Ben Winters - J-77

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La fin du monde ? Elle arrive. Dans 77 jours maintenant, l’astéroïde 2011GV
va s’écraser sur Terre, quelque part en Indonésie, et c’en sera fini de l’humanité.
Plutôt que de se lever le matin pour aller travailler, les Américains – et on les comprend – préfèrent concrétiser d’urgence la liste des 100 choses qu’ils ont envie de faire avant de mourir avec, évidemment, tous les excès que cela implique. Pourtant, il reste un homme, un seul, bien décidé à faire son job jusqu’au bout : Hank Palace, ancien flic de la police de Concord.
Déterminé à retrouver Brett Cavatone, le mari de sa nounou qui a mystérieusement disparu, Hank se lance dans une quête désespérée, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Mais son courage et sa droiture suffiront-ils ? Car rien n’est simple dans un pays livré à une anarchie sans nom, où l’électricité et les télécommunications ont rendu l’âme, où les pillages sont quotidiens et qui pourtant est synonyme de terre promise pour des milliers de personnes qui tentent de fuir la zone d’impact…

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— Absolument. »

Culverson sourit plus largement et termine son thé. Dans le silence, j’imagine Alyssa et Micah. Où peuvent-ils bien être passés ? Et où est Martha ? Et où est ma sœur ?

C’est trop silencieux ici, un silence stressant : pas de radio allumée dans la cuisine comme avant, pas de cuistot Maurice chantant sur l’album Planet Waves . Pas de cliquetis de couverts ni de conversations murmurées aux autres tables, pas de bourdonnement de ventilateurs. Je prends soudain conscience que cette institution est à son crépuscule, pas seulement le Somerset mais toute cette configuration : le jeune Palace exposant son enquête au sage Culverson ; Culverson le poussant dans ses retranchements, trouvant des failles. C’est intenable. C’est comme à l’hôpital, tout le monde fait stoïquement de son mieux pour un projet condamné d’avance.

« Ce qui me tracasse, c’est cette page de journal intime, me dit-il. Tu es certain que ce n’était pas du bidon ?

— Oui. » Une pause. Je le regarde fixement. « Non. Je n’en sais rien.

— Je parle de l’écriture. Tu es certain que c’était celle de la fille ?

— Non. Si. Oh, bon sang. »

Je ferme les yeux et je revois le texte en lettres capitales sur la page parfumée à la cannelle : Il est mort. N est mort il est vraiment mort. J’essaie alors de juxtaposer cette image mentale à celle de la citation de sainte Catherine, scotchée par Martha à côté du miroir de la salle de bains : Si tu es ce que tu dois être… Mais je n’ai pas de certitude, je ne saurais dire, et je n’ai plus cette page rose. Elle est quelque part dans le fortin, elle se noie dans la boue de Fort Riley ou vole comme un oiseau au-dessus de la mer.

« Je n’y ai pas pensé, dis-je, consterné d’avoir négligé quelque chose de si évident.

— Ce n’est pas grave », me répond Culverson en levant deux doigts pour faire signe à Ruth-Ann de lui rapporter de l’eau chaude.

Si, c’est grave. Tout est grave. Je tripote les bocaux de condiments pour la plupart vides : ketchup, moutarde, sel. Un vase en plastique est lui aussi vide, des bouts de tiges flottent dans un demi-centimètre d’eau au fond. Il fait chaud et sombre, ici, aucun rai de lumière ne filtre à travers les stores poussiéreux. C’était si simple. Si évident. L’écriture.

« Je suppose, continue Culverson, que je perdrais mon temps si je te disais qu’il n’y a plus lieu d’enquêter sur quoi que ce soit. Ce n’est pas comme si tu pouvais trouver ce tueur, le faire enfermer et décrocher une promotion. Le bureau du procureur est fermé, rideau baissé. Il y a des ratons laveurs qui vivent dedans, maintenant, en vrai !

— Ouais… oui, je sais tout ça.

— Et si ta baby-sitter s’est fait enlever, que veux-tu y faire ? Aller la sauver avec ce mignon petit flingue que McConnell t’a donné ? »

Je me gratte la tête.

« Non. À vrai dire, je l’ai perdu. »

Culverson me regarde une seconde, puis éclate de rire, et moi aussi, j’éclate de rire, et nous restons là à pouffer pendant plusieurs secondes, tandis que Houdini, assis sous la table, me questionne du regard. Ruth-Ann vient nous servir de l’eau chaude – c’est à peu près tout ce qui lui reste, de l’eau chaude, et cela a quelque chose de drôle, ça aussi, vraiment. Et je crève réellement de rire, là, tapant sur la table, faisant danser et glisser les bouteilles de condiments.

