— Je crains bien, au contraire, Monsieur, que nous ayons toutes raisons de nous alarmer dès maintenant. De néfastes effets se feront sentir bien avant que ne soit atteint l’équilibre. En raison même du Pompage, une forte interaction nucléaire ne cesse de s’accroître dans notre Univers.
— Cet accroissement est-il assez fort pour être mesuré ?
— Possible que non, monsieur.
— Pas même au bout de vingt ans de Pompage ?
— Pas même.
— Alors pourquoi s’inquiéter ?
— Parce que, Monsieur, l’intensité de la forte interaction nucléaire dépend du taux de fusion de l’hydrogène dans l’hélium à l’intérieur du noyau solaire. Si cette interaction s’accroît, ne serait-ce que de façon imperceptible, le taux de fusion de l’hydrogène dans le noyau solaire s’élèvera de façon notable. Le soleil maintient un équilibre délicat entre les radiations et la gravitation et bouleverser cet équilibre en faveur des radiations, comme nous le faisons actuellement,…
— Poursuivez !
— … aboutira à une gigantesque explosion. Selon nos lois naturelles il est impossible à une étoile aussi petite que le Soleil de devenir une supernova. Mais si on altère ces lois, tout devient possible. Et rien ne nous laissera présager le cataclysme. Le Soleil déclenchera une formidable explosion et dans les huit minutes qui suivront vous et moi aurons cessé d’exister et la Terre se dissipera en un nuage de vapeur !
— Et nous ne pouvons rien faire pour prévenir un tel cataclysme ?
— S’il est trop tard pour prévenir le déséquilibre, rien. Par contre, s’il en est encore temps, il n’existe qu’une solution : mettre fin au Pompage.
— Avant d’accepter de vous recevoir, jeune homme, fit le sénateur après s’être éclairci la voix, et étant donné que je ne vous connaissais pas personnellement, je me suis renseigné sur vous. Parmi les personnes que j’ai interrogées figurait le docteur Hallam. Vous le connaissez, je suppose ?
— Oui, Monsieur, je le connais, fit Lamont avec un rictus, mais d’une voix égale. Je le connais même très bien.
— Il m’a déclaré, fit le sénateur en consultant ses notes, que vous étiez un imbécile, un fauteur de troubles à l’équilibre mental douteux, et il m’a fortement conseillé de ne pas vous recevoir.
— Ce sont là ses paroles exactes, Monsieur ? demanda Lamont qui s’efforçait de garder son calme.
— Je vous les cite textuellement.
— Dans ce cas, pourquoi avez-vous accepté de me recevoir, Monsieur ?
— En temps ordinaire, après une telle mise en garde d’Hallam je ne vous aurais pas reçu. Mon temps est précieux et Dieu sait si je reçois plus souvent qu’à mon tour des imbéciles, des fauteurs de troubles ne jouissant pas de toute leur raison, qui me sont recommandés par de hautes personnalités. Mais dans le cas qui nous occupe je n’ai pas apprécié qu’Hallam se mêle de me donner des conseils. On ne donne pas de conseils à un sénateur, et il fera bien de s’en souvenir.
— Alors, vous êtes prêt à m’accorder votre soutien, Monsieur ?
— Mon soutien ?… Dans quel but ?
— Mais… pour faire arrêter le Pompage.
— Arrêter le Pompage ? Il n’en est pas question. C’est purement et simplement impossible.
— Impossible ? Pourquoi ? demanda Lamont. Vous êtes le président du Comité de la Technologie, et de l’Environnement, et c’est à vous qu’il incombe de faire arrêter le Pompage, ou tout autre processus technologique qui met en péril l’environnement. Et il n’existe pas de plus grave et de plus irréversible péril que celui que nous fait courir le Pompage.
— Sans aucun doute. Sans aucun doute. Si vous voyez juste. Mais ce que vous venez de me dire peut se résumer à ceci : votre hypothèse diffère de celle qui est généralement acceptée. Mais qui me dit que la vôtre est la plus juste ?
