Bill se dit: «Si cette journée, je la reproduisais au détail près demain, elle sera aussi bien, demain aussi!» En arrivant chez lui, il se mit à se rappeler dans les moindres détails tout ce que lui était arrivé et commençait à le noter dans un cahier. C’était des choses complètement nouvelles pour Bill, il n’avait jamais rien noté ni écrit dans sa vie, tout avait été fait par ses assistants, par ses scénaristes et par ses producteurs auparavant, mais jamais par lui-même! Cette façon de passer une soirée, derrière la table à écrire, n’était pas du tout dans ses habitudes. Il était pourtant un excellent observateur et il avait pu noter tous ses états d’esprit pendant la journée de travail.
Le lendemain, Bill se réveilla dans l’intention de reproduire la nouvelle journée dans tous les détails qu’il avait réussi à noter la veille. Il se releva énergiquement, se rhabilla, prit son café et, juste avant de franchir la porte de son domicile, il s’arrêta dans la porte entrouverte. Quelque chose lui manquait, mais il ne se souvenait pas de quoi il s’agissait… Déjà dans sa voiture, il remarquait que le soleil était caché par un léger brouillard, mais les pensées quotidiennes de son nouveau film l’envahissaient et il avait oublié son programme de recommencer la journée de la veille.
Toute la journée fut une catastrophe en continuité: une des actrices se désista, l’équipe était énervée, le scénariste continuait à s’entêter sur la fin du film, bref, un véritable cauchemar se déversait sur la tête de Bill ce jour-ci. Il était désespéré! Il revint dans sa villa, sans vouloir répondre aux nombreux appels, avec un horrible mal de tête, et il s’enferma dans sa chambre en demandant de l’aide, qui sait à qui.
Doucement, il sentait l’harmonie s’installer dans son âme, les maux de tête l’ont laissé, et, d’un coup, il put entendre une légère voix intérieure, qui lui disait: «Va chercher ton bonheur et ton bien-être là-bas, sur les îles…» «Quelles îles?» Bill n’était pas prêt à quitter ses Studios juste au démarrage de son nouveau film! Mais la voix insistait: «… sur les îles, sur les îles, tu trouveras ce que tu cherches…» Bill, très étonné de cette apparition, avait laissé tomber la compréhension de sa contradiction intérieure, et s’endormit, pensant qu’il avait trop travaillé ces jours-ci et que cette voix n’était qu’une simple hallucination liée à la fatigue.
Le lendemain Bill se réveilla dans un esprit bien meilleur. Au moment de son départ, il remarqua quelque chose qui lui rappela ce qu’il cherchait à se remémorer désespérément la veille. C’était le soleil!!! Ses rayons étaient placés au même endroit que la journée d’avant: les pétales des fleurs, étant un petit peu fanés, n’avaient pas perdu pour autant leur grâce et leur beauté, et les petites graines de la poussière jouaient dans les particules minuscules du soleil. Bill se rassit sur son divan, hypnotisé par cette image magique.
