Ben Winters - J-77

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La fin du monde ? Elle arrive. Dans 77 jours maintenant, l’astéroïde 2011GV
va s’écraser sur Terre, quelque part en Indonésie, et c’en sera fini de l’humanité.
Plutôt que de se lever le matin pour aller travailler, les Américains – et on les comprend – préfèrent concrétiser d’urgence la liste des 100 choses qu’ils ont envie de faire avant de mourir avec, évidemment, tous les excès que cela implique. Pourtant, il reste un homme, un seul, bien décidé à faire son job jusqu’au bout : Hank Palace, ancien flic de la police de Concord.
Déterminé à retrouver Brett Cavatone, le mari de sa nounou qui a mystérieusement disparu, Hank se lance dans une quête désespérée, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Mais son courage et sa droiture suffiront-ils ? Car rien n’est simple dans un pays livré à une anarchie sans nom, où l’électricité et les télécommunications ont rendu l’âme, où les pillages sont quotidiens et qui pourtant est synonyme de terre promise pour des milliers de personnes qui tentent de fuir la zone d’impact…

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— Première réponse. Je suis relativement certaine que nous n’avons pas vu de corps correspondant à votre signalement.

— Relativement, ça veut dire certaine à quel point ? »

Le Dr Fenton prend le temps de réfléchir. Je me demande fugacement comment les choses se passent en haut pour l’homme désespéré et sa femme qui saignait des poignets, comment ils s’en sortent entre les mains du Dr Gordon.

« Quatre-vingts pour cent, conclut le Dr Fenton.

— Est-il possible qu’une victime ait été emmenée à l’hôpital du New Hampshire ?

— Non. Il est fermé. À moins que quelqu’un n’y ait emmené un corps sans savoir que c’était fermé, et ne l’ait déposé devant l’entrée des urgences. Je crois comprendre… » Elle s’interrompt, s’éclaircit la gorge. « Je crois comprendre que quelques-uns ont été déposés ainsi.

— Ah oui », dis-je, l’esprit ailleurs.

Elle se lève. Il est temps de reprendre le travail.

« Et le bras, comment ça va ? »

Je me tâte prudemment le biceps droit de la main gauche.

« Comme ci, comme ça. Je ne sens pas encore grand-chose.

— Ça vaut mieux. »

Nous sommes en chemin vers l’escalier. Je pose soigneusement ma tasse à demi pleine par terre à côté d’une poubelle qui déborde.

« À mesure que la circulation reviendra, dans les deux semaines qui viennent, vous allez commencer à ressentir un picotement persistant, puis vous aurez besoin de rééducation pour revenir à un fonctionnement normal. Puis, début octobre, un objet interstellaire massif entrera en collision avec la Terre et vous mourrez. »

3

« Donc je suis allé là-bas vendredi dernier, peut-être deux heures après ton départ, et le terrain de jeux était complètement saccagé. Les balançoires ont été virées, il ne reste plus que les chaînes, tu vois ? La clôture, aplatie, et le… comment ça s’appelle, déjà ? La cage à écureuils, renversée. Je me suis demandé si je ne m’étais pas trompé d’adresse.

— Tu étais à la petite école de Quincy ?

— Oui. Quincy. Le terrain de jeux, derrière les bâtiments.

— C’est bien ça. »

Le diner ; les banquettes ; mon vieil ami au cigare éteint, touillant du miel dans son thé, me racontant une histoire. Un gros creux qui a la forme de deux miches, dans le vinyle, là où McGully avait coutume de s’asseoir.

« J’étais donc là comme un crétin, le sabre de samouraï à la main. Et ne me demande même pas comment je l’ai eu, au fait. J’étais là, et je me dis : “D’accord, bon, les petits protégés de Hank sont partis ailleurs, ils se sont trouvé un autre endroit où squatter.” Mais ensuite, je vois qu’il y a une affichette : Si vous êtes les parents de… Tu vois ? Un papier comme ça. Apparemment, ils se sont fait ramasser. »

Je souffle. C’est une bonne nouvelle. C’est la meilleure issue possible pour Alyssa et Micah Rose. Un bus de charité passant pour les emmener sous un toit, avec de quoi manger, des jeux organisés et des cercles de prière trois fois par jour. Ruth-Ann est perchée sur un tabouret au comptoir. Son pichet d’eau chaude et ses crayons sont rangés derrière elle, son petit carnet de commandes dépasse de la poche de son tablier. Culverson est en maillot de corps, blanc cassé, jauni et taché aux aisselles, parce qu’il m’a prêté sa chemise, qui fait des plis sur mon ventre et bâille autour de mon cou.

