«En plus, une voix intérieure m’a parlé de ces îles! Pardon, je vous raconte mes histoires, mais je sais qu’à vous, je peux me confier…» La voix devenait plus basse et plus épaisse.
«Continuez, continuez, cela m’intéresse beaucoup!» Christine avait retenu son souffle.
«Enfin une âme-sœur!», répondit la voix, réfléchissant.
À ce moment le téléphone sonna dans l’appartement de Bill. Il répondit peu volontiers. La voix dans le téléphone était énervée: «Combien de temps on va t’attendre? On va rester ici pendant des heures? Tu es devenu bizarre ces derniers temps, Bill! Cela ne peut pas durer longtemps comme ça! Prends des vacances, si tu es si fatigué! Va sur les îles! À toute!… Biip, biip, biip…» La voix avait raccroché de l’autre coté.
«Va sur les îles… Va sur les îles… Va sur les îles…», grommelait la voix, comme un écho dans les oreilles de Bill.
– Quoi, lui aussi?! C’est un complot!!! cria Bill, et sa propre voix ricochait d’un mur à l’autre.
Bill se rassit sur son divan, devant le vase des fleurs fanées et essaya de se concentrer à nouveau sur sa conversation intérieure, mais la voix ne revenait plus. Il attendait, attendait, il regardait les fleurs, les rayons sur les pétales tombés, mais la communication était interrompue. Bill ne s’étonnait plus de rien! Il était tellement heureux! Il avait retrouvé une âme-sœur, si gentille, si confiante, mais où?! À l’intérieur de lui-même!
«Qu’il essaye de le dire à quelqu’un! Drôle de risée qu’il risque de provoquer! Non, il ne le dira à personne, il le gardera comme son plus grand secret! Ses mystères, cachés sur les îles de Noureev… c’est si romantique…»
Christine était déçue d’avoir perdu brusquement ce dialogue à l’intérieur de sa tête. Elle voulait en savoir plus! Elle était tellement intriguée de cette subite confession d’un homme, dont elle savait déjà le nom: «Bill! C’est drôle! Comme une cloche! Bill! Bill! Bill!», son nom retentissait dans sa tête.
«Biiiil! elle l’appelait désespérément. Biiiil!!!»
Mais il ne répondait plus. Elle ressentit d’agréables frissons dans tout son corps, comme si un homme bien aimé la caressait tendrement. Encore et encore… Elle resta immobile quelque temps, en s’adonnant à ses sensations, enveloppée tout entière dans les rayons du soleil couchant derrière les arbres. Les aromates des fleurs se répandaient sur toute la rue, quelques gros nuages traversaient le ciel avec vitesse, laissant tomber les gouttes très fines et transparentes, dans lesquelles les rayons du soleil se répartissaient en mille petits traits scintillants. Christine était heureuse.
Paul se retrouva devant la porte du directeur. Il ne voulait pas aller là-bas, de l’autre coté de cette porte! Il était prêt à tout pour essayer d’échapper à ce stupide, de son point de vue, échange d’opinions. De toute façon, rien ne l’obligerait à aimer et respecter cette horrible prof, rien ne l’obligerait à aimer les maths non plus. Décidément, tout cela était complètement inutile!
Et le pauvre directeur, rien que d’y penser, il lui faisait de la peine! Le directeur était un homme paisible, un peu dodu, avec une légère calvitie de la cinquantaine. Il portait des vêtements estivaux, déjà dès le début du printemps, et il semblait qu’il suffisait de lui rajouter un chapeau en paille pour qu’il devienne un berger parfait! Il détestait les conflits et grondait les enfants, seulement, quand il ne pouvait pas y échapper. Les profs connaissaient ses faiblesses, et, avec un goût sadique exemplaire, ils lui fournissaient les élèves «à éduquer». C’était leur petit jeu interne.
