— « Et, » fit Wandee, du Bio, « nous sommes en train de travailler sur les gènes d’un nouveau prototype de Citoyen qui serait capable de combattre les Océanides. Un Citoyen plus grand et plus fort, qui serait également pourvu des qualifications requises pour les chantiers navals. »
— « Assez fort pour attaquer un Océanide à mains nues ? » demanda l’homme de la Sûreté.
Wandee acquiesça.
« Mais son corps devrait être considéré comme une arme. Comment pourriez-vous vous assurer sa loyauté ? »
— « De la même façon que certaines fourmis s’assurent de celle de leurs guerriers. Il sera conçu de telle sorte qu’il sera incapable de se nourrir seul. »
Le Batteur était révolté. « Que voulez-vous dire… pas d’œsophage, ou pas de mains ? »
Wandee sourit. « Oh ! rien d’aussi brutal ! Il ne remarquera même pas qu’il y a quelque chose qui cloche. Nous supprimerons un des principaux maillons de sa chaîne métabolique ; il aura ainsi besoin d’un régime spécial que seule la fourmilière pourra lui donner. Sinon, il deviendra malade et mourra. »
Le Batteur frissonna. À présent, il regrettait d’avoir posé la question. Un œsophage ligaturé pouvait être réparé par un Bricoleur bienveillant. Mais que pouvait faire un pauvre soldat au système enzymatique défectueux s’il désirait démissionner ? Rien.
« Voici une copie de la liste des particularités que nous espérons programmer dans les gènes de notre guerrier, » dit Wandee en lui tendant un tableau.
Le Batteur y jeta un regard rapide. « Ça m’a l’air très bien, mais est-ce qu’il marchera ? »
— « Il marchera, courra, nagera… et se battra, » dit Wandee.
Le Batteur était sceptique.
— « Comment pouvez-vous en être aussi sûre ? Il y a seulement quelques années, votre Filandière n’était pas en mesure d’établir le schéma génétique d’un simple protozoaire marin. Et maintenant vous pensez être capable de nous fabriquer un superhomme ? »
La liste fit le tour de la table. L’attirail de combat mentionné était très impressionnant : une lourde charpente osseuse, des muscles solides, des réflexes rapides, une grande résistance à la douleur, un axe neuro-endocrinien puissant. Aucun des membres du Conseil ne comprenait très bien le fonctionnement de la Filandière à gènes. Wandee désirait réfuter les objections du Batteur sans accabler les autres Néchiffes indolents d’une avalanche de termes nouveaux susceptibles de les troubler. Le Batteur, lui, possédait une exceptionnelle faculté de compréhension, qui s’étendait bien au-delà de sa spécialisation, et, de plus, un esprit ouvert. C’était un Lion.
« La fabrication de ce prototype est beaucoup plus simple que l’élaboration du projet faune et flore marines. Nous n’avons pas à fabriquer un gène entièrement nouveau. On a établi à de nombreuses reprises le schéma génétique humain, et les vingt pour cent du schéma sont assez clairs pour nous. Assez pour que nous puissions fixer les caractéristiques générales qui nous intéressent. Nous utiliserons le schéma le plus ancien que nous ayons dans nos archives, celui du primitif Larry De ver, d’avant l’Ère de Karl. Nous avons encore quelques-uns de ses noyaux rénaux alpha en Suspension. En nous servant de ses chromosomes, et en détruisant le superflu, il ne nous restera que relativement peu de gènes à assembler. »
— « Vous allez assembler les pièces d’un Larry Dever ? » interrogea le Batteur.
— « En le modifiant. Nous allons fabriquer un Larry Dever à ARN Ordonné, doté de toutes les caractéristiques répertoriées ; nous le baptiserons ARNOLD. »
Le président du Conseil s’était assoupi. Il se réveilla en sursaut. « Vous deux, vous pouvez continuer cette discussion en bas, dans le labo. La séance est levée. »
Combattant
Au service de la fourmilière,
La Filandiere a tissé tes gènes.
Qui a tissé ton âme ?
