Tony bondit à travers la pièce.
— Enfin ! s’écria-t-il avec excitation. Un vrai travail ! Mais…
Il s’arrêta net, atterré. Claire, avec une longueur d’avance sur lui, sentit son visage se figer.
— Mais comment est-ce que Claire pourra devenir enceinte le mois prochain, si je suis au beau milieu de l’espace ?
— Le D rMinchenko congèlera quelques échantillons de sperme avant que tu partes, suggéra Claire. N’est-ce pas ?
— Euh…
Le D rYei toussota.
— Ce n’est pas exactement ce qui a été envisagé. Le programme a prévu que Rudy, du service d’installations microsystèmes, sera le père de ton second enfant.
— Oh non ! se récria Claire, horrifiée.
Le D rYei les regarda à tour de rôle et prit un air autoritaire.
— Rudy est un garçon charmant. Il sera très peiné par ta réaction, je suis sûre. Et puis, ce n’est pas une surprise pour toi, Claire. Après toutes les discussions que nous avons eues…
— Oui, mais… j’espérais, puisque Tony et moi nous nous entendons si bien, qu’ils nous laisseraient… j’allais demander au D rCay, justement…
— Qui n’est plus parmi nous, soupira Yei. Ainsi vous avez été assez imprudents pour vous attacher l’un à l’autre. Je vous avais pourtant avertis de ne pas le faire.
Claire baissa la tête. Le visage de Tony s’était assombri.
— Claire, Tony… je sais que cela peut vous paraître dur. Mais vous faites partie de la première génération, ce qui est très lourd à porter. Vous êtes la première étape d’un plan très ambitieux pour GalacTech qui se prolongera sur de nombreuses générations. La moindre de vos actions peut produire un effet boule de neige dont nous sommes incapables de mesurer la portée… Écoutez, ce n’est tout de même pas un drame pour vous deux. Claire a une longue carrière de reproductrice devant elle. Vous vous retrouverez sans doute un jour ou l’autre ensemble. Quant à toi, Tony… Comme je te l’ai dit tout à l’heure, tu es classé parmi les meilleurs sujets. GalacTech a sûrement de grands projets pour toi. Tu auras l’occasion de connaître d’autres filles et…
— Je ne veux pas d’autres filles, l’interrompit Tony d’un ton dur. Je veux Claire, c’est tout.
Le D rYei marqua une légère pause avant de reprendre :
— Je n’étais pas censée te le dire tout de suite, mais Sinda, du service de nutrition, sera ta prochaine compagne. J’ai toujours pensé qu’elle était particulièrement jolie.
— J’ai l’impression d’entendre une scie électrique, quand elle rit.
Le D rYei émit un soupir d’impatience.
— Nous en rediscuterons plus tard. Pour l’instant, il faut que je parle à Claire.
Elle le poussa vers la porte qu’elle ferma sur lui sans tenir compte de son expression contrariée et des protestations qu’il marmonnait entre ses dents.
Se retournant vers Claire, le D rYei la considéra avec un regard sévère.
— Claire… toi et Tony avez-vous continué à avoir des relations sexuelles après que tu es devenue enceinte ?
— Le D rMinchenko nous a dit que ça ne ferait pas de mal au bébé.
— Le D rMinchenko était donc au courant ?
— Je ne sais pas… Je le lui ai simplement demandé, comme ça, d’une façon générale…
Claire baissa les yeux sur ses mains, culpabilisée.
— Il aurait fallu qu’on s’arrête ?
— Mais bien sûr !
— Vous ne nous l’avez pas précisé.
— Vous ne l’avez pas demandé non plus. Maintenant que j’y pense, vous avez même fait en sorte de ne jamais mettre le sujet sur le tapis. Oh !… comment est-ce que j’ai pu être aussi aveugle ?
— Mais les gravs le font tout le temps, eux, se défendit Claire.
— Comment es-tu au courant de ce que font les gravs, toi ?
— Silver dit que M. Van Atta…
Elle s’interrompit net, n’en éveillant que davantage la curiosité du D rYei. Claire était au supplice.
