— Non, dit Brynden, plus abrupt que jamais.
— Raison de plus pour l’épargner et pour le garder comme otage », s’empressa d’insister Edmure.
Robb tendit les deux mains vers la lourde couronne de bronze et de fer, la souleva, se la reposa sur la tête et, soudain, fut roi de nouveau. « La mort pour lord Rickard.
— Mais pourquoi ? demanda Edmure. Vous disiez vous-même…
— Je sais ce que j’ai dit, Oncle. Cela ne change rien à ce que je dois. » Les épées de la couronne tranchaient, noires et austères, sur son front. « J’aurais aussi bien pu tuer moi-même Willem et Tion sur le champ de bataille, mais il n’y a pas eu de bataille, en l’espèce. Ils dormaient dans leur lit, nus et désarmés, dans une cellule où je les avais confinés. Rickard Karstark a assassiné plus qu’un Lannister et un Frey. Il a assassiné mon honneur. Je lui réglerai son compte à l’aube. »
Quand, gris et froid, se leva le jour, la tempête s’était réduite à une pluie tenace qui détrempait toutes choses, mais le bois sacré n’en était pas moins bondé. Gens du Nord et seigneurs riverains, vilains et grands, chevaliers, reîtres et garçons d’écurie se pressaient au milieu des arbres pour assister au dernier acte du sombre ballet de la nuit. Sur l’ordre d’Edmure, on avait dressé un billot de bourreau devant l’arbre-cœur. Feuilles et pluie tombaient à flots sur l’assistance quand les hommes du Lard-Jon firent fendre la presse à lord Rickard Karstark, mains toujours liées. En bout de corde au créneau des hautes murailles de Vivesaigues ballaient déjà ses propres hommes, faces noircissantes et battues d’averse.
Long-Lou se tenait auprès du billot, mais Robb lui retira la hache des mains et lui commanda de s’écarter. « C’est mon affaire, dit-il. Il meurt sur mon ordre. Il doit mourir de ma main. »
Lord Karstark inclina la tête avec roideur. « De cela je vous remercie. Mais de rien d’autre. » Il avait revêtu pour mourir un long surcot de laine noire frappé à l’échappée blanche de sa maison. « Le sang des Premiers Hommes coule autant dans mes veines que dans les tiennes, p’tit gars. Tu ferais bien de t’en souvenir. C’est en l’honneur de ton grand-père qu’on m’a nommé Rickard. J’ai brandi mes bannières contre le roi Aerys en faveur de ton père et pour toi contre le roi Joffrey. A Croixbœuf comme au Bois-aux-Murmures et lors de la bataille des Camps, je chevauchais à tes côtés, et le Trident m’a vu près de lord Eddard. Nous sommes parents, Stark et Karstark.
— Cette parenté ne vous a pas empêché de me trahir, dit Robb. Et ce n’est pas elle qui va vous sauver. A genoux, messire. »
Lord Rickard n’avait exprimé là que la stricte vérité, Catelyn le savait. La lignée des Karstark remontait à Karlon Stark, cadet de Winterfell qui, pour avoir écrasé la rébellion d’un vassal, un millier d’années plus tôt, s’était vu doter de fiefs en récompense de sa vaillance. D’abord nommé Karl’s Hold, Fort-Karl, le château qu’il s’était bâti n’avait pas tardé à s’appeler Karhold et, au cours des siècles, les Stark de Karhold avaient fini par devenir Karstark.
« Qu’ils soient anciens, qu’ils soient nouveaux, n’importe aux dieux, reprit Karstark, est entre tous maudit qui tue sa parenté.
— A genoux, traître, répéta Robb. Ou faut-il que je vous fasse plaquer la tête de vive force sur le billot ? »
Lord Karstark s’agenouilla. « Les dieux te jugeront comme tu m’as jugé. » Il posa sa tête sur le billot.
« Rickard Karstark, sire de Karhold. » A deux mains, Robb souleva la lourde hache. « En ce lieu, sous le regard des dieux et celui des hommes, je vous déclare coupable de meurtre et de haute trahison. En mon nom propre, je vous condamne. De ma propre main, je prends votre vie. Avez-vous un dernier mot à dire ?