Le Batteur s’émerveillait de la dextérité qu’apportait Wandee à ses manipulations. La cellule rénale en division fut versée dans la chambre de tri, emplissant l’écran de chromosomes en forme de X et de Y. Wandee sélectionnait ceux qui seraient augmentés. Tout en parlant, elle découpait avec son faisceau électronique.
« Nous allons ôter la moitié de ces longs tentacules dans la phase secondaire de l’opération ; c’est un bon repère. Éliminer ces petits satellites et amputer les tentacules courts de ce chromosome. Attention à ce centromère. Là… maintenant, nous avons largement la place d’ajouter les chromatides synthétiques du bain préparé par la Filandière. »
Le bain (une soupe de purines et de pyrimidines) contenait l’enzyme reverse transcriptase, l’ADN polymérase subordonné à l’ARN. (Les molécules ARN servent de « patrons » pour la reproduction des gènes ADN.) La Filandière assembla le « patron » ARN. Lorsqu’on l’ajouta au bain, un gène ADN se reproduisit ; chaque groupe de trois paires de bases azotées formait un codon (une « lettre ») dans le code génétique.
« Il semble y avoir une quantité excessive en gène Grube-Hill, » avança le Batteur. Il avait observé l’écran de la Filandière, sur lequel était simulée l’activité moléculaire. Les proportions normales étaient indiquées sur la grille.
— « Une triple dose de cartilage. » Wandee souriait. « Nos ARNOLD seront de vrais étalons blindés avec trois fois plus de calcium, de collagène, de phosphatase et d’hormone de croissance. »
— « Mais, et cette chaîne, qu’est-ce que c’est ? » fit le Batteur en fronçant les sourcils. « Ça ne correspond à rien. »
— « C’est le facteur sécurité de la fourmilière : une chaîne absurde là où devrait se trouver le gène de synthèse des acides aminés. On a mis les groupes de bases sens dessus dessous ; ce qui nous donne UAA, UAG et UGA, qui ne correspond à rien. Les ARNOLD seront incapables de synthétiser six des acides aminés que les autres humains fabriquent à partir des constituants inorganiques fournis par leurs aliments. Vous et moi possédons le mécanisme moléculaire nécessaire à leur assemblage. Pour les ARNOLD, ces éléments seront " essentiels ", c’est-à-dire absolument exigés dans leur régime alimentaire. En plus des neuf acides aminés dont nous avons tous besoin, il faudra aux ARNOLD de l’alanine, de l’aspartate, du glutamate, de la glycine, de la serine et de la tyrosine. Leur alimentation devra comporter quinze acides aminés. Faute de quoi, tout leur métabolisme s’arrêtera. L’absence d’un seul de ces acides aminés " essentiels " entraînera la maladie, et, à brève échéance, la mort. »
Le Batteur était silencieux. Cette nouvelle tâche qu’on lui avait assignée en tant que Lion le mettait mal à l’aise. Construire un humain synthétique qui sacrifierait sa vie pour la fourmilière, et, en même temps, le piéger avec cette bombe moléculaire à retardement qui le tuerait s’il s’écartait du droit chemin. Le Batteur avait le sentiment d’être pour ARNOLD un ennemi pire que l’Océanide.
Un codon GAG fut transformé en CAC, l’histidine substituée à la glutamine : une autre chaîne absurde barrant la « porte de service » des transaminases à l’un des acides aminés : ARNOLD ne pourrait obtenir les acides aminés par le cycle de Kreb en ajoutant des aminés à un acide organique.
C’était un travail fastidieux que de jouer ainsi avec les structures de Watson-Crick, mais bientôt Wandee eut plusieurs clones prêts à servir de points de départ au prototype ARNOLD.
« Nous pouvons trier les cellules en culture en nous basant sur leur teneur en gène Grube-Hill. Les cellules qui contiennent le plus de phosphatase seront celles d’où émanera la plus grande fluorescence sous l’effet de ce substrat traceur. Nous allons commencer par un millier d’embryons à GH triple. »
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