— Que sais-tu de Silver et de M. Van Atta ?
— Eh bien… tout, je suppose… On voulait tous savoir comment ça se passait, pour les gravs.
Elle secoua la tête.
— Ils sont vraiment bizarres, ces hommes gravs, ajouta-t-elle.
Après un instant de stupéfaction, le D rYei enfouit son visage entre ses mains et pouffa malgré elle.
— Si je comprends bien, Silver vous a fourni des informations détaillées ?
— Oui, confirma Claire avec candeur.
Yei reprit son sérieux ; une étrange lueur, mi-amusée, mi-irritée, s’alluma dans ses yeux.
— Je suppose que… il vaudrait mieux ne pas aller le crier sur les toits. M. Van Atta n’apprécierait pas trop d’apprendre que ses… activités intimes sont commentées derrière son dos.
— D’accord, acquiesça Claire sans conviction. Mais pourtant… vous vouliez toujours savoir comment ça se passait pour Tony et moi.
— C’est différent. Nous essayions de vous aider, alors.
— Eh bien… ? On essaie de s’entraider aussi, avec Silver.
— Vous n’êtes pas censés le faire. Du moins de cette manière.
Un sourire atténua quelque peu la vivacité de sa réponse.
— Combien d’entre vous, à propos, ont eu droit aux confidences de Silver ? Toi et Tony, c’est tout ?
— Et mes amies du dortoir. J’y emmène Andy pendant mes heures de repos pour qu’elles puissent jouer avec lui. Je dormais en face de Silver avant que je déménage. C’est ma meilleure amie. Elle est si… courageuse. Elle fait des choses que je n’oserais jamais faire, moi…
— Huit filles, murmura Yei. Doux Jésus… J’espère qu’aucune d’entre elles n’a eu envie de mettre cet enseignement en pratique… ?
Claire, ne souhaitant pas mentir, garda le silence. Mais son expression suffit à la psychologue pour comprendre. Celle-ci grimaça, puis pivota sur elle-même.
— Il faut que j’aie une petite discussion avec Silver. J’aurais dû le faire dès que j’ai eu des soupçons… mais je pensais que Van Atta aurait eu l’intelligence de ne pas faire passer son plaisir avant le reste… Faut-il que j’aie été naïve… Claire, il est indispensable que nous reparlions de ta nouvelle grossesse. Je suis ici pour faire en sorte que tout se passe bien et dans les meilleures conditions possibles, d’accord ? Tu sais que je t’aiderai, n’est-ce pas ? Je reviendrai te voir bientôt.
Yei décrocha Andy de son cou auquel il se cramponnait pour mordiller ses anneaux et le rendit à Claire avant de sortir.
Le cœur lourd, Claire serra son fils contre sa poitrine.
Elle s’était pourtant donné tant de mal pour être irréprochable…
Des rais de lumière tranchaient étrangement l’ombre épaisse du vide. Les yeux plissés, Leo suivait avec approbation les efforts de deux étudiants caparaçonnés dans leurs scaphandres pressurisés tandis qu’ils fixaient l’anneau de verrouillage au bout de son tube flexible. Leurs huit mains gantées travaillaient avec célérité.
— Maintenant, Pramod, Bobbi, rapportez le soudeur et l’enregistreur et remettez-les à leur position de départ. Julian, tu lances le programme d’alignement laser optique et tu les branches dessus.
Une dizaine de silhouettes à quatre bras, leurs nom et numéro imprimés en caractères bien visibles sur le front de leur casque et dans le dos de leur scaphandre argenté, flottaient autour d’eux, rebondissant les uns contre les autres alors qu’ils s’efforçaient de suivre ce qui se passait.
— À présent, dans ces soudures à densité de haute énergie et de pénétration partielle, expliqua Leo dans le micro incorporé de son casque, il est hors de question de laisser le faisceau laser atteindre un stade de pénétration régulière. Ce rayon peut traverser cinquante centimètres d’acier. Même un vaisseau à pression nucléaire ou une chambre à propulsion peuvent perdre leur intégrité structurelle. Bon, donc le pulseur que Pramod est en train de vérifier…
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