– Tu crois qu’on va débarquer maintenant ou plus tard?
Le coéquipier souleva les épaules.
– Non, maintenant, c’est trop tôt. Ils ne le comprendront pas, restons invisibles. Je te dirai quand, sois patient! De toute façon, tu sais que notre temps est illimité, c’est la Force qui me dira quand on devra agir dans ce monde. Certains individus me paraissent prêts, d’autres pas du tout, on risque de provoquer la panique. Non, non, c’est trop tôt. Leur niveau de conscience est au tout début de leur développement, je ne pense pas qu’on puisse communiquer d’égal à égal…
– Si tu veux attendre qu’ils soient tous prêts, on sera obligé de tourner autour de cette planète éternellement! Revenons alors dans notre galactique, mes enfants doivent être déjà grands, je ne les ai pas vus depuis des siècles!
– N’exagère pas, qu’est-ce que c’est un siècle devant l’éternité, et devant l’importance de notre mission! Soyons attentifs, on a beaucoup de choses à faire. En tout cas, j’ai un espoir, que c’est pour bientôt. Certains me paraissent être assez proches de la Révélation.
– À qui tu penses?
– Cette jeune femme devant le jardin du Luxembourg, elle me paraissait intéressante, mais bon, on ne peut pas être sûr à cent pour cent. On va continuer d’inspecter doucement…
– Comme tu veux, mais je ne veux pas rester ici encore un siècle de plus! Soit ils évoluent, soit on laisse tomber!
– D’accord, d’accord, mais patiente, tu verras, les choses peuvent se débloquer plus vite que tu ne le penses.
– Passe-moi du Jeas-team, j’ai soif!
– C’est une boisson de mômes! Jette ça par la fenêtre!
Paul sortait du bus, quand la boîte vide d’une boisson inconnue tomba sur le trottoir à côté de lui.
– Eh, là-haut! Faites gaffe si je vous trouve un jour!
Paul était content que la journée ait bien commencé et il ne voulait pas que rien ne gâche sa bonne humeur. Mais il ramassa cette boîte, en pensant la rajouter à sa collection d’objets trouvés, qui contenait déjà une pierre du bonheur, une lime à ongles, un cristal violet, un bout de planche, appartenant apparemment à une vieille soucoupe… et maintenant cette boîte en métal moelleux, changeant de couleurs toutes les dix secondes. Paul ne réfléchissait pas aux origines de ces objets, il les ramassait et les emmenait à la maison, soigneusement, les rangeant dans le casier de sa table. Et puisque sa mère ne rangeait jamais sa table, elle n’avait aucune idée de cette belle collection d’objets extraterrestres.
La journée collégienne commença sans surprise: la prof de maths écrivait les signes au tableau au milieu d’une classe dormante. Les mouches tournaient autour des vases avec des fleurs sur les placards, et Paul était totalement libre de faire tout ce qu’il voulait. Tout d’abord, il commença par mettre tous les signes à l’envers et voir à quoi ils ressemblaient.
Pour l’instant, il ne voyait rien de particulier, sauf que certains de ces signes brillaient dans les rayons de soleil plus que les autres. Ils se détachaient de la feuille de papier et volaient dans l’air à quelques millimètres de la surface. Cela pourtant n’inquiétait pas Paul, qui avait l’habitude d’accepter l’inexplicable comme une normalité, en attribuant le «non-savoir» à son jeune âge.
Il n’avait que douze ans, et pensait que certainement les adultes devaient avoir une explication, mais qu’étant si occupés tout le temps, ils ne pouvaient pas lui fournir la réponse…
«Ce n’est pas grave, se disait-il, quand je grandirai, toutes les choses me seront accessibles et compréhensibles, et pour le moment je ne peux que les observer, c’est déjà très passionnant!» et il continuait de regarder les signes mathématiques survoler sa feuille de papier.
– Ce gamin, décidément, a fait des progrès! Je lui ai appris l’art de la lévitation antigravitationnelle, pour qu’il la pratique! Il est vraiment très doué, je voudrais l’observer davantage. Je vais lui rajouter des tâches à faire. Je vais lui apprendre à sauter les étapes de l’apprentissage!
