— Aucune, répondis-je. Il vit dans un tipi, à la mode indienne. Merci d’être venu, Ed.
— Dans ce cas, il faut l’attirer ici. Tu as de la puissance ?
— Je peux cracher dix kilowatts.
— Largement suffisant. Tu es toujours un peu rétro, hein ?
— Conservateur, je suppose.
— Cuisine conservatrice ?
— Oui.
— Four conservateur ?
— Le vieux modèle sans ascenseur, oui.
— Parfait. C’est avec ça qu’on l’aura. (Edison ouvrit sa boîte à outils et en tira un diagramme.) Regarde-moi ça.
— Explique, Ed.
— On modifie les circuits. On le transforme en four à induction magnétique.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ça fond le métal. Rien d’autre. Les métaux conducteurs seulement. Tu saisis ?
— Jusqu’à présent.
— Tu mets ta main dedans, et tu ne sens rien. Mais si tu portes une bague au doigt, le métal fond et te brûle le doigt. L’induction.
— Pfff. Ça m’a l’air horrible.
— N’est-ce pas ? Tu mets l’Indien dans le four. On branche l’induction peu à peu, et la torture commence.
— Ses doigts se détachent ?
— Non. Son cerveau commence à brûler. Il est plombé, je suppose ?
— Non.
— Les plombages sont en platine. (Visiblement, Ed n’avait pas entendu ma réponse.) Le platine est conducteur. C.Q.F.D.
À ce moment-là, les trois autres, qui avaient écouté fascinés, éclatèrent de rire. Ils poussèrent des cris en se tenant les côtes tandis qu’Edison les foudroyait du regard. J’avais comme l’impression que ce rallye loyal et amical allait mal se terminer et que le meurtre de Séquoia n’était pas pour demain. Je me demandais comment ramener le calme lorsque Fée-7, bénie soit-elle, appela et demanda si elle pouvait projeter. Je l’invitai à le faire et elle apparut, vêtue d’une blouse blanche de laborantine, l’air sérieux comme tout.
— Il veut que tu viennes tout de suite au JPL, dit-elle sans respirer en XXe. Oh ! pardon, la compagnie. Je ne savais pas qu’il y avait du monde. Je vous dérange ?
Toujours en XXe.
— Ça va, Fée. Ce sont des amis. Justement, nous discutions du Chef. Qu’est-ce qui se passe ?
— Il y a un éléphant dans la cave. Vous le saviez ?
— Oui, oui, nous le savons.
— Et un serpent là-haut.
— Nous le savons. Il y a aussi une pieuvre dans le salon. Que me veut le Dr Devine ?
Elle s’anima de nouveau.
— L’événement du siècle. La cryocapsule expérimentale va se poser dans une heure. Trois cryonautes sont restés en orbite pendant trois mois, et maintenant ils rentrent. Toutes les huiles de l’U-Con seront là. Il veut que tu sois là aussi.
— Moi ? Je ne suis pas une huile. Je ne possède même pas une action de l’U-Con.
— Il t’aime. Je ne sais pas pourquoi. Personne ne sait.
— Écoute, demande-lui si je peux amener quatre de mes amis.
Fée hocha gravement la tête et rétrojeta. Les autres protestèrent qu’ils n’étaient que faiblement intéressés par l’événement du siècle. Ils en avaient trop vu au fil du temps et ils étaient blasés. Ils commencèrent à radoter tous en même temps. La révolte des Boxers. Franklin et son cerf-volant. Les mutinés du Bounty. J’essayai de m’interposer.
— Vous ne comprenez pas, leur dis-je. Je me fiche complètement de ces types congelés qui vont atterrir, mais c’est une occasion unique de faire la connaissance du mec que nous voulons assassiner. Vous ne voulez pas évaluer votre future victime ?
Fée reparut.
— C’est O.K., Guig. Il dit plus on est de fous plus on rit. Tu peux amener l’éléphant si tu veux. Je vous attends devant le portail pour vous faire passer.
Elle disparut.
Nous grimpâmes sur le toit (sans l’éléphant) pour prendre l’hélico. Ils étaient tous en train de faire des commentaires.
— Qui est-ce ?
