– Magnifique découverte! s’écria Bill. Vous ne pouvez pas inventer quelque chose de plus originale! Tous ces fans, comment ils me fatiguent!
Mais la ligne suivante accrocha son regard à nouveau: «… Le fait que nous, moi et vous, nous sommes parents, ne vous paraîtra pas une nouvelle si extraordinaire, mais le fait que nous sommes tous les deux les descendants du Grand tsar Dimitri, et que nous sommes tous les deux héritiers de ses biens, se trouvant sur les îles de Noureev, vous éblouira davantage! Comment ces biens ont atterri sur ces îles, je vous raconterai, quand nous nous verrons. Je reprendrai contact avec vous très prochainement! Paul.»
«Rien d’autre que le Grand tsar Dimitri! Rien d’autre que les îles de Noureev! Encore un Russe célèbre! Mais moi, qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans! Ces fans! Quelle imagination! Je les admire! Ils sont capables de tout pour pouvoir s’immiscer dans ma vie privée!» Il jeta ce bout de papier sur la table, en sentant qu’une nouvelle vague de colère commençait à remonter en lui. Il bascula en arrière du fauteuil, puis se mit à regarder les pages d’internet très nerveusement, en cliquant sur toutes les fenêtres sans y prêter d’intention. Bill pensait à une autre chose… «Qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans?» Une seule pensée tournait dans sa tête…
«Les îles, Noureev… je ne le connaissais même pas! Un danseur… oui, paraît-il, il possédait des îles dans la mer Méditerranéenne, en face de la côte Napolitaine… C’est tout ce que je sais…», Bill n’arrêtait pas de frotter son front. Il pouvait très bien se débarrasser de ce papier et oublier cette histoire comme beaucoup d’autres, mais la petite voix intérieure, elle aussi, elle lui avait parlé de ces îles… c’est tellement bizarre… l’existence de cette voix ne lui permettait pas d’abandonner cette nouvelle, comme totalement insignifiante.
«Et encore cette idée du tsar!» Cela ne rentrait dans une aucune explication logique, car ni Bill, ni ces ancêtres, n’avaient aucun lien avec la Russie, en tout cas, d’après ce qu’il savait déjà. Et tout cet envahissement subit de consignes très étranges l’intriguait. Il n’était pas de nature peureuse, et ces événements, il les prenait avec beaucoup de curiosité, mais rien ne lui indiquait pour autant, par quel chemin il pouvait avancer pour comprendre quelque chose. Bill décida d’attendre de nouvelles consignes: «S’ils veulent rentrer en contact avec moi pour une finalité que j’ignore, alors ils vont insister encore une ou plusieurs fois. Nous verrons ce qu’il adviendra plus tard!», ce jeu commençait à lui plaire car, de façon très inattendue, il amenait un léger suspense dans sa routine quotidienne.
La préparation du film devenait un petit peu plus agréable pour lui, mais personne, ni son entourage proche, ni ses amis ne savaient rien de ce qui s’était passé avec lui. En plus, Bill n’avait pas grand-chose à leur raconter… «Quoi, il va leur parler des voix qu’il entend? Ridicule! Encore la lettre, c’est une preuve, mais preuve de quoi? Il y a tellement de bêtises sur internet! Et qui est-ce Paul?» Rien, rien ne le raccrochait pour l’instant à une logique quelconque de sa vie réelle, c’était quelque chose d’ordre extra, venu complètement d’ailleurs, mais d’où? Il n’en avait pas la moindre idée. Un léger pressentiment, c’est tout. «Mais avec qui tu peux partager ça? Avec personne!» Alors, Bill vivait ses sensations intérieures de façon complètement autonome.
Mais en même temps, personne ne pouvait dire que la vie de Bill était lente et vide de tout événement. Tout ce qu’il y a de contraire! Il était, quand même, l’acteur le plus demandé et le plus apprécié de toute l’industrie cinématographique. Ses collègues lui portaient respect et envie, les admirateurs, restant loin, se faisaient sentir quand même par leurs incessantes lettres, appels, e-mails et toutes sortes d’invasions aux moindres occasions. Les photographes l’attendaient à chaque cérémonie, son visage remplissait les pages d’internet, il était partout, il était tout, et il représentait tout pour pas mal du monde sur la planète.
