Pourquoi devons-nous étudier cette région, à présent qu’elle n’est plus importante pour l’ingénieur des télécommunications ? Eh bien, en dehors de sa beauté, de son étrangeté et de son intérêt scientifique, son comportement est étroitement lié à celui du soleil – le maître de notre destinée. Nous savons maintenant que le soleil n’est pas l’étoile stable, de bonne conduite que nos ancêtres croyaient ; il subit des fluctuations aussi bien à courte qu’à longue période. En ce moment, il continue de sortir du prétendu « Minimum de Maunder » de 1645 à 1715 ; il en résulte que le climat est maintenant plus doux qu’à toute autre époque depuis le haut Moyen Âge. Mais combien de temps durera cette courbe ascendante ? Plus important encore, quand viendra l’inévitable courbe descendante, quel effet cela aura-t-il sur le climat, la météorologie et tous les aspects de la civilisation humaine – non seulement sur cette planète mais aussi sur les autres ? Car elles sont toutes les enfants du soleil…
Quelques théories très conjecturales suggèrent que le soleil entre à présent dans une période d’instabilité qui pourrait causer une nouvelle période glaciaire plus universelle qu’aucune dans le passé. Si cela est vrai, nous avons besoin de toutes les bribes d’information que nous pouvons glaner pour nous y préparer. Même un préavis d’un siècle pourrait ne pas être assez long.
L’ionosphère a contribué à notre venue au monde ; elle a déclenché la révolution des télécommunications ; elle peut encore déterminer une grande part de notre avenir. C’est pourquoi nous devons continuer l’étude de cette vaste et turbulente arène de forces solaires et électriques – ce lieu mystérieux de tempêtes silencieuses.
La dernière fois que Morgan avait vu Dev, son neveu était encore un enfant. À présent, c’était un garçon d’une douzaine d’années et, à ce train-là, il serait un homme à leur prochaine rencontre.
L’ingénieur se sentait un peu coupable. Les liens familiaux s’étaient affaiblis dans les deux derniers siècles : sa sœur et lui n’avaient pas grand-chose en commun sauf l’accident génétique de leur naissance. Bien qu’ils échangeassent des vœux et des banalités peut-être une demi-douzaine de fois par an et fussent dans les meilleurs termes, il n’était même pas sûr d’où et quand ils s’étaient rencontrés en dernier lieu.
Pourtant, lorsqu’il rencontra ce garçon ardent et intelligent (pas le moins du monde impressionné, semblait-il, par son fameux oncle), Morgan eut le sentiment vague d’un certain regret mêlé d’amertume. Il n’avait pas de fils pour perpétuer son nom de famille ; depuis longtemps, il avait fait ce choix entre le travail et la vie qui peut rarement être évité aux plus hauts niveaux de l’entreprise humaine. À trois occasions – non compris sa liaison avec Ingrid – il aurait pu prendre une voie différente mais le hasard et l’ambition l’en avaient détourné.
Il connaissait les conditions du choix qu’il avait fait et il les acceptait ; il était trop tard à présent pour grogner sur les détails. N’importe quel idiot pouvait jouer avec la génétique et la majorité des gens le faisaient. Mais que l’histoire le reconnaisse ou non, peu d’hommes auraient pu accomplir ce qu’il avait fait – et était sur le point de faire.
Au cours des trois dernières heures, Dev avait vu bien plus du terminus terrestre qu’aucune des personnalités importantes ordinaires. Il avait pénétré dans la montagne au niveau du sol, par la galerie presque terminée d’accès à la station sud et on lui avait fait faire un tour rapide des installations d’accueil des passagers et de manutention des bagages, du centre de régulation et du poste de triage où les capsules seraient aiguillées des voies est et ouest descendantes vers les voies nord et sud ascendantes. Il avait regardé dans la cheminée verticale de cinq kilomètres qui ressemblait, comme l’avaient déjà dit d’une voix assourdie plusieurs centaines de reporters, à l’âme d’un canon braqué sur les étoiles – à l’intérieur de laquelle monteraient et descendraient les voies de circulation. Et ses questions avaient épuisé trois guides avant que le dernier fût bien content de le ramener à son oncle.