Le coéquipier s’était étendu sur le dossier de son fauteuil avec un grand sourire.
– Il n’a que douze ans.
– Et alors! À cet âge le cerveau est très mobile! Il accepte beaucoup plus de choses sans réticence, sans méfiance. C’est justement lui, qui pourrait apprendre plus vite que les autres!
– Et l’évolution du cerveau dans le temps? Quoi, cela ne vaut rien? Les gens qui lisent des livres, qui font des travaux spirituels, eux, selon toi, ils ne sont pas plus évolués, que le gamin de douze ans?
– Mais si, mais si, mais ils doivent traverser des grandes épreuves, des désillusions, des chocs de la vie, pour qu’ils ouvrent leurs voix intérieures à la compréhension supérieure. Les gamins le font sans souffrance, sans avoir à passer par tous ces états d’âme, ils sont plus rapides.
– D’accord, mais leur bagage intellectuel ne peut pas être suffisant pour évoluer dans les matières complexes.
– Pas sûr, ils acceptent l’inexplicable, ils sont moins figés dans leurs consciences, ils ont les pensées plus pures, et les âmes plus intactes.
– Alors, tu comptes plus sur les gamins?
– Pas forcément, mais sur les gamins aussi. Ils arriveront tous en même temps, tu verras! Cela sera très passionnant, un peu comique peut-être…
– Tu prédis l’avenir?
– Non, je le vois!
– Paul, tu as tout le temps la tête en l’air! Peux-tu te concentrer une minute sur ce qu’on fait en classe?! Tes notes baissent de plus en plus! Il faut que je voie ta mère!
– Pour ça, bon courage, Madame! Même moi, je ne la vois pas plus de cinq minutes pendant le brossage des dents!
– Paul! Un peu de tenue!
La classe éclata de rire.
Paul était au septième ciel, car celui qui réussissait à énerver la prof passait pour un héros pendant toute la journée et tous les copains lui serraient la main! Mais la prof, elle-même, avait un autre point de vue sur cette affaire. Elle était devenue toute rouge, tellement rouge, qu’elle faisait peur, pouvant exploser à tout moment.
Elle commença à crier de plus en plus fort, ce qui rajoutait de la joie dans les derniers rangs. Elle tremblait en crachant des mots tout courts, étouffée par sa colère.
– Vous êtes pénibles! Vous êtes pénibles!
C’est tout ce qui lui était passé par la tête. Les enfants s’agitaient de plus en plus. Voir leur prof perdre les pédales au point de ne plus pouvoir parler, c’était une véritable jouissance. Ils se sentaient de plus en plus puissants face à son désarroi. L’agitation était à son comble. Paul était aux anges, sans se soucier de ce qu’il allait lui arriver après. À ce moment précis, il était le Héros.
– Tu vas avoir une heure de colle!!! Non!!! Trois heures de colle!!! Tu vas dormir sur les planches!!!
Peu à peu elle s’épuisait, en baissant le volume de sa voix, et ses dernières paroles elle les prononça tout doucement:
– Va chez le directeur! Immédiatement!
Paul se sentait soulagé, car il ne pouvait plus observer cette scène insensée par le niveau de sa violence et sa stupidité. Le sentiment de pitié, que provoquait sa prof, lui montait à la gorge. Il sortit dans le couloir, où un air rafraîchissant, emmené par une légère brise de la fenêtre ouverte, lui caressa le visage. Dehors les arbres se couvraient de feuillage, on sentait fort l’odeur du tilleul en fleur, le printemps arrivait inévitablement.
Bill avait terminé sa journée, très étonné de tout ce que lui était arrivé: il était très calme, raisonnable, soucieux de bien faire vis-à-vis de ses collaborateurs… Cela ne lui était jamais arrivé auparavant. Contre toutes ses craintes et prévisions, il avait accepté très facilement le scénario qui lui posait tant de problèmes, et le film avait été lancé dans les délais prévus. Le scénariste ne cessait pas de remercier Bill, mais Bill n’avait rien à lui répondre, car il ne savait pas lui-même, pourquoi il avait réagi comme ça! Mais, néanmoins, la journée sans conflit lui avait beaucoup plu, et il s’était décidé de continuer de la même manière.
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