L’arbre ne fit rien du tout.
— Je ne saurais tolérer une telle outrecuidance ! reprit le vieillard, frappant l’arbre avec son bâton. Déplace-toi ou je vais te… je vais te…
— Enfermez-moi ce vieux fou, brailla Toede en galopant vers le vieillard.
— Ne me touche pas ! cria le vieux. Arrête plutôt cet arbre ! Obstruer le soleil ! Ça, c’est un délit !
Sans ménagement, les draconiens jetèrent le vieillard dans la cage des compagnons.
— Tu n’as rien, vieil homme ? s’enquit Lunedor. Je suis prêtresse de…
— Mishakal ! s’exclama-t-il en apercevant l’amulette autour du cou de la jeune femme. Très intéressant, ma… Mais comme tu fais jeune pour tes trois cents ans !
— Comment sais-tu… ? As-tu reconnu… ? bredouilla-t-elle, confuse. Je n’ai pas trois cents ans…
— Bien sûr que non, ma dame. Je suis désolé. Il ne faut jamais révéler l’âge des femmes en public. Pardonne-moi, je ne recommencerai plus. Ce sera notre petit secret. (Tass et Tika gloussèrent tout bas. Le regard du vieillard fit le tour de la cage.) C’est gentil à vous de me faire profiter du voyage. La route pour Qualinost est longue.
— Nous n’allons pas à Qualinost, coupa Gilthanas. Nous sommes prisonniers. On nous conduit dans les mines de Pax Tharkas.
— Ah bon ? Un autre convoi devrait bientôt passer par là, alors… J’aurais juré que c’était celui-ci.
— Quel est ton nom, vieil homme ? demanda Tika.
— Mon nom ? répéta-t-il, hésitant. Fizban ? Oui, c’est ça. Fizban.
— Fizban ! répéta Tass en pouffant de rire. Ce n’est pas un nom !
— Vraiment ? Quel dommage ! Il me plaisait beaucoup.
— C’est un très beau nom, dit Tika en jetant un regard noir au kender.
Brusquement, Raistlin fut pris d’une incoercible quinte de toux. Il semblait brûlant de fièvre et à bout de forces, car Lunedor n’était pas en mesure de guérir le feu intérieur qui le consumait.
— Il faudrait qu’il puisse boire sa mixture ! dit Caramon, angoissé. Je ne l’ai jamais vu dans un tel état. Si ces salauds ne veulent pas entendre raison, je vais leur fendre le crâne, tous autant qu’ils sont !
— Nous leur parlerons dès que la caravane s’arrêtera, promit Tanis.
— Excusez-moi, vous permettez ? interrogea le vieillard.
Il imposa les mains sur la tête de Raistlin et murmura quelques mots. Caramon attrapa au vol « Fistandan…» et «… pas le moment ». C’était certainement une prière de guérison, comme celles de Lunedor, mais Raistlin y réagissait ! De façon bizarre, d’ailleurs. Il leva sur le vieillard des yeux pleins de terreur et l’agrippa par le bras. Un instant, il sembla qu’il le reconnût. Puis le vieillard lui passa la main devant les yeux, qui se troublèrent.
— Coucou ! dit-il, rayonnant. Mon nom est… Fizban.
— Tu es… un magicien ! s’exclama Raistlin, qui ne toussait plus.
— Oui, c’est possible, je crois bien.
— Je le suis aussi, dit Raistlin en essayant de se redresser.
— Pas possible ! C’est extraordinaire ! fit le vieillard en éclatant de rire à cette nouvelle, qui semblait beaucoup l’amuser. Krynn est petit ! Il faut que je t’enseigne quelques-uns de mes tours. J’en connais un… Il n’est pas mal. Une boule de feu… Voyons voir, comment ça marche, déjà ?
Le vieillard poursuivit son babillage jusqu’à ce que la caravane s’arrête, dans le soleil du petit matin.
3
Sauvés ! Le tour de magie de Fizban.
Raistlin souffrait physiquement, Sturm moralement, mais celui qui pâtissait le plus de la captivité était Tass.
