Il n’y avait d’inscriptions nulle part, aucun signe, aucune indication écrite.
Personne n’a besoin d’indications ici. Je suis toujours avec toi pour te montrer ce qu’il te faut savoir.
Et ça convenait aux gens de l’époque ? demanda Nafai. À tous ? » Sa voix résonnait trop fort dans le silence qui régnait, tandis qu’il suivait les coursives et les couloirs impeccables qui l’emmenaient de plus en plus bas sous la terre.
Ils me connaissaient. Ils m’avaient créé, programmé. Ils savaient ce dont j’étais capable. Ils me considéraient comme… comme leur bibliothèque, leur mode d’emploi universel, leur seconde mémoire. En ce temps-là, je ne savais que ce qu’ils m’avaient enseigné. Aujourd’hui, j’ai derrière moi quarante millions d’années d’étude des humains et j’en ai tiré mes propres conclusions. – à l’époque, j’étais beaucoup plus dépendant d’eux – je leur renvoyais leur propre image du monde.
Et cette image… elle était erronée ?
Ils ne se rendaient pas compte à quel point leur comportement était plus animal qu’intellectuel. Ils pensaient avoir vaincu la bête en eux-mêmes et croyaient qu’avec mon aide tous leurs descendants la chasseraient aussi en l’espace de quelques générations. Ils prévoyaient à long terme, mais aucun homme ne peut prévoir à si long terme. Les chiffres, les dimensions du temps finissent par perdre toute signification.
Quand même, ils construisaient bien, dit Nafai.
Bien, mais pas à la perfection. J’ai subi quarante millions d’années de radiations cosmiques et nucléaires qui ont détruit la plus grande partie de ma mémoire. Je possède heureusement de vastes systèmes de redondance, si bien qu’il n’y a pas eu de pertes graves de mes stocks de données. Même en ce qui concerne mes programmes, j’ai pu détecter toutes les altérations et les corriger. Par contre, je ne pouvais surveiller la zone qui m’était dissimulée ; aussi, quand les programmes s’y sont dégradés, je n’en ai rien su et n’ai pas pu les réparer. Je ne pouvais pas copier ces zones pour les remplacer quand une copie se détériorait.
Donc, ces gens manquaient entièrement de prévoyance, dit Nafai ; ces programmes constituaient ton cœur même !
Il ne faut pas les juger durement. Ils n’ont jamais imaginé qu’il faudrait ne serait-ce qu’un million d’années aux enfants de leurs enfants pour apprendre à vivre en paix et à se montrer dignes de pénétrer ici pour y acquérir la connaissance des hautes technologies. Comment auraient-ils pu savoir que malgré le passage des siècles et des millénaires, les humains d’Harmonie n’apprendraient jamais la paix, ne cesseraient jamais de chercher à dominer les autres par la force ou la ruse ? Il n’avait pas été prévu que je maintienne ce site coupé du monde un million d’années, encore moins quarante. Donc, ils construisaient bien – les défauts et les pannes de mon cœur secret ne se sont pas avérés fatals, finalement. Et puis tu es ici, n’est-ce pas ?
Nafai se remémora la terreur qui l’avait saisi quand il s’était retrouvé sans air et se demanda si les constructeurs n’avaient pas prévu un système de sécurité un peu trop efficace.
« Où es-tu ? demanda-t-il.
Tout autour de toi.
Nafai tourna la tête et ne vit rien de spécial.
Les capteurs, là, au plafond – c’est par eux que je te vois et que je t’entends, outre ma capacité à voir par tes yeux et à entendre tes paroles avant que tu les prononces. Derrière chacune de ces parois, il y a d’innombrables banques de mémoire statique – tout cela, c’est moi. Les machines qui font circuler l’air dans ces quartiers souterrains – c’est encore moi.
Alors, pourquoi avais-tu besoin de moi ?
C’est toi qui m’as sorti de la boucle où j’étais prisonnier, qui as élargi ma vision pour y inclure mon propre cœur, et tu me poses cette question ?