Il la regardait très longuement. La même question, qui l’avait tourmenté tout ce temps-là, commençait à se formuler à l’intérieur de lui: «Que faire? Comment trouver une harmonie dans tous ses rapports? Comment éviter tous ces conflits, si fatigants?» Bill attendait patiemment la réponse, sachant cette fois-ci, qu’elle arriverait tôt ou tard. Et elle ne tarda pas à arriver…
Christine s’arrêta devant la grande fontaine à l’entrée du jardin. C’était dimanche, Christine ne devait pas aller au travail, mais quelque chose l’avait poussée à venir sur cette place. Peut-être, ses souvenirs d’une agréable sensation de rêve, qu’elle avait éprouvée quelques jours avant… La journée se déclinait vers le crépuscule, ce qui n’empêchait pas aux fleurs de garder leurs couleurs intenses, leur aromate se répandait très loin, et Christine se sentait enveloppée par toutes ces senteurs. Cette fois-ci, Christine s’imaginait dans une grande villa, assise sur un divan moelleux, en cuir blanc, devant une grande baie vitrée, cachée derrière des rideaux épais, qui laissaient passer quelques rayons de soleil…
Les souvenirs des voyages sur les îles italiennes tournaient lentement dans sa tête. «Pourquoi les îles? Ça fait si longtemps… Je les ai presque oubliées… Pourquoi maintenant je m’en souviens?», se demandait-elle consciemment. Et sa voix intérieure lui redondait: «Les îles, les îles, là, où tu as vu Noureev…» Elle comprenait, pourtant, que rien dans sa vie actuelle ne pouvait l’emmener dans ces îles méditerranéennes. Elle n’avait aucun moyen de se rendre là-bas dans l’immédiat. Elle demanda à sa voix intérieure: «Comment tu veux que je me rende là-bas?» La réponse changea subitement de voix. C’était une voix d’homme, basse et épaisse, qui lui répondait: «Moi, je t’emmènerai. Où es-tu, toi?» «Je suis à Paris, mais qui est-tu, toi?», répondit subitement Christine. Puis elle entendit la voix à nouveau: «J’arrive! Tu me verras en arrivant, il faut qu’on en parle! Tu m’attends à la même heure et à la même place!»… Et puis la voix disparut…
«Voilà, c’est parfait, encore une fois je me suis tellement plongée dans mon imaginaire, que je ne me suis pas rendu compte, que je parle dans ma tête! Qu’est-ce que penseront les gens autour!» Christine tourna la tête et regarda autour d’elle. Heureusement, ils étaient tous occupés par eux-mêmes. «Ils ne me regardent même pas, tant mieux! Il est peut-être temps que je rentre, la pluie va tomber bientôt…» Christine regarda le ciel et se précipita de monter dans un bus pour échapper aux premières gouttes de la pluie.
Bill n’avait entendu que la fin de la phrase: «Comment me rendrai-je là-bas?» Qui sait pourquoi, Bill comprit tout de suite qu’il s’agissait des îles, citées par la petite voix d’hier soir, et il reprit le jeu: «Moi, je t’emmènerai!» mais il se demanda aussitôt: «Mais qui dois-je emmener? Moi-même? Qui d’autre? Il n’y a personne dans cette chambre, à côté de moi?» Et il lança: «Où es-tu, toi?» Mais à ce moment le téléphone sonna. Il décrocha:
– J’arrive! Tu me verras en arrivant, dit-il dans l’appareil. Il faut qu’on en parle! Tu m’attends à la même heure et à la même place! Et il raccrocha, prit son blouson et se précipita vers la sortie.
Le bureau de Bill était aussi spacieux que sa maison, tout respirait l’argent et le luxe. Il se plongea dans un énorme fauteuil et commença à feuilleter un magazine de mode. Sa secrétaire lança en rentrant: «On a reçu un e-mail à votre nom. Je sais que vous ne lisez jamais les e-mails des inconnus, mais il est tellement étrange… Voilà, jugez par vous-même!» Elle lui tendit la feuille imprimée et s’éclipsa derrière la porte. Bill jeta la feuille sur sa table et sortit dehors. La première moitié de la journée s’était passée, comme d’habitude, sans trop de bouleversements.
La routine cinématographique n’était pas si différente de n’importe quelle autre routine: les gestes habituels, les gens habituels, les rituels des rencontres qui se ressemblaient les unes les autres comme deux gouttes d’eau. Toute cette banalité commençait à ennuyer Bill. «Quoi encore? Où trouver la satisfaction de la vie? Plus d’argent? J’en ai assez… Plus de femmes? J’en ai autant que je peux le souhaiter… Un peu d’aventures, peut-être? Les îles… Ah… si… les îles, mais lesquelles?»
Bill n’arrêtait pas de penser à ces îles…
Mais aucune idée, plus ou moins explicite, ne lui venait à l’esprit.
Son regard glissait par-dessus la table, pleine de papiers de toutes sortes. «… Tu trouveras sur les îles, ce que tu cherches…», une seule phrase tournait depuis des heures. «L’obsession! s’écria Bill. Je commence à les voir partout, ces îles!» et il posa son regard sur le papier imprimé et se mit à lire: «Cher Monsieur Bill! Je sais que ma lettre va vous paraître bizarre, mais je ne peux pas ne vous faire part de mon éblouissante découverte! Nous sommes parents!»
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