La torture la plus cruelle qu’on pût infliger à un kender était de l’enfermer. La torture, pour les autres, consistait à être avec le kender. Après avoir enduré trois jours ses incessants bavardages, ses frasques et ses plaisanteries, Flint était prêt à l’attacher aux barreaux pour avoir une heure de tranquillité. Lunedor elle-même perdit contenance et faillit le gifler. Tanis envoya le kender en pénitence à l’autre bout de la cage. De sa vie, Tass ne s’était autant ennuyé.
L’arrivée de Fizban avait fourni une heureuse diversion, mais l’intérêt du kender s’était vite dissipé quand Tanis avait exigé qu’il lui restitue ses sacs. Au comble du désespoir, le kender jeta son dévolu sur un nouveau centre d’intérêt : Sestun, un nain des ravins.
Les compagnons le traitaient avec une sorte de pitié amusée. Homme à tout faire des gobelins, le nain des ravins était aussi leur souffre-douleur. En plus des basses besognes, exécutées sous les lazzis, il passait ses nuits à porter des messages. Les draconiens s’amusaient à le jeter par terre plusieurs fois par jour, et les hobgobelins lui volaient ses rations. Même les élans lui donnaient des coups de pieds. Pourtant le nain ne se départait jamais d’une farouche attitude de défi, ce qui lui attira la sympathie des compagnons.
Sestun approcha de la charrette des prisonniers. Les jambes pendant hors de la cage, le nez entre les barreaux, Tass lui fit signe, et entreprit séance tenante de lui raconter une de ses histoires. Derrière eux, les hobgobelins cherchaient un endroit propice pour bivouaquer. Tout en babillant, le kender remarqua sans le laisser paraître que Gilthanas faisait semblant de dormir. L’elfe, qui ne se sentait pas observé, scrutait les alentours comme s’il cherchait quelque chose. L’air dubitatif, Sestun écouta jusqu’au bout l’histoire de Tass.
— Bientôt faire jour ! constata-t-il pour tout commentaire, dans le langage laconique des nains des ravins. Beaucoup à faire.
Le soleil allait se lever sur leur quatrième journée de captivité. Tass entendit le cri d’un oiseau dans le bois. D’autres cris lui firent écho. Le kender trouva ce ramage bien étrange. Mais il ne connaissait rien à ce pays du sud. La caravane avait franchi le Fleuve de Blanche Écume par le seul pont praticable pour se rendre à Pax Tharkas et dans les fameuses mines de Thadarkan. La vieille cité elfe de Qualinost se trouvait quelque part au cœur de cette forêt.
Tout près de lui, le kender entendit de nouveau siffler un oiseau. Il se retourna. Gilthanas, les doigts dans la bouche, avait imité le roucoulis d’un volatile.
— Tanis ! s’écria Tass.
Tout le monde se réveilla.
— Bon, dit Fizban d’une voix ensommeillée, les elfes sont là.
Le bruissement de centaines d’oiseaux s’envolant à tire-d’ailes acheva de tirer les compagnons du sommeil.
Le chariot qui les précédait se renversa. Leur cocher tira sur les rênes pour empêcher l’élan de foncer dans l’obstacle, et réussit à le lui faire contourner. Soudain le cocher poussa un cri et lâcha les rênes. Les compagnons aperçurent la flèche empennée fichée dans sa nuque. Pris sous une nuée de projectiles, les élans s’immobilisèrent. Les compagnons s’aplatirent sur le sol de la cage.
— Que se passe-t-il ? demanda Tanis à Gilthanas.
L’œil braqué sur la forêt, l’elfe cria :
— Porthios !
— Tanis, peux-tu me dire ce qu’il se passe ?
C’était les premiers mots que Sturm prononçait depuis quatre jours.
— Porthios est le frère de Gilthanas. Je pense qu’il vient à son secours !
— Cela ne servira pas à grand-chose s’ils nous massacrent, répliqua Sturm en évitant une flèche. Je croyais que les elfes étaient de bons tireurs !
— Couchez-vous ! ordonna Gilthanas. Ce tir est destiné à couvrir notre fuite. C’est une embuscade pour nous permettre de nous enfuir ; nos gens n’ont pas les moyens d’attaquer. Tenez-vous prêts, il va falloir courir vers le bois, et vite !
— Mais comment sortirons-nous de ces cages ? demanda Sturm.
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