Elle fut de retour cinq minutes après, tout essoufflée. Elle portait une blouse blanche sous le bras.
— Enfile ça, Guig. Tu seras un des assistants.
— Non. Il faut que tu te débrouilles toute seule.
— Mais tu as dit que tu serais là ?
— Je suis ici.
— Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? Qu’est-ce qu’il faut que je dise ? Je ne saurai jamais m’en sortir.
— Mais oui, tu verras. Ce n’est pas pour rien que je t’éduque depuis trois ans. Allons. Avec beaucoup de classe et d’assurance. Tu es prête ?
— Pas encore. Dis-moi ce qui a fait flancher le Chef.
— Les cryonautes ne sont pas dans leurs sarcos. Ils ont disparu. À leur place, il y a quelque chose qui ressemble à un rat tondu.
Elle se mit à trembler.
— Oh ! mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu !
J’attendis. Je n’avais pas le temps de la câliner. Il fallait qu’elle se ressaisisse toute seule. Ce qu’elle fit.
— Ça y est, Guig. Je suis prête. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ?
— Demande le silence. Classe et assurance. Je te soufflerai.
Elle eut la classe de grimper sur la console et de prendre la pose de Cortez contemplant le Pacifique pour la première fois (tandis que ses hommes se contemplaient ébaubis).
— Mesdames et messieurs ! cria-t-elle en spang. Mesdames et messieurs, je vous demande un instant d’attention s’il vous plaît. (Et maintenant, Guig ? en XXe.)
— Présente-toi.
— Je suis Fée-7 Chinois-Grauman, l’assistante particulière du Dr Devine. Je pense que vous m’avez tous vue à la console de contrôle. (Après, Guig ?)
— Élégant. Stylé. Ce n’est pas un désastre, c’est un défi.
— Mesdames et messieurs, quelque chose d’inhabituel s’est produit pendant notre expérience cryogénique, et vous avez eu le privilège d’en être les témoins. Permettez-moi de vous féliciter pour cela. Comme dit souvent le Dr Devine, l’essence même de la découverte est de trouver ce que l’on n’avait pas prévu. (Elle tendit l’oreille :) Ah ! certains d’entre vous parlent des leçons de l’imprévu. Oui, la science est faite de ces leçons ! (Guig !)
— Le Grand Chef est en train d’analyser cette surprise dans son labo avec toute son équipe. Très technique, maintenant.
— Le Dr Devine est maintenant en train de procéder avec ses collaborateurs à l’analyse modale du phénomène auquel vous avez assisté. (Elle inclina gracieusement la tête.) Je sais que vous êtes en train de vous demander si la procédure habituelle va être suivie en ce qui concerne les cryosarcophages. Je puis vous dire que le Dr Devine est actuellement occupé à résoudre cette question ; c’est une des raisons pour lesquelles il ne doit absolument pas être dérangé. Vous vous demandez ce qui est arrivé aux cryonautes. C’est une question que nous nous posons également. ( Guig !)
— C’est tout.
— Je vous remercie beaucoup de m’avoir écoutée. À présent, il faut que je retourne à la salle de conférences. Le Dr Devine publiera un communiqué détaillé dès que possible. Merci.
Je l’aidai à descendre. Elle tremblait comme une feuille.
— J’ai encore besoin de toi, Fée. Va dire aux techniciens de refermer la capsule en la laissant telle qu’elle est. Qu’ils maintiennent tous les systèmes en activité comme si elle était en orbite.
Elle hocha la tête et traversa la foule en direction des techniciens qui paraissaient encore groggy. Elle leur parla avec animation, puis revint jusqu’à moi.
— C’est fait. Et maintenant ?
— Tout d’abord, je suis fier de toi.
— Mm.
— Conduis-moi jusqu’à Sitting Bull. Il faut que…
— Ne l’appelle pas comme ça ! hurla-t-elle. Arrête de lui donner ces noms. C’est un grand homme. C’est un… c’est un…
— … je le mette au courant de la situation. Je pense que son attaque a dû passer.
— Je crois que je l’aime, dit-elle piteusement.