Paul n’aimait pas participer à cette «mise à mort» du pauvre directeur qui voulait cacher sa faiblesse devant les élèves. Puisque, quand il devait lever sa voix, il devenait tout rouge, tant d’efforts il employait pour cela, ses cheveux montaient, tous électrisés, son corps tremblait et, dans l’ensemble, il donnait une impression assez pitoyable.
Paul attendit assez longtemps avant de frapper. «Pitié, pitié, qu’il ne soit pas là!», balbutiait Paul devant la porte. Une dame de service, en robe à rayures roses, passait dans le couloir. Elle le regarda longuement. Paul se sentait obligé de frapper. Rien. Pas de réponse. Il réessaya. Rien à nouveau.
«Hum… intéressant… Il doit être sorti… je suis sauvé-é-é-é!», s’écria Paul dans sa tête. Derrière lui quelqu’un toussa. Paul se fana d’un coup, tout déçu. Il retourna la tête et vit devant lui son directeur… mais… il était tout transparent!
– Waouh!!! s’écria Paul à haute voix.
Et puis il ne savait plus quoi dire… Il regardait «le directeur» et le directeur le regardait, lui! Le temps de silence durait assez longtemps. Paul voyait un certain étonnement dans le regard du directeur, ses yeux derrière les grosses lunettes étaient presque pleins de larmes. Paul ne comprenait plus rien! «Il est devenu un fantôme? Alors, où est-il passé le vrai directeur?»
Paul laissa tomber une logique normale, parce qu’elle ne servait à rien dans ce genre de situation. Il tenta de réfléchir selon les films de science-fiction qu’il regardait souvent: «Ce sont les petits bonshommes verts qui se sont approprié l’apparence du directeur, et ils l’ont emmenée dans leur vaisseau pour les expériences…», cette version lui semblait la plus logique dans ces circonstances. Mais tout de même il n’osait pas la prononcer à voix haute.
Au fond du couloir réapparut la dame aux rayures roses, et pendant que le regard de Paul glissait sur la dame et ses formes généreuses, l’image du directeur s’était dissipée dans les airs. Paul était légèrement déçu d’être si lâche et de ne pas lui avoir demandé d’où il venait. Mais c’était trop tard. «Je me préparerai pour la prochaine fois, pour ne pas être si dupe! Quel idiot je suis! Avoir devant soi un extraterrestre et ne pas lui parler! Impardonnable, du point de vue des relations diplomatiques intergalactiques!»
Le collège de Paul était un des meilleurs de la ville. Paul était fier d’en faire partie, mais ses notes n’étaient pas si fières de lui. Il était l’avant-dernier de la classe. Et, pourtant, il essayait de faire des efforts. Il essayait d’écouter même les profs les plus dégoûtants, mais chaque fois quelque chose lui détournait son intention. Son meilleur pote, Thomas, le faisait éclater de rire à chaque fois quand la prof expliquait quelque chose d’extrêmement important. Comme par hasard, son stylo éclatait pendant la dictée et les papiers avec les récits à apprendre se volatilisaient par eux-mêmes.
Paul se moquait pas mal des études et se réjouissait du fait d’avoir plein d’amis, de se balader avec eux dans les grands couloirs de ce vieux bâtiment, de regarder fleurir les arbres et de vivre pleinement sa vie de garçon de douze ans. L’avenir ne lui pesait pas, et, justement, ce fait faisait de lui un très bon observateur. Il remarquait tout ce qui se passait dans son collège, il comprenait tous les rapports de force entre les enseignants et les élèves, ce qui le rendait dangereux aux yeux de ses profs. Et ils le laissaient vivre, en ne le grondant que de temps en temps.
Les enfants sentaient, eux aussi, son privilège et le respectaient encore plus. Paul n’était pas du tout un garçon à part. Bien au contraire, il était le cœur et l’âme de tous ses copains, il les aimait et ils lui répondaient avec les mêmes sentiments.
Au moment où Paul se libéra de sa vision, la sonnette du collège retentit. Son bruit très fort le ramena à la réalité, à ses devoirs, à ses copains et il se précipita à rejoindre sa classe:
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