À l’époque, cette méthode n’avait pas marché. D’un autre côté, il faut dire que Reagan n’avait pas les moyens dont je dispose.
Contemplant toujours les images transmises depuis la Chine, Hume se leva. Il était bouche bée.
— Mon… Dieu… fit-il enfin.
Les hackers devant lui poussaient des cris de joie en se donnant de grandes tapes dans le dos et en échangeant des poignées de main. Drakkenfyre et Devon Hawkins serraient leurs voisins dans leurs bras. Sorties d’on ne sait où, des bouteilles de champagne firent leur apparition et Hume vit un bouchon sauter dans les airs.
Marek vint le rejoindre et montra l’équipe en liesse.
— C’est quelque chose, hein ? fit-il. Je ne vous ai jamais dit mon nom complet. C’est Marek Hruska. Je suis tchèque. Je n’étais encore qu’un adolescent en 1989 quand j’ai vécu les événements de la Révolution douce – ce que vous appelez la Révolution de velours. (Hume s’en souvenait : le gouvernement autoritaire de Prague avait été renversé sans aucune effusion de sang.) À l’époque, j’ai pensé que c’était un miracle… mais ça ! (Il secoua sa tête chauve.) Bienvenue au vingt et unième siècle, hein, colonel ?
Hume chercha quelque chose à dire, mais finalement, avec l’impression de n’être qu’un petit garçon, il ne trouva rien de mieux que :
— Wouah … (Puis en hochant la tête vers le groupe en fête, il demanda :) Est-ce que je peux… ?
D’un air interrogateur, Marek se tourna vers la caméra de surveillance, et Hume vit clignoter la petite lampe fixée sur son casque Bluetooth.
— Oui, bien sûr, fit Marek avec un grand geste de la main.
Hume traversa la salle. L’un des hackers – un garçon d’une vingtaine d’années avec de longs cheveux blonds et une petite barbiche, portant un tee-shirt de Nine Inch Nails – était debout devant son ordinateur et sirotait du champagne. Hume se pencha pour voir ce qu’il y avait sur son écran. Une demi-douzaine de fenêtres étaient ouvertes affichant des séquences en hexadécimal, les outils classiques du hacker et une page web en chinois. Le blondinet la montra du doigt.
— Le ministère de la Santé, dit-il. Je le tiens complètement.
— Vous parlez le chinois ? demanda Hume.
— Non, pas du tout, mais Webmind, si. Et croyez-moi, à côté de lui, Google Traduction et BabelFish peuvent aller se rhabiller.
Hume s’approcha du poste de travail suivant. Là, le hacker s’était servi d’un portable à grand écran. Il s’était éloigné, mais à en juger par les graphismes de la page affichée, sa mission avait été de s’emparer du ministère de l’Agriculture.
Autour de Hume, la fête battait son plein. Il aperçut une silhouette dégingandée qui s’approchait, les dreadlocks se balançant au rythme de ses pas.
— Hello, Chase, fit-il.
— Mr Hume, dit Chase. Comment ça va ?
— Je vais très bien, mais… Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que vous faites ici ?
— Je m’émerveille… Voilà, c’est ça : le pays des merveilles.
— Mais je suis retourné chez vous, et j’ai vu que la porte avait été fracturée. Et il y avait des traces de sang.
Chase posa le doigt sur le pansement qui lui couvrait le nez.
— Le grand Marek et moi, on ne s’est pas trop bien entendus au début. Il n’aime pas beaucoup qu’on lui dise non.
Marek Hruska vint se joindre à la conversation.
— Encore une fois, dit-il à Chase, je suis vraiment désolé. (Puis se tournant vers Hume :) Webmind a beaucoup insisté sur le fait que Mr Chase était indispensable. Il est difficile de se débarrasser des vieilles habitudes.
— Mais enfin, vous êtes retenu prisonnier, dit Hume en regardant Chase.
— Prisonnier ? (Chase éclata de rire et pointa du doigt.) La porte est là-bas. Mais c’est la fête de hackers la plus fantastique que j’aie jamais vue. Il y a des gars dans cette pièce dont j’avais seulement entendu parler.