— Le voilà, Van, dit Warren Kingsley lorsqu’ils arrivèrent via l’ascenseur ultra-rapide, au sommet tronqué de la montagne. Emmène-le avant qu’il ne me prenne ma place.
— Je ne savais pas que tu t’intéressais tellement à l’art des constructions, Dev.
Le jeune homme prit un air offensé et un peu sur-pris.
— Ne vous souvenez-vous donc pas, mon oncle, de la boîte numéro 12 de Meccamax que vous m’avez offerte pour mon dixième anniversaire ?
— Bien sûr, bien sûr. Je plaisantais. (Et pour dire la vérité, il n’avait pas réellement oublié ce jeu de construction : il lui était seulement sorti de l’esprit sur le moment.) Tu n’as pas froid ici ?
Contrairement aux adultes bien couverts, le garçon avait dédaigné le léger manteau thermique habituel.
— Non, ça va très bien. Quel est ce petit avion à réaction ? Quand allez-vous ouvrir la cheminée ? Puis-je toucher les rubans ?
— Vous voyez ce que je veux dire ? fit Kingsley avec un petit rire étouffé.
— Un : c’est l’avion spécial du Sheik Abdullah – son fils Feisal est en train de visiter. Deux : nous garderons ce couvercle en place jusqu’à ce que la Tour atteigne la montagne et entre dans la cheminée – nous en avons besoin comme plate-forme de travail et il empêche la pluie d’entrer. Trois : tu peux toucher les rubans si tu veux. Ne cours pas, c’est mauvais pour toi à cette altitude !
— Si vous aviez douze ans, je doute que vous ne couriez pas, dit Kingsley en considérant le dos de Dev qui s’éloignait rapidement.
Sans se hâter, ils le rejoignirent à l’ancrage de la face est.
Le garçon regardait avec des yeux écarquillés, comme tant de milliers d’autres l’avaient fait avant lui, l’étroite bande gris mat qui s’élevait du sol et montait tout droit dans le ciel. Dev la suivit du regard toujours plus haut jusqu’à ce que sa tête ne pût se pencher davantage en arrière. Morgan et Kingsley ne l’imitèrent pas quoique la tentation fût encore forte malgré tant d’années. Ils ne l’avertirent pas non plus que quelques visiteurs étaient tellement pris de vertige qu’ils s’effondraient et étaient incapables de marcher sans assistance pour s’en aller.
Le garçon était résistant : il resta le regard intensément fixé sur le zénith durant près d’une minute, comme s’il espérait voir les milliers d’hommes et les millions de tonnes de matériau en équilibre là-haut par delà le bleu profond du ciel. Puis il ferma les yeux avec une grimace, secoua la tête et regarda ses pieds un instant, comme pour se rassurer qu’il était bien toujours sur la terre solide et sûre.
Il tendit une main prudente et caressa le ruban étroit qui reliait la planète à son nouveau satellite.
— Qu’arriverait-il, demanda-t-il, s’il se cassait ?
C’était une question classique ; la plupart des gens étaient surpris de la réponse.
— Pas grand-chose. À ce stade, le ruban est pratiquement sans tension. Si on le coupait, il resterait là à pendre, en ondulant dans la brise.
Kingsley eut une moue dégoûtée ; Morgan et lui savaient naturellement que c’était une sur-simplification abusive. À ce moment, chacun des quatre rubans était sous une tension d’environ une centaine de tonnes – mais c’était négligeable comparé aux charges prévues qu’ils éprouveraient lorsque le système serait en fonctionnement et qu’ils seraient intégrés dans la structure de la Tour. Cela ne servait à rien, cependant, d’embrouiller le garçon avec de pareils détails.
Читать дальше