Ressors de l’autre côté du camion et…
Ils le saisissent par le col de sa chemise, lui plaquent le visage sur l’asphalte. Bon Dieu, il y en a un paquet – ils lui tirent les cheveux, son cuir chevelu va céder. Le goudron lui râpe les joues. Le canon d’un pistolet se colle à sa tempe.
La dernière pensée de Di Callare est pour sa famille : au moins sa femme et ses enfants ne seront pas obligés de voir ça. Sa dernière sensation est celle de la chaleur qui monte du sol, puis c’est le néant.
Quelques minutes plus tard, quand Lori arrive sur les lieux avec les policiers, elle est prise de violentes nausées ; une heure s’écoule avant qu’elle ne prenne conscience de la mort de Di, tant elle est bouleversée par le spectacle de son visage en sang et de son crâne fracassé. La longue file de voitures n’a pas bougé d’un pouce.
Carla Tynan a conscience d’une intrusion lorsqu’on arrache la fiche plantée dans son crâne ; elle a tout juste le temps de pousser un cri avant qu’ils ne coupent la communication. Elle reçoit une décharge de mitraillette avant d’avoir pu couvrir son corps nu de ses mains.
Brittany Lynn Hardshaw n’a même pas le loisir de pleurer. Des agents des Services secrets l’escortent dans un couloir conduisant à un abri souterrain. Harris est mort… ainsi que les deux autres, qu’elle commençait tout juste à estimer…
— C’est sûrement un coup des Sibériens, dit-elle à voix haute. Probablement les anciens partisans d’Abdulkashim qui attendaient leur heure. Avez-vous pu interroger l’un d’eux ?
L’agent chargé de la protection de Harris Diem secoue la tête.
— C’était du travail de professionnel. Sa maison était surveillée depuis plusieurs jours par deux équipes différentes, un groupe de six commandos et un agent isolé. Les commandos ont opéré un retrait, ce qui nous a poussés à croire qu’ils préparaient une attaque, d’autant plus qu’ils avaient laissé sur place des moniteurs électroniques. Nous pensions que l’agent isolé n’était qu’un simple éclaireur. Tout naturellement, nous avons suivi les commandos… mais c’est l’autre gars qui a frappé. Il s’est joué des systèmes d’alarme, il est entré dans la maison et il a tué Mr. Diem – le tout en deux minutes. Et avec un Self-Defender, par-dessus le marché… lequel a dû transmettre un signal aux commandos. Ils ont foncé dans le tas en lançant des bombes incendiaires et… eh bien, la maison a été totalement rasée. L’incendie n’est pas encore maîtrisé. Et ils sont tous morts durant le combat qui a suivi. Nous ne sommes même pas sûrs d’avoir identifié le corps de Mr. Diem – son assassin et lui avaient à peu près la même carrure.
Hardshaw hoche la tête.
— Je le regrette autant que vous, mais sa mort ne fait néanmoins aucun doute. L’idée était de semer le chaos chez nous juste avant l’arrivée du super-ouragan, ce qui veut dire qu’ils captent toutes nos communications. Repassez-moi la dernière transmission.
Elle entre dans l’abri souterrain aménagé après le Flash et s’assied à son bureau. Le temps d’installer un écran vidéo, et la communication est rediffusée. Un des agents secrets lui confirme dans un murmure qu’aucune opération hostile ne semble engagée contre elle.
Diogenes Callare et Carla Tynan lui expliquent à nouveau la situation. Difficile de croire que leurs corps ne sont pas encore froids.
— Ils ont raison, dit-elle lorsque la bande est achevée. Pas d’annonce publique. Mais je pense que nous devrions nous tenir prêts à partir… non, rectification. J’avais foi en Carla Tynan, et si elle dit que ça va arriver vite, elle ne se trompe pas. Conduisez-moi à Charleston et mettez tout de suite en route le Programme d’évacuation fédéral.