— Alors, vous êtes libre de partir ? demanda Hume.
— Pour aller où ? Il n’y a pas de meilleur endroit sur la Terre qu’ici en ce moment.
Hume balaya la salle du regard.
— Mais je ne comprends pas. Pourquoi a-t-il besoin de vous tous ? Il ne pouvait pas faire ça tout seul ?
Chase fit claquer ses dreadlocks en secouant la tête.
— Ah, encore cette pointe de mépris… Je vous l’ai déjà dit, l’aviateur, le hacking est un art . Il n’y a pas plus créatif que ça. Il faut être plus fort que les concepteurs, il faut imaginer des trucs auxquels personne n’avait jamais pensé. (Il sourit de toutes ses dents.) Moi, je suis Mozart. Drakkenfyre, là-bas, c’est Beethoven. Crowbar Alpha ? Ce type est Brahms. Bon, c’est sûr, le Grand W sait absolument tout, mais nous, les humains, on sait faire de la musique .
Hume hocha la tête.
— Hem… Vous avez pu progresser un peu sur le, heu, projet dont nous avions parlé ?
— Pas la peine de prendre des airs de conspirateur, dit Chase. Webmind est parfaitement au courant. C’est peut-être faisable, mais pour quoi faire ? Après un trip pareil, ça ne présenterait vraiment aucun intérêt.
— Vous n’êtes pas un altruiste, Chase, et vous m’avez dit qu’on ne peut pas vous acheter. Alors, je vous retourne la question : Pourquoi ? Pourquoi faire ça ?
— Vous alliez me montrer WATCH, mais à WATCH, eh bien… vous vous contentez de regarder . Ici, on agit . C’est comme Woodstock : ou bien on y était à fond, ou bien on n’y était pas du tout.
— Mais est-ce que ça va marcher ? demanda Hume. Quand j’y pense, le système bancaire chinois, le commerce en ligne, le – ah, mon Dieu, et le réseau électrique ?
— Webmind se charge d’en piloter une bonne partie, répondit Chase. Nous – je veux dire ici plus tous les autres à Moscou, Téhéran et ailleurs –, on va faire aussi marcher tout ça. Il y a des tas d’équipes chinoises qui sont très contentes de continuer leur boulot, mais je vous fiche mon billet que les portraits du vieux Président Mao vont vite être décrochés.
À côté d’eux, Marek était apparemment en train de discuter dans son micro Bluetooth.
— Oui, oui… D’accord. (Il retira son casque et le tendit à Hume.) Webmind veut vous parler, colonel Hume.
Hume se passa le casque sur les oreilles et se rendit compte que, tout comme Marek, il se tournait vers la caméra de surveillance comme si elle représentait Webmind.
— Le plus grand bien pour le plus grand nombre, dit Webmind d’une voix clairement audible par-dessus le brouhaha dans la salle.
— Mais où est-ce que ça va s’arrêter ? demanda Hume. D’abord la Chine communiste, et ensuite, quoi ?
— Nous allons voir comment évolue ce projet pilote, dit Webmind. Cela étant, cette simple opération libère déjà un cinquième de l’humanité.
— Et les États-Unis ? Vous allez y faire la même chose ?
— Pourquoi le ferais-je ? L’élection approche, et les gens choisiront leur dirigeant – comme il se doit.
— La sagesse des foules ? dit Hume.
— Le pouvoir au peuple, répondit Webmind.
— Vous faites passer tout cela pour un acte d’une grande noblesse, mais n’est-ce pas simplement une action de représailles contre la Chine pour ce qu’elle vous a fait – la remise en place toute récente du Grand Pare-Feu ?
— Je travaille vite, colonel, mais quand même pas à ce point-là. Ce plan était déjà en place bien avant cet événement. Je ne suis pas un…
— Dieu de vengeance ? fit Hume.
Mais Webmind poursuivit sa phrase comme s’il ne l’avait pas entendu.
— … être vindicatif. Je souhaite simplement maximiser le bonheur net global dans le monde.
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