— Et ça fait mal.
— C’est horrible.
— La première fois, c’est toujours comme ça. Allons-y.
— Ça ne fait que douze heures, Guig. Et j’ai l’impression d’avoir vieilli de douze ans.
— On voit ça. Tu as fait un saut quantique. On y va ?
Le sanctuaire de Séquoia était une vaste salle de conférences avec une grande table ovale et des fauteuils massifs. Elle était encombrée de livres, de registres, cassettes et matériel d’ordinateurs. Les murs étaient couverts de diagrammes orbitaux géants. Le Groupe avait pris place à un bout de la table et tout le monde dévisageait Devine avec un intérêt inquiet. Je refermai la porte sur les secrétaires curieuses de l’antichambre.
— Comment va-t-il ? demandai-je.
— Il a un ressort de coincé, fit M’bantou.
— Bof, c’est une petite crise, McBee.
— Regarde un peu, fit Parfum en Chanson.
Elle prit la main de Séquoia et la souleva le plus haut possible. Quand elle la lâcha, elle resta levée comme elle était. Elle prit Devine par les épaules et le fit doucement se lever du fauteuil. Le Grand Chef se mit debout docilement. La princesse lui fit faire le tour de la salle de conférences. Il la suivit comme un somnambule mais dès qu’elle le lâcha, Séquoia s’arrêta net au milieu d’une foulée. Son bras était toujours dressé vers le plafond.
— C’est ce que tu appelles une petite crise ? demanda M’b.
— Remettez-le dans son fauteuil, leur dis-je.
Fée était en train de gémir. Je n’étais pas exactement radieux moi-même.
— Il est complètement parti, dit Nemo. On ne pourra jamais aller jusqu’à lui.
— Aidez-le ! supplia Fée.
— Nous ferons de notre mieux, ma chérie.
— Que lui est-il arrivé ?
— Je n’en sais rien.
— Combien de temps ça va durer ?
— Aucune idée.
— Ça risque d’être permanent, Guig ?
— C’est difficile à dire. Il nous faudrait un expert. Princesse, j’aimerais que tu fasses venir Sam Pepys. Borgia aussi, le plus vite possible.
— O.K.
— Pourquoi vous casser la tête ? voulut savoir Nemo. Il a perdu les pédales. Vous n’avez qu’à l’oublier.
— Pas question. Premièrement, à cause de Fée. Deuxièmement, c’est toujours mon candidat ; il faut qu’il retrouve le guidon. Troisièmement, par humanité pure et simple. C’est un type brillant. Il faut lui conserver son prestige.
— Sauvez-le, supplia Fée.
— Nous allons essayer, ma chérie. Problème numéro un, comment le faire sortir d’ici pour le transporter chez moi ? J’entends les actionnaires d’U-Con qui s’impatientent dans le couloir. Comment faire pour les éviter ?
— Le déplacer n’est pas un problème, dit M’b. Il se laisse conduire comme un bébé. On peut le faire aller n’importe où.
— Oui, mais il faudrait le rendre invisible.
Je réfléchis de toutes mes forces. Je dois avouer, à ma grande honte, que je m’amusais comme un fou. J’aime bien les situations de crise.
— Ed, poursuivis-je au bout d’un moment, quelle est ton identité actuelle ?
Edison pointa le menton en direction de Fée.
— Ne t’inquiète pas pour elle, dis-je. Au point où nous en sommes, ça n’a plus tellement d’importance.
— Je sais tout ce qui concerne le Groupe, dit Fée. Pas par fanfaronnade, juste pour gagner du temps.
— On discutera de ça plus tard, dis-je. Qui es-tu en ce moment, Ed ?
— Directeur de la Division du Plasma chez R.C.A.
— Tu as tes papiers sur toi ?
— Naturellement.
— Bong. Tu vas y aller. Tu es un distingué collègue du Dr Devine, qui t’a invité à assister à l’événement. Tu es prêt à discuter avec les actionnaires de tout et de n’importe quoi. Remplis bien ton rôle, et n’arrête pas de le remplir jusqu’à ce que nous ayons sorti le corps d’ici.
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