— Tue-moi, et sois maudit. Tu n’es pas mon roi. »
La hache s’abattit à grand fracas. Pesante et bien affûtée, il lui suffit d’un coup pour donner la mort, mais il lui en fallut trois pour séparer la tête du tronc, et, la chose faite, vif et mort étaient tous deux couverts de sang. Rejetant la hache avec dégoût, Robb, sans un mot, se tourna vers l’arbre-cœur et se tint là, debout, tremblant, les mains à demi crispées, les joues inondées de pluie. Les dieux lui pardonnent , pria Catelyn en silence. Il n’est qu’un gamin, et il n’avait pas le choix.
Elle ne le revit pas de la journée. La pluie persista toute la matinée, cinglant les rivières et noyant de mares et de boue les pelouses du bois sacré. Le Silure assembla une centaine d’hommes et s’élança aux trousses des Karstark, mais nul ne comptait qu’il en ramène un bien grand nombre. « Je prie seulement de n’avoir pas à les pendre », dit-il au moment de partir. Quand il l’eut laissée, Catelyn se replia dans la loggia de lord Hoster, afin de s’installer une fois de plus à son chevet.
« Le terme approche, la prévint mestre Vyman, cet après-midi-là. Ses ultimes forces l’abandonnent, bien qu’il tente encore de lutter.
— Il a toujours été un lutteur, dit-elle. Un doux opiniâtre.
— Oui, acquiesça le mestre, mais il ne saurait remporter cette bataille-ci. Le temps est venu pour lui de déposer épée et bouclier. Le temps de se rendre. »
Se rendre, songea-t-elle, faire la paix. Etait-ce de Père que parlait le mestre, ou de Robb ?
Sur le crépuscule, la jeune reine vint lui faire une visite. Elle entra timidement. « Lady Catelyn, je serais confuse de vous déranger…
— Vous êtes la très bienvenue, Votre Grâce. » Elle s’était mise à coudre, reposa l’aiguille.
« S’il vous plaît, appelez-moi Jeyne. Je ne me trouve rien d’une Grâce.
— Vous en êtes une, néanmoins. Je vous en prie, venez vous asseoir, Votre Grâce.
— Jeyne. » Elle prit place au coin du feu et lissa ses jupes d’un air anxieux.
« Comme il vous plaira. En quoi puis-je vous servir, Jeyne ?
— C’est Robb, dit la petite. Il est si malheureux, si… si colère et inconsolable. Je ne sais que faire.
— C’est une dure épreuve que de prendre la vie d’un homme.
— Je sais. Je lui ai dit, il devrait se servir d’un bourreau. Quand lord Tywin envoie un homme à la mort, il ne fait que donner l’ordre. C’est plus facile de cette façon, vous ne trouvez pas ?
— Si, dit Catelyn, seulement, messire mon époux a enseigné à ses fils que tuer ne devrait jamais être facile.
— Ah. » Jeyne s’humecta les lèvres. « Robb n’a rien pris de tout le jour. Je lui avais fait servir par Rollam un bon repas, des côtes de sanglier, un ragoût d’oignons, de la bière, et il n’y a même pas touché. Il a passé toute sa matinée à écrire une lettre et m’a priée de ne pas le déranger, et puis, sa lettre terminée, il l’a brûlée. Maintenant, il est plongé dans des cartes. Je lui ai demandé ce qu’il y cherchait, mais il ne m’a pas répondu. Je crois qu’il ne m’a seulement pas entendue. Il n’a même pas voulu se changer. Il a porté des habits trempés tout le jour, et pleins de sang. Je veux être une bonne épouse pour lui, je le veux vraiment, mais je ne sais comment l’aider. Le remonter, le réconforter. Je ne sais pas ce qu’il lui faut. S’il vous plaît, madame, vous êtes sa mère, dites-moi ce que je devrais faire. »
Dites-moi ce que je devrais faire. Catelyn aurait volontiers posé la même question, si son Père s’était trouvé en état d’écouter des questions. Mais lord Hoster l’avait déjà quittée, ou peu s’en fallait. Et Ned, son Ned à elle. Bran et Rickon aussi, et Mère, et Brandon, voilà si longtemps. Seul lui restait Robb, Robb et l’espoir de plus en plus ténu de retrouver ses filles.
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