Mais qui savait que c’était un homme très solitaire, qui voulait être invisible, qui voulait plus que tout au monde, que les gens le regardent comme un homme quelconque, que dans leurs yeux il cesse, une fois et pour toujours, d’apparaître cette étincelle d’émerveillement de la reconnaissance! Comme tout cela le fatiguait, comme cela le dérangeait, mais à qui pourrait-il le dire? À personne! Voilà le drame: à personne! On l’aimait pour ce qu’il était et ce «ce qu’il était» était devenu, une fois et pour toujours, inséparable de son vrai être, son costume extérieur, qu’il ne pouvait plus enlever.
Et, comme toutes les personnes créatives, talentueuses, rebelles, il rêvait de pouvoir tout changer encore une fois, plusieurs fois, s’il le voulait, changer à l’infini, être maître de sa propre image, de sa propre vie, tout en concervant ses capacités d’agir, de produire et de créer les films qu’il aimait profondément. Voilà, les films! La vie créative! Elle était au-dessus de tout autre intérêt, elle l’accrochait à la réalité et quand il réussissait à sortir un nouveau film, il était heureux.
Mais tourner, sans arrêt, dans une boucle, même luxueuse et pleine de possibilités, cela reste toujours «tourner dans une boucle» et lui, il voulait aller voir ailleurs. Où? Il ne savait pas encore. C’est pour ça que ces nouvelles intrusions ne lui déplaisaient pas, bien au contraire, il savourait la sensation du renouveau très proche, et chaque instant d’attente ne l’énervait pas, mais donnait un grand plaisir de quelque chose d’inévitable.
Le soir, Bill se retrouva à nouveau seul, dans sa villa, épuisé par les débats incessants autour du nouveau film. Les acteurs, les actrices, les décorateurs, les musiciens, les costumiers, tous étaient demandeurs de conseils, d’opinions, de résolutions. Il était une sorte de «papa» pour un groupe de quelques centaines de gens adultes. Cela lui pesait parfois. Il aimait se retrouver seul, quand il ne devait plus rien à personne, quand il ne devait plus apporter de solutions, quand il ne devait pas être toujours «à la hauteur» des exigences des autres, être toujours «impeccable». Dans sa solitude, il pouvait se débarrasser de son masque et ne plus se soucier, oublier complètement l’existence de son aspect extérieur et s’adonner pleinement à sa vie intérieure, qui était loin d’être pauvre.
Bill devait tout à lui-même: sa carrière d’acteur, ses expériences en tant que réalisateur, et, enfin, la création de sa propre boîte de production. Tout cela, il ne le devait à personne d’autre qu’à lui. Il avait l’énorme potentiel créatif qui n’est donné qu’à un petit nombre de gens, et il s’en servait avec une grande efficacité. Sa carrière avançait sur une ligne droite, toujours plus haut, toujours plus loin, mais un jour Bill s’aperçut qu’il avait atteint les limites des êtres humains. Il était bloqué, car rien dans son entourage ne pouvait plus le stimuler à avancer: il était au sommet! Mais, inconsciemment, au plus profond de son âme, il sentait que tout cela n’était pas encore une limite, qu’il pouvait aller plus loin, beaucoup plus loin…
«Les tsars, les héritiers, les îles mystérieuses…», ces mots flattaient son ego, «Et pourquoi pas commencer à croire à l’impossible… Comme ça, d’un coup, commencer à croire et c’est tout. Sans se demander pourquoi, commencer à croire…», il s’endormait lentement, enveloppé par ses pensées.
Le lendemain de cet étrange échange mental, Christine s’apprêtait à aller travailler. Elle n’aimait pas se lever tôt, elle était plutôt quelqu’un qui adorait danser toute la nuit et rentrer avec les premiers chants des oiseaux matinaux, pour enfin plonger dans ses rêves. Se lever à six heures du matin, pour aller s’engouffrer dans les transports en commun, était pour elle un véritable cauchemar. Avant, au début, elle prenait le métro et, devant traverser toute la ville sous la terre, elle avait le temps d’observer les gens.
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