« Vous êtes cintrés, tous les deux, vous le savez, au moins ? », commente Ruth-Ann.

Nous baissons la tête, puis la relevons vers elle. La chemise de Culverson, trop grande, me tombe sur les épaules comme une chemise de nuit. Des touffes de poils grisonnants dépassent du col en V de son maillot de corps. Nous repartons dans un nouveau fou rire, amusés par notre ridicule, puis Cuverson se rappelle qu’il voulait me parler du pauvre sergent Tonnerre, le M. Météo, qui attend devant chez lui depuis 6 heures ce matin. Apparemment, il attend le convoi qui est censé l’emmener jusqu’au Monde de demain.

« Je sais déjà que ce pauvre couillon va sonner chez moi ce soir, me dit-il, pour me demander une tasse de tout ce que j’ai . »

Et nous nous écroulons de plus belle, hilares, et Ruth-Ann secoue la tête, repartie derrière son comptoir, replongée dans le numéro du Monitor que tout le monde relit depuis un mois.

« Bon, j’y vais », finis-je par dire à Culverson en essuyant du dos de la main mes dernières larmes de rire.

« Où ça ? Chez toi ?

— Pas tout de suite. J’ai une idée que je voudrais suivre vite fait, sur l’affaire Martha.

— J’aurais dû m’en douter. »

Je souris.

« Je te tiens au courant. »

Houdini se lève en même temps que moi, lance un regard aigu dans les coins de la salle, se tient tout raide et droit, la tête inclinée de côté.

« Oh, attends ! me rappelle Culverson. Une seconde. Rassieds-toi. Tu ne veux pas le voir ?

— Quoi ?

— Le sabre de samouraï, mon ami. »

Je me rassieds. Le chien aussi.

« Tu m’avais dit de ne pas te poser de questions !

— Oui, bah, tu sais, on dit des choses… »

Il le sort de sous la table, lentement, centimètre par centimètre : un vrai sabre, incurvé, luisant dans la lumière pâle du restaurant.

Mince alors.

« Je sais.

— Je t’avais demandé un jouet.

— Je n’ai pas trouvé de sabre jouet. » Il tire sur son maillot imbibé de sueur pour l’éloigner de son torse. « Écoute, Stretch. Va résoudre ton enquête. Moi, je trouverai les gosses. »

J’essaie, en vain, de dissimuler la joie que m’apporte cette annonce. Je me mords la lèvre, prends la voix sèche et sarcastique que j’ai apprise de lui, au fil des années.

« Je croyais que ça n’avait plus aucun intérêt d’enquêter. »

Il se lève en ramassant le sabre.

« Ouais… je sais, j’ai dit ça. »

4

« Nooon… Vous vous foutez de moi. »

Jordan, l’affreux copain de Nico, me dévisage à la porte de la friperie.

Il porte aujourd’hui un short en jean, ses Ray-Ban, pas de chemise, pas de chaussures. Ses cheveux sont sales et complètement emmêlés. Une blonde est dans les vapes, dans un sac de couchage par terre derrière lui, profondément endormie, la joue pressée contre son bras mince et nu qui dépasse du sac.

Je tâche de voir derrière lui l’intérieur de la boutique, les bacs remplis de bazar, des gros sacs-poubelle noirs débordants de chaussettes et de bonnets de laine.

« Jordan. Qu’est-ce que vous faites là ?

— Ce que je fais là, moi ? s’étonne-t-il en plaquant une main sur son torse nu. Esta es mi casa, señor . Mais vous , qu’est-ce que vous faites là ? » Il me regarde, contemple la chemise trop grande de Culverson. « Vous cherchez des fringues ?

— Nico m’a dit que vous partiez tous pour le Midwest. » Je n’arrive pas à dire « en mission de reconnaissance », c’est trop ridicule. « Pour la prochaine phase de votre plan. »

Nous sommes toujours sur le seuil, j’ai l’avenue Wilson désolée dans le dos. Jordan lève un pied pour se gratter l’autre mollet avec.

« Ce genre de plans, ça change tout le temps. J’ai été réaffecté. On est l’équipe qui garde le fort, là. »

La fille émet un miaulement ensommeillé, s’étire, se retourne. Jordan suit mon regard et a un sourire carnassier.

« Il vous fallait autre chose ?

— Oui, dis-je. Tout à fait. »

Je passe devant lui, entre dans la boutique, et Jordan a un petit claquement de langue réprobateur.

« Hé, ho, c’est une violation de domicile, ça, mon vieux. Ne m’obligez pas à appeler les flics. »

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