voulez ? Est-ce ça, Luwin ? La vérité, maintenant ! »

Le petit homme gris demeura impavide. « Mon ordre sert.

— Certes, mais qui ?

— Le royaume, dit mestre Luwin, et Winterfell. Jadis, Theon, je vous ai enseigné à lire, écrire, compter, l’histoire et le métier militaire. Et je vous aurais enseigné bien davantage si vous aviez manifesté la moindre envie d’apprendre. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que je vous aime de tout mon cœur, mais je ne saurais non plus vous haïr. Et vous haïrais-je que, tant que vous tenez Winterfell, mes vœux m’obligent en conscience à vous conseiller. Aussi vous conseillé-je à présent de vous rendre. »

Theon se baissa pour ramasser un manteau qui traînait, roulé en boule, dans la jonchée, secoua les brindilles qui le hérissaient, s’en drapa les épaules. Du feu. Je veux du feu et des vêtements propres. Où est Wex ? Je ne vais quand même pas descendre dans la tombe en tenue crasseuse !

« Vous n’avez aucune chance de tenir, ici, poursuivit le mestre. Si votre seigneur père avait eu l’intention de vous porter secours, ce serait déjà chose faite. Il ne s’intéresse qu’au Neck. C’est parmi les ruines de Moat Cailin que se livrera la bataille pour le Nord.

— Il se peut, répliqua Theon. Mais, tant que je tiens Winterfell, ser Rodrik et les bannerets Stark ne peuvent marcher vers le sud et tomber sur les arrières de mon oncle. » Je ne suis pas si ignare en matière de stratégie que tu te figures, vieillard. « J’ai suffisamment de provisions pour soutenir un an de siège, le cas échéant.

— Il n’y aura pas de siège. Peut-être passeront-ils un ou deux jours à fabriquer des échelles et fixer des grappins en bout de cordes, mais ils ne tarderont pas à submerger vos murs sous cent assauts simultanés. Même en admettant que vous parveniez à garder le donjon quelque temps, le château lui-même sera tombé au bout d’une heure. Vous feriez mieux d’ouvrir vos portes en demandant…

— … miséricorde ? Je sais quel genre de miséricorde ils me réservent.

— Il existe une voie.

— Je suis un Fer-né, lui rappela Theon, j’ai ma propre voie. Quel choix me laissent-ils ? Non, ne répondez pas, j’ai ma claque de vos conseils. Allez expédier vos oiseaux, c’est un ordre, et je le maintiens ; et dites à Lorren que je veux le voir. Wex de même. J’entends que ma maille soit impeccable et que ma garnison s’assemble dans la cour. »

Il crut un instant que le mestre allait le défier, mais celui-ci finit par s’incliner roidement. « A vos ordres. »

Cela produisit un rassemblement dérisoire, tant la cour était vaste et limité le nombre des Fer-nés. « Les gens du Nord seront sur nous d’ici ce soir, leur annonça-t-il. Ser Rodrik Cassel et tous les vassaux qu’a mobilisés son appel. Je ne les esquiverai pas. J’ai pris ce château, j’entends le garder et vivre ou mourir prince de Winterfell. Mais je n’oblige personne à mourir avec moi. Si vous partez sur l’heure, avant que ne survienne le gros des forces de ser Rodrik, vous avez encore une chance de vous en tirer. » Il dégaina sa longue épée pour tracer un trait dans la poussière. « Qui veut rester se battre, un pas en avant. »

Aucun ne pipa. Tous demeurèrent aussi immobiles que s’ils s’étaient, sous leur maille et leurs fourrures et leur cuir bouilli, changés en statues de pierre. Certains échangèrent un regard furtif. Urzen battait mollement la semelle. Dykk Harloi graillonna un glaviot. Un doigt de vent fourragea la longue tignasse blonde d’Endehar.

Theon eut l’impression de couler à pic. Pourquoi m’étonner ? songea-t-il mornement. Son père l’avait abandonné, tout comme ses oncles et sa sœur et ce maudit salopard de Schlingue. Pourquoi diable ses hommes auraient-ils dû lui manifester davantage de fidélité ? Il n’y avait là rien à redire, et rien là contre à faire. Il se voyait simplement réduit à jouer les piquets sous les grands murs gris, sous le blanc minéral du ciel, et à attendre, attendre, attendre, l’épée au poing…

Wex fut le premier à franchir la ligne. Trois pas vifs le portèrent aux côtés de Theon, pantelant. Mortifié par l’attitude du gamin, Lorren le Noir suivit, l’œil mauvais. « Qui d’autre ? » lança-t-il. Rolf le Rouge s’avança. Puis Kromm. Werlag. Tymor et ses frères. Ulf la Teigne. Harrag le Voleur-de-moutons. Quatre Harloi, deux Botley. Kenned la Baleine enfin. Dix-sept en tout et pour tout.

Urzen était de ceux qui n’avaient pas bougé. Et Stygg. Et les dix amenés par Asha de Motte-la-Forêt. « Partez, alors, dit Theon. Courez rejoindre ma sœur. Vous recevrez d’elle un chaleureux accueil, je suis sûr. »

A défaut de mieux, Stygg eut la bonne grâce de se montrer honteux. Les autres se retirèrent sans un mot. Theon se tourna vers les dix-sept restants. « Au rempart. Si les dieux consentent à nous épargner, je me rappellerai chacun d’entre vous. »

Ses compagnons partis, Lorren le Noir s’attarda. « Les gens du château se retourneront contre nous dès le début des combats.

— Je sais. Que devrais-je faire, à ton avis ?

— Les foutre dehors. Tous. »

Theon secoua la tête. « La hart est prête ?

— Oui. Comptez vous en servir ?

— Tu vois mieux ?

— Ouais. Je prends ma hache, je me plante sur le pont-levis, et qu’ils viennent se frotter à moi. Un par un, deux, trois, m’est égal. Pas un ne passera la douve tant que j’aurai un souffle d’air. »

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