Pourquoi as-tu besoin de moi maintenant ?
J’ai besoin de toi – de vous tous – parce que le Gardien vous a envoyé des rêves. Le Gardien vous appelle et je vais vous conduire à lui.
Bon, alors, pourquoi as-tu besoin de moi, de moi, Nafai ? demanda-t-il en s’efforçant de clarifier sa question.
Parce que mes robots étaient sous le contrôle d’un secteur de ma mémoire auquel je ne peux plus me fier. Je les ai coupés parce que je n’en recevais plus que des rapports erronés. Sur les six vaisseaux, aucun ne possède une mémoire absolument intacte. J’ai besoin que tu récupères et testes la mémoire de toutes les parties de tous les vaisseaux, puis que tu recomposes une mémoire complète et fonctionnelle jusqu’à ce que nous aboutissions à un vaisseau en parfait état de marche. De moi-même, j’en suis incapable – je n’ai pas de mains.
Je suis donc ici pour faire le travail des machines en panne.
J’ai aussi besoin que tu pilotes le vaisseau.
Ne me dis pas que tu en es incapable !
Tes ancêtres ne confiaient pas le contrôle total de leurs vaisseaux à des ordinateurs comme moi, Nafai. Chaque appareil doit avoir un pilote stellaire à son bord pour donner les ordres. J’exécuterai ces ordres, mais le vaisseau t’appartiendra. Je t’appartiendrai.
Ce n’est pas ma place, protesta Nafai. C’est Père qui devrait tenir ce rôle.
Ce n’est pas Volemak qui est ici. Ce n’est pas Volemak qui a rouvert Vusadka.
Il l’aurait fait, s’il avait su.
Il en savait autant que toi. Mais toi, tu as agi. Ce n’est pas un hasard, Nafai. Ta présence ici n’est pas une coïncidence, ta présence et nulle autre. Si c’était Volemak qui avait découvert ce site et en avait forcé l’entrée en risquant sa vie pour cela, c’est lui qui revêtirait le Manteau. Ou Elemak, ou Zdorab – bref, celui, quel qu’il soit, qui aurait réussi à entrer, celui-là endosserait cette responsabilité, lise trouve que c’est toi. Elle te revient.
Nafai faillit s’écrier : « Je n’en veux pas ! » Mais c’eût été un mensonge. Car il la désirait de tout son cœur. Être l’élu de Surâme pour piloter le vaisseau stellaire, même sans rien connaître au pilotage d’aucun engin – ce serait merveilleux ! Ce serait une gloire et un accomplissement plus grands qu’il n’en avait jamais rêvé étant enfant. « J’accepte, dans ce cas, dit-il, à condition que tu m’apprennes.
Tu ne feras rien sans instruments. Je t’en fournirai certains et t’enseignerai à fabriquer les autres. Et tu n’y arriveras pas sans aide.
Sans aide ?
Il va y avoir des milliers de plaques mémorielles à transborder d’un vaisseau à l’autre. Tout seul, tu seras bien vieux, tu seras même mort avant d’y parvenir. Tous ceux de ton village vont devoir y œuvrer ensemble si nous voulons armer un vaisseau fiable avec toute la mémoire nécessaire pour vous mener jusqu’au Gardien de Ici Terre.
Aussitôt, Nafai imagina Elemak travaillant sous ses ordres, et il éclata de rire. « Dans ces conditions, tu ferais aussi bien de désigner tout de suite un autre chef ! Ils ne m’obéiront pas.
Ils t’obéiront.
Alors, c’est que tu ne comprends pas si bien que ça la nature humaine, rétorqua Nafai. Si la paix a régné parmi nous au cours de ces dernières années, c’est uniquement parce que je suis resté soigneusement à ma place vis-à-vis d’Elemak. Si je reviens leur annoncer de but en blanc que je suis le pilote et qu’ils doivent m’aider à armer un vaisseau…
Fais-moi confiance.
Bon, bon, d’accord. De toute manière, je ne fais que ça depuis le début !
Ouvre la porte.
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