« C’étaient des cathos ? » dis-je.

Il fait non de la tête.

« L’Église de la science chrétienne.

— Ah. »

Je tambourine des doigts de ma bonne main sur la table. Maintenant que je sais que les enfants sont à l’abri, qu’ils n’ont pas souffert de mon absence ces derniers jours, je suis prêt à passer à la suite, à exposer mon affaire. Je me suis dépêché de venir ici pour être sûr d’attraper Culverson vers l’heure du déjeuner, afin de pouvoir lui soumettre ce cas de disparition qui tourne au meurtre, voir ce qu’il en pense.

« Je me suis donc rendu à l’adresse donnée par l’affichette. Angle de Warren et Green Streets. Comme je n’avais pas de signalement physique, j’ai donné leurs noms.

— Comment vont-ils ? Ils sont contents ?

— C’est ça, le problème, me dit Culverson. Ils ne sont pas là-bas. »

Mes doigts s’immobilisent d’un coup.

« Quoi ? Comment ça, pas là-bas ?

— Eh non. Mais il y en a plein d’autres. J’en ai trouvé un qui s’appelait Blackwell.

— Blackstone. Andy Blackstone.

— Voilà, c’est ça. Marrant, ce gamin. Mais Andy dit que les tiens… » Culverson feuillette ses notes ; il possède un bloc sténo comme ceux que nous utilisions pour rédiger nos notes de cas ; je parie qu’il en a piqué une boîte dans le placard aux fournitures de la PJ avant que nous ne soyons virés du bâtiment. « … Il dit qu’ils sont venus, mais qu’ils sont partis avant l’appel.

— Ah.

— Et je n’ai pas pu aller plus loin.

— Ah. »

Je contemple fixement le lino crasseux. Je n’arrive pas à croire que je les ai laissés partir. Ils étaient sous ma responsabilité, ces gosses, une responsabilité que je m’étais imposée moi-même mais une responsabilité quand même, et je les ai traités négligemment, comme des objets… un simple dossier, qui pouvait être refilé à un collègue. J’ai préféré suivre l’affaire du mari disparu de Martha Milano, et chacun de nos choix en détermine d’autres ; chacun des pas que nous faisons laisse derrière nous mille univers potentiels morts.

« Palace ? me dit Culverson. À toi. Parle-moi de ton enquête. »

J’acquiesce. Relève la tête, respire un bon coup. C’est pour ça que nous sommes ici. Que j’ai fait tout ce chemin. Je lui résume donc l’affaire, en parlant vite et en soulignant les points importants : Julia Stone à l’UNH, Brett Cavatone à Fort Riley. Le coup de feu, la feuille orange tombée d’une tenue camouflage, la page de journal intime. L’inspecteur Culverson m’arrête après le mystérieux N.

« Attends. Ralentis un peu. » Il se racle la gorge, semble pensif. « Donc, une femme vient te demander de l’aide. Son mari s’est fait la malle, elle veut le retrouver.

— C’est ça.

— Tu retrouves le mari, et juste après, il se fait buter.

— Voilà. Par quelqu’un qui sait tirer.

— Un militaire ?

— Peut-être. Je ne sais pas. Quelqu’un qui sait tirer.

— D’accord.

— Et ensuite, tu rentres chez toi. Comment tu rentres chez toi ?

— Par hélicoptère… c’est une tout autre… » Je secoue la tête. « Laisse tomber, ne t’occupe pas de ça. Passons. Je rentre, je passe chez Martha ce matin, et elle n’est plus là.

— Une idée de l’endroit où elle pourrait être ?

— Non. Si. J’ai une théorie. »

Culverson arrondit les sourcils, joue avec son cigare.

« D’accord. Accouche.

— Martha trompe Brett avec quelqu’un qu’elle appelle N.

— Bon.

— N meurt le 4 juillet – ou du moins, c’est ce qu’elle croit. Elle en parle dans son journal, mais Brett trouve ledit journal. Brett décide que son mariage est mort, et qu’il est libre de partir.

— Accomplir sa mission. »

Je corrige Culverson.

« Sa croisade.

— C’est ça, sa croisade.

— Donc, il part. Martha est perdue