— Sam dit qu’elle est avec lui depuis trois ans.
— Une de chez toi, M’bantou ?
— Hélas, je ne pense pas. Elle est trop claire. Peut-être un mélange de Maori et d’Aztèque, avec pas mal de sang whitie en plus. C’est le coup de pinceau aryen qui explique la délicatesse des os.
— Guig a toujours manifesté un penchant pour l’exotisme.
— Il a été rétro toute sa vie.
— Elle est jolie.
— Aussi nubile qu’un jeune dauphin.
— Je me demande à combien s’élève son score.
— Sam doit savoir.
Je me faisais aussi des commentaires à moi-même : Comment diable Fée-7 savait-elle que mes amis comprenaient le XXe ? J’avais le sentiment désagréable qu’il existait des tas de choses que j’ignorais sur Fée. J’avais comme l’intuition que cette culbute cherokee risquait fort de se terminer du mauvais côté. J’avais aussi envie d’aller à l’hôpital pour demander à Jicé de vider les lieux.
Nous fûmes agressés par quelques citoyens du 3e âge en nous rendant de l’hélico au portail, mais il n’en résulta pas grand mal. Ils utilisaient des revolvers de papa. Il y eut quand même un incident comique. Nous les avions mis en fuite lorsque je regardai autour de moi et vis Nemo à califourchon sur un de ces malheureux, prostré. Il était en train de gifler le gringo à la volée avec son propre pistolet tout en psalmodiant : « Ce n’est pas… la voie… de la survivance… il faut… transplanter… transplanter… »
Nous l’arrachâmes du pauvre vieux gringo et nous allâmes rejoindre Fée au portail. Elle paraissait très impressionnée par le numéro de Nemo. Elle avait déjà assisté à des agressions de ce genre, mais c’était la première fois qu’elle en voyait une servir de prétexte à une leçon de morale. Elle nous conduisit jusqu’au site de l’atterrissage, et ce fut à mon tour d’être impressionné.
C’était un énorme théâtre-en-rond, avec des gradins pour un millier de personnes. Ils étaient peuplés d’huiles de l’U-Con et de politiciens locaux qui faisaient plaisir au JPL pour qu’il soit heureux et continue de payer ses taxes dans l’État. Fée nous plaça dans la section réservée et descendit rejoindre Devine au milieu de l’arène. Il était à côté d’une grosse console de contrôle qui jouxtait le podium. Je remarquai que Fée se comportait avec un calme et une assurance étonnants. Ou bien le Grand Chef avait tenu sa promesse, ou bien elle avait trouvé sa propre identité. De toute manière, j’étais obligé de lui tirer mon chapeau.
Devine monta sur le podium, regarda tout autour de lui et se mit à parler.
— Senoras, gemmum, soul hermanos, ah gone esplanar brief, you comprender the significación of the esperiment, O.K. ? You got any preguntas, just ax da man.
Il fit un signe à Fée. Elle fit quelque chose avec la console. Des projecteurs s’illuminèrent. Trois mecs apparurent sur la scène à côté de Devine. Ils souriaient et saluèrent plusieurs fois le public. Ils étaient plutôt de petite taille, mais paraissaient coriaces.
— Voici les trois courageux volontaires, commença Devine (je traduis) qui ont accompli le premier vol cryogénique de l’histoire. Il s’agit d’un entraînement pour la mission Pluton, et éventuellement plus tard les étoiles. Les deux contraintes principales sont le temps et la charge utile. Il faudra à la mission de nombreuses années pour atteindre Pluton, même à l’accélération maximale. Il faudrait des siècles pour arriver aux étoiles. Même en supposant qu’ils puissent vivre assez longtemps, il serait pratiquement impossible de les munir de suffisamment de vivres et d’équipement pour tout le voyage. La seule solution, c’est la cryonique.
J1 fit un autre signe à Fée. Les projecteurs clignèrent. On vit les trois mêmes cryonautes, nus, grimpant avec l’aide de techniciens dans des sarcophages transparents. Séquence-montage où on les voit recevant diverses injections, puis reliés à un réseau de capillaires vrillés, et aspergés d’une sorte de liquide stérilisant. Les couvercles des sarcophages sont verrouillés.
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