George Effinger - Privé de désert

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Privé de désert: краткое содержание, описание и аннотация

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Marîd Audran, détective privé « câblé », entame sa traversée du désert. Naguère sans le sou mais libre dans le dédale du Boudayin, ce ghetto arabe d’une Terre future balkanisée, le voilà devenu flic côté jour et, côté nuit, bras droit du « parrain » local, « Papa » Friedlander bey.
Résultat: bonjour l’opulence… mais adieu l’indépendance… et les vieux amis du Boudayin.
Et puis voilà Marîd désormais affublé d’une vieille maman pas très présentable : un souci de plus pour qui a déjà fort à faire entre les meurtres sadiques, les trafics d’enfants et de modules électroniques, et les manœuvres suspectes d’un parrain rival de « Papa »… Faisant suite à Gravité à la manque, mais pouvant se lire indépendamment, une nouvelle incursion dans l’orient déglingué d’Effinger, la paix d’Allah soit sur lui.

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J’allais lui répondre : « Bien sûr, sauf qu’aucune n’est ma mère. » Mais je me retins. Il aurait également bondi sur ce sentiment et d’ailleurs, même pour moi, l’argument commençait à me paraître idiot. Ma colère s’était émoussée. Je crois surtout que ça m’embêtait considérablement d’apprendre ces choses après toutes ces années. C’était dur à accepter. Je veux dire, ça m’obligeait à présent à oublier presque tout ce que j’avais cru savoir sur mon propre compte. Et pour commencer, j’avais toujours été fier de me sentir mi-berbère mi-français. Je m’habillais à l’européenne la plupart du temps – bottes, jeans et chemisette. Je suppose que je m’étais toujours senti légèrement supérieur aux Arabes parmi lesquels je vivais. À présent, j’allais devoir me faire à l’idée que je pouvais fort bien être mi-berbère mi-arabe.

Un martèlement rauque d’hispo-roc mi-XXIe siècle s’insinua dans ma rêverie. Un vague groupe oublié était en train de psalmodier je ne sais trop quoi. Je n’ai jamais pu me résoudre à apprendre tel ou tel dialecte espagnol et je ne possède pas le moindre papie de cette langue. Si jamais je me retrouve dans une réunion d’industriels colombiens, ils ont intérêt à connaître l’arabe. J’ai certes un faible pour eux à cause de leur production de narcotique, mais en dehors de ça, je ne vois pas à quoi sert l’Amérique du Sud. Le monde n’a pas franchement besoin d’une Inde hispanophone affamée et surpeuplée dans l’hémisphère occidental. Leur mère patrie l’Espagne a essayé l’islam, les Espagnols ont dit poliment non merci, et aussitôt après leur caractère national s’est volatilisé dans le néant : le châtiment d’Allah.

« J’ai horreur de cette chanson », dit Indihar. Chiri lui avait servi un verre de sharâb, la boisson que le club réserve aux filles comme elle qui s’abstiennent d’alcool. Ça a exactement la couleur du champagne. Chiri remplit toujours de glaçons un verre à cocktail avant de servir quelques doigts de soda – ça devrait fournir au client un tuyau : normalement, on ne met pas de glace dans le champagne. Mais les glaçons prennent le volume qu’aurait occupé sinon une denrée plus coûteuse. Le pigeon en sera de huit kiams plus le pourboire de Chiri. Le club refile trois billets à la fille qui a décroché la consommation. Ça motive le personnel à les descendre à une vitesse supersonique. L’excuse habituelle est que ça donne soif de tournoyer comme un derviche sous les vivats de la foule en délire.

Chiri se retourna pour observer Janelle qui en était à sa dernière chanson. Janelle ne danse pas vraiment, elle tressaute : elle fait cinq ou six pas jusqu’au bout de la scène, attend le prochain coup de pédale de la grosse caisse, puis effectue une espèce de tressaillement du torse et des épaules qu’elle doit s’imaginer torridement sexy. Elle a tort. Puis elle s’en retourne en tressautant de l’autre côté de la scène et réitère son numéro spasmodique. Et pendant tout ce temps-là, elle chante en play-back, non pas les paroles, mais la ligne mélodique du clavier. Janelle, la femme-synthétiseur. Janelle la femme synthétique serait plus proche de la vérité. Elle porte un mamie tous les jours mais il faut lui causer pour découvrir lequel. Un jour, elle sera douce et érotique (Honey Pilar), le lendemain, froide et vulgaire (Brigitte Stahlhelm). Mais quelle que soit la personnalité sur laquelle elle se branche, elle reste logée dans le même corps de réfugiée nigérienne ; un corps non modifié, qu’elle s’imagine également très sexy, deuxième erreur de sa part. Les autres filles ne se lient pas trop avec elle. Elles sont persuadées qu’elle leur pique des billets dans leur sac aux vestiaires, et elles n’aiment pas sa façon de fondre sur leurs clients quand elles doivent se lever pour aller danser. Un de ces jours, les flics vont retrouver Janelle au fond d’une rue sombre, la tronche en purée et la moitié des os en petits morceaux. En attendant, elle tressaute en mesure aux cris déchirés des claviers et des synthés-guitares.