Lorsque l’œil se forme dans la baie de Campeche, il trouve toute l’énergie nécessaire à son développement ; la couronne s’enfle et les vents gagnent de la vitesse ; leur accélération s’infléchit à l’approche de Mach 1 sans pour autant stopper complètement.
Après le crépuscule, la mer semble entrer en ébullition l’espace d’un instant, et les vagues se hissent jusqu’à une hauteur de cent mètres ; puis l’air se déplace à nouveau de façon régulière : les vents tourbillonnants ont franchi le mur du son.
À ce moment-là, le centre du cyclone se trouve à 92o O 22o N, en plein golfe du Mexique, et l’œil atteint un diamètre de quatre cents kilomètres. Les marées de tempête assaillent Veracruz et foncent vers les côtes américaines.
Carla a oublié un seul détail dans son modèle. Tout comme elle l’avait prédit, il a suffi de vingt minutes pour que le cyclone donne naissance à des vents d’au moins 12 beauforts sur une zone large de mille six cents kilomètres, comme si on venait d’ouvrir une bonde au centre du golfe du Mexique. Dans l’œil du cyclone, la pression est tombée à 530 hectopascals, et l’œil ne cesse de s’élargir, les vents de se renforcer.
Voici ce que Carla n’a pas pris en compte : outre le fait qu’il engendre des marées de tempête aussi violentes qu’un tsunami, un cyclone supersonique est assez puissant pour soulever une quantité significative d’eau chaude. Lorsque cette eau se mélange à l’air, celui-ci voit sa température augmenter, ce qui accroît l’efficience de cette machine thermique qu’est le cyclone. Il dispose désormais de beaucoup plus d’énergie… et de beaucoup plus d’eau.
Lorsque Jesse apprend que Di a été assassiné, il s’assied par terre et pleure durant une heure. Mary Ann ne sait pas comment réagir. Elle a déjà perdu des collègues et sait qu’elle est censée sombrer dans l’hystérie en de telles circonstances – si elle admire Surface O’Malley, c’est parce qu’elle refuse de se prêter à ce genre de comédie. Mais Jesse n’est qu’un gamin qui pleure son grand frère. Que doit-elle lui dire ? « Allez, ce n’est pas si grave » ?
Finalement, elle se décide pour :
— Je suis désolée.
Il s’accroche à elle comme un noyé à une bouée, et elle lui caresse doucement les cheveux. Son monde vient de s’appauvrir, jamais elle ne rencontrera Di (comme il lui tardait de faire sa connaissance !), et Jesse ne sera plus jamais le même à présent que le mal a souillé son existence.
Un peu partout en Europe et en Amérique du Nord, des hommes et des femmes interrompent leur fuite pour compatir avec Synthi Venture.
La naissance de Clem 900 entraîne la mort de plusieurs millions de personnes. En moins de quelques heures, une marée de tempête déferle sur la Floride. Ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu fuir sont engloutis par une succession de vagues hautes de plusieurs dizaines de mètres ; les mangroves qui maintenaient la terre en place cèdent l’une après l’autre, le béton se fissure, l’acier plie et se rompt, et toute la surface de la péninsule sombre telle une avalanche sur le plateau continental. Le processus se répète à plusieurs reprises ; le matin venu, il ne restera presque plus de terre.
Des vents de 150 km/h ou plus ravagent le continent jusqu’à Memphis, détruisant les villes comme les forêts.
Le courant tourbillonnant induit par la tempête se répand sur toute l’étendue du golfe, dévorant la paroisse de Plaquemines en Louisiane, creusant un chenal reliant le lac Pontchartrain à la mer et rongeant la côte de Brownsville à Panama City. Lorsque le soleil se lèvera, il éclairera un golfe du Mexique bien plus vaste et bien plus ouvert.
Les îles des Antilles sont presque totalement submergées, et des pans entiers se détachent de leur masse. Il n’en restera plus que du sable, de la roche et des gravats… mais seulement une fois que la tempête sera passée. Pour l’instant, elles ne représentent que de pauvres obstacles sur lesquels s’acharnent les éléments déchaînés.
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