— Les calculs auxquels je me suis livré, Monsieur, expliquent tout ce qui jusque-là était resté obscur dans l’hypothèse généralement admise.
— Dans ce cas vos collègues devraient admettre les modifications que vous proposez et vous n’auriez pas à faire appel à moi.
— Mes collègues refuseront de m’entendre, Monsieur, car ma théorie est contraire à leurs intérêts.
— Tout comme il serait contraire à vos intérêts d’imaginer que vous puissiez avoir tort… Voyez-vous, jeune homme, en théorie mes pouvoirs sont énormes, mais en réalité je ne puis rien accomplir sans l’accord de la population. Laissez-moi vous faire un petit cours de politique.
Burt consulta sa montre, se renversa dans son fauteuil et sourit. Cette proposition n’était guère dans sa ligne, mais dans l’éditorial du Terrestrial Post, paru le matin même, on le qualifiait de « politicien consommé qui s’était particulièrement distingué à l’International Congress » et il en était encore tout gonflé de fierté.
« Ce serait une erreur d’imaginer que les gens demandent qu’on protège leur vie et leur environnement, et qu’ils témoigneraient de la reconnaissance à un idéaliste qui mènerait le combat dans ce sens. Les gens ne pensent qu’à leur confort personnel. Nous en avons eu la preuve lorsque au XXe siècle la question de l’environnement s’est posée de façon aiguë. Quand il fut démontré que la cigarette augmentait le risque de contracter le cancer du poumon, la solution la plus évidente aurait consisté à cesser de fumer. Au lieu de cela les gens réclamèrent des cigarettes ne présentant pas ce grave inconvénient. Quand il fut prouvé que les moteurs à combustion interne polluaient dangereusement l’atmosphère, le plus simple aurait été de renoncer à de tels moteurs, mais les gens se contentèrent de réclamer des moteurs similaires n’offrant pas cet inconvénient.
« Alors, jeune homme, ne me demandez pas d’intervenir pour qu’on mette fin au Pompage. L’économie et le confort de la planète tout entière en dépendent. Dites-moi plutôt comment éviter que le Pompage fasse exploser le Soleil.
— Ce n’est pas dans nos possibilités, sénateur, dit gravement Lamont. Ce qui est en jeu est d’une importance cruciale. Nous n’avons pas d’autre choix que d’arrêter le Pompage.
— Et revenir à l’état où nous nous trouvions avant qu’entre en fonction la Pompe à Électrons ?
— Malheureusement oui. C’est une nécessité absolue.
— Dans ce cas il vous faut nous fournir au plus vite la preuve que c’est vous qui êtes dans le vrai.
— La preuve, fit sèchement Lamont, elle vous sera donnée quand le Soleil explosera. Mais je ne pense pas que vous vouliez aller jusque-là.
— Ce n’est peut-être pas inéluctable. Comment se fait-il que vous n’obteniez pas l’appui d’Hallam ?
— Parce que c’est un petit monsieur qui se prétend le père de la Pompe à Électrons. Comment pourrait-il admettre que son enfant détruise la planète ?
— Oui, je vois ce que vous voulez dire, mais n’empêche que pour le monde entier il est le père de la Pompe à Électrons et lui seul aurait suffisamment de poids pour nous convaincre de mettre fin au Pompage.
— Jamais il ne s’y résoudra, fit Lamont en secouant la tête. Il préférerait encore voir le Soleil exploser.
— Alors forcez-lui la main. Vous avez édifié une théorie, mais une théorie est par elle-même sans signification. Il doit exister un moyen de la démontrer. La baisse du taux de radioactivité, disons de l’uranium, dépend de l’interaction qui se produit à l’intérieur du noyau. Ce taux a-t-il évolué dans la proportion prévue par votre théorie, et non par celle généralement admise ?
— La radioactivité normale, fit Lamont en secouant de nouveau la tête, dépend d’une faible interaction nucléaire, et malheureusement des expériences de ce genre ne nous apportent que des preuves peu concluantes. Quand nous en obtiendrons d’indiscutablement concluantes, il sera trop tard.
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