Je me faisais chier comme un rat mort. J’éclusai le fond de mon verre. Chiri me regarda, haussa un sourcil. « Non merci, Chiri. Mais faut que j’y aille. »

Indihar se pencha pour m’embrasser la joue. « Allez, joue pas les étrangers maintenant que t’es devenu un cochon de flic fasciste.

— D’ac, dis-je en quittant mon tabouret.

— Tu salueras Papa pour moi, lança Chiri.

— Qu’est-ce qui te fait croire que je retourne là-bas ? »

Elle me servit son sourire aiguisé. « C’est l’heure pour les gentils garçons et les gentilles filles de se pointer à leur vieille kibanda.

— Ouais, bon. » Je laissai ma monnaie en pâture à son tiroir-caisse affamé et retournai dehors.

Je descendis la Rue en direction de la porte orientale voûtée. Au-delà du Boudayin, sur le large boulevard il - Djamil, quelques taxis guettaient le client. J’avisai mon vieil ami Bill et grimpai à l’arrière de sa tire. « Conduis-moi chez Papa, Bill.

— Ah ouais ? Tu causes comme si on se connaissait. On s’est déjà vu ? »

Bill ne me reconnaissait pas parce qu’il est perpétuellement cramé. En guise de cranio-câblage ou de biomodifs esthétiques, il s’est fait installer, à la place d’un des poumons, un gros sac qui lui instille en permanence dans la circulation sanguine une dose calibrée d’hallucinogène hyperspeedé. Bill a parfois des éclairs de lucidité mais il a appris à les ignorer, ou du moins à continuer à fonctionner jusqu’à ce qu’ils disparaissent et le laissent à nouveau voir des lézards pourpres. J’ai déjà essayé la drogue qu’il se perfuse jour et nuit ; c’est de la R.P.M., et bien que j’aie pas mal d’expérience en matière de drogue de toute origine, je me suis bien promis de ne plus jamais y toucher. Bill, pour sa part, jure ses grands dieux qu’elle lui a ouvert les yeux sur la nature cachée du monde réel. Je veux bien le croire ; il est capable de voir des démons de feu, moi pas. Le seul problème avec la drogue – et Bill sera le premier à l’admettre – c’est qu’il est totalement infoutu de se rappeler un truc d’une minute sur l’autre.

Il n’était donc pas surprenant qu’il ne me reconnaisse pas. Je suis toujours obligé de reprendre cent fois de suite la même conversation avec lui. « C’est moi, Bill. Marîd. Je veux que tu me conduises chez Friedlander bey. »

Il me lorgna en se retournant : « Peux pas dire que j’t’aie déjà vu, mec.

— Ben si. Et pas qu’une fois.

— Facile à dire, pour toi », marmonna-t-il. Il mit le contact et démarra. Nous étions orientés dans la mauvaise direction. « Où t’as dit qu’tu voulais aller, déjà ?

— Chez Papa.

— Ah ouais, c’est juste. J’ai cet afrit qui me tient compagnie aujourd’hui et il a pas arrêté de l’après-midi de me balancer des braises sur les genoux. Ça fait une sacrée distraction. Enfin, on peut pas y faire grand-chose. On peut pas virer un afrit comme ça. Z’aiment bien vous foutre le bordel dans le crâne. Je me demande si je vais pas tâcher d’me trouver de l’eau de Lourdes. P’t-être que ça leur flanquera la trouille, qui sait ? Au fait, où ça se trouve donc, Lourdes ?

— Dans le califat de Gascogne.

— Merde, c’est pas la porte à côté. Y vendent par correspondance ? »

Je lui dis que je n’en avais pas la moindre idée puis me rencoignai dans ma banquette. Je regardai filer le paysage – la conduite de Bill est le reflet de son comportement : cinglée – tout en me demandant ce que j’allais raconter à Friedlander bey. Par quel biais lui apprendre ce que j’avais découvert, ce que ma mère m’avait dit, et ce que je suspectais ? Je décidai d’attendre. Il y avait de grandes chances que l’information me liant à Papa eût été introduite exprès dans les fichiers informatiques comme un moyen détourné de s’assurer ma collaboration. Dans le passé, j’avais soigneusement évité toute transaction directe avec Papa : accepter son argent pour quelque raison, cela voulait dire que vous lui apparteniez définitivement. Mais en me payant mes implants crâniens, il avait fait un investissement que je passerais le restant de mes jours à lui rembourser. Je n’avais pas la moindre envie de travailler pour lui, mais il n’y avait pas d’échappatoire. Pas encore. J’espérais toujours trouver le moyen de racheter ma liberté ou de le forcer d’une manière quelconque à me la rendre. En attendant, il prenait plaisir à accumuler les responsabilités sur mes épaules réticentes, à me couvrir de gratifications toujours plus importantes.

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