En la maudissant dans sa barbe, l’homme mit un genou en terre pour s’emparer de la pièce, et sa nuque se retrouva juste à la bonne hauteur. Arya dégaina, et la dague ouvrit le gosier d’une caresse aussi satinée que soierie d’été. Le sang chaud lui inonda brusquement les mains, le type essaya de crier, mais il ne vomit qu’une gorgée de sang.
« Valar morghulis », chuchota-t-elle comme il se mourait.
Quand il eut cessé de bouger, elle ramassa la pièce. Hors les murs, un loup étourdit Harrenhal d’un long hurlement. Elle releva la barre, la rabattit sur le côté, ouvrit le lourd vantail de chêne. La pluie tombait à verse lorsque Gendry et Tourte arrivèrent avec les chevaux. « Tu l’as tué ! s’étrangla Tourte.
— Tu croyais que je ferais quoi ? » Elle avait les doigts tout empoissés de sang, et l’odeur en rendait nerveuse sa jument. Bah , songea-t-elle en se mettant en selle, la pluie va les nettoyer.
Un océan de pierreries, de fourrures et de tissus somptueux. Les dames et les seigneurs qui emplissaient le fond de la salle du Trône ou en tapissaient les bas-côtés sous les grandes baies se bousculaient comme des poissardes à la criée.
La cour de Joffrey rivalisait de frais vestimentaires pour l’occasion. Jalabhar Xho s’était tellement emplumé, et emplumé de manière si faramineuse, qu’il paraissait prêt à prendre son essor. Pour peu qu’il dodelinât sous sa couronne de cristal, le Grand Septon vous fulgurait mille arcs-en-ciel. A la table du Conseil flamboyaient les brocarts d’or à crevés de velours grenat de la reine Cersei tout contre les moires clinquantes et les chichis lilas de Varys. Ser Dontos et Lunarion s’étaient vu accoutrer de bariolures neuves et rutilaient comme des matins printaniers. Des atours pareils de satin turquoise rehaussé de vair enjolivaient jusqu’à lady Tanda et ses filles, tout comme lord Gyles le mouchoir incarnat de soie bouillonné de dentelle d’or où enfouir ses quintes. Et, planant là-dessus sous le faix de sa couronne d’or parmi les barbelures agressives du trône de Fer, Sa Majesté Joffrey, tout lampas écarlate et taffetas noir constellé de rubis.
Se faufilant dans une cohue d’écuyers, chevaliers, bourgeois cossus, Sansa parvenait enfin sur le devant de la tribune quand une sonnerie de trompettes annonça l’entrée de lord Tywin Lannister.
Celui-ci remonta toute l’allée centrale sur son destrier pour ne démonter qu’au pied du trône. Jamais Sansa n’avait vu d’armure comparable à celle qu’il portait : toute d’acier rouge bruni, tout incrustée de filigranes et de rinceaux d’or, elle arborait des rondelles en forme d’échappées solaires ; le lion rugissant qui faîtait le heaume avait des yeux de rubis ; à chaque épaule, une lionne agrafait un manteau de brocart d’or si vaste qu’il drapait en plombant tout l’arrière-train du cheval. Lequel n’était pas moins doré sur tranche et bardé de soieries écarlates frappées au lion Lannister.
L’effet produit par le sire de Castral Roc en cet appareil était si sensationnel que sa monture estomaqua l’assistance en égrenant un chapelet de crottin juste au bas du trône. Ce qui contraignit non seulement Joffrey à un détour précautionneux pour descendre accoler son grand-père et le proclamer Sauveur de la Ville mais Sansa à dissimuler derrière sa main un rictus nerveux.
Joff prit sa mine la plus théâtrale pour prier lord Tywin d’assumer la gouvernance du royaume, charge que lord Tywin accepta d’un ton solennel « jusqu’à la majorité de Votre Majesté ». Des écuyers désarmèrent alors celui-ci qui, sitôt le col ceint par le roi lui-même avec la chaîne de la Main, s’en fut prendre place à la table du Conseil auprès de sa fille. Une fois remmené le destrier puis évacué son hommage, la cérémonie se poursuivit sur un simple signe de Cersei.
Chacun des héros qui franchissait les immenses portes de chêne se vit dès lors saluer par une fanfare éclatante. Les hérauts proclamaient hautement, que nul n’en ignore, ses patronyme et prouesses, et gentes dames autant que nobles chevaliers l’ovationnaient avec une ferveur digne de coupe-jarrets massés pour un combat de coqs. En premier lieu fut ainsi honoré Mace Tyrell, sire de Hautjardin, dont la vigueur ancienne s’était singulièrement empâtée, mais qui n’en conservait pas moins une belle prestance. Le suivaient ses deux fils, ser Loras et ser Garlan le Preux. Tous trois étaient vêtus de même, velours vert soutaché de martre.
A nouveau, le roi descendit – grâce insigne – de son perchoir pour les accueillir et leur ceindre au col une chaîne de roses en or massif jaune qui comportait en pendentif un disque d’or au lion Lannister scintillant de rubis. « Les roses, soutien du lion, déclara Joffrey, comme la puissance de Hautjardin soutient le royaume. S’il est la moindre faveur que vous désiriez requérir de moi, requérez, et vous l’obtiendrez. »
Nous y voici, songea Sansa.
« Sire, dit ser Loras, daignez m’accorder l’honneur de servir dans votre Garde, afin de défendre votre personne contre ses ennemis. »
Joffrey releva le chevalier des Fleurs et le baisa sur la joue. « C’est chose faite, frère. »
Lord Tyrell s’inclina. « Il n’est plus grand plaisir que de servir le bon plaisir du roi. Si je n’étais jugé par trop indigne de me joindre à votre Conseil, vous n’auriez pas de plus loyal et fidèle serviteur que moi. »
Joff lui posa la main sur l’épaule et le baisa lorsqu’il se fut relevé. « Votre désir est exaucé. »
De cinq ans l’aîné, ser Garlan était une espèce de réplique agrandie, barbue de son fameux frère. Avec plus de coffre et de carrure, il ne laissait pas d’être assez avenant, mais ses traits n’avaient pas tant de finesse ni tant d’éclat. « Sire, déclara-t-il comme le roi l’abordait, j’ai une jeune sœur, Margaery, qui fait les délices de notre maison. Elle était, ainsi que vous le savez, l’épouse de Renly Baratheon, mais son départ pour la guerre empêcha celui-ci de consommer le mariage, de sorte qu’elle a conservé son innocence. Or, à force de s’entendre vanter votre sagesse, votre bravoure et vos manières chevaleresques, Margaery s’est éprise à distance de votre personne. Je vous prie de la faire venir et de daigner prendre sa main pour unir à jamais à la vôtre notre maison. »
Le roi Joffrey joua les étonnés. « Malgré la réputation que s’est acquise la beauté de votre sœur dans les Sept Couronnes, ser Garlan, je me trouve engagé à une autre. Un roi se doit de tenir parole. »
La reine Cersei se dressa dans des froufrous soyeux. « Votre Conseil restreint, Sire, opine qu’il ne serait point judicieux ni séant à vous d’épouser non seulement la fille d’un homme exécuté pour forfaiture mais la sœur d’un homme toujours en rébellion ouverte contre le trône. Aussi conjure-t-il Votre Majesté de renoncer, pour le bien du royaume, à Sansa Stark. Lady Margaery vous sera une reine incomparablement mieux assortie. »
Telle une bande de toutous savants, dames et seigneurs de l’assistance clabaudèrent instantanément leur enthousiasme.
« Margaery ! » jappaient-ils à l’envi, « Donnez-nous Margaery ! » et : « Point de reine félonne ! Tyrell ! Tyrell ! »
Joffrey leva la main. « Je serais trop heureux de combler les vœux de mon peuple, Mère, mais j’ai juré une foi que je ne saurais violer. »
Le Grand Septon s’avança. « Si les fiançailles sont effectivement sacrées, Sire, au regard des dieux, il n’en est pas moins vrai que le roi Robert, bénie soit sa mémoire, avait conclu cette alliance avant que les Stark de Winterfell ne révélassent leur duplicité. Leurs crimes contre le royaume vous ont délié de tous les engagements que vous aviez pu prendre précédemment. D’un point de vue strictement religieux, le contrat de mariage entre votre auguste personne et Sansa Stark est d’évidence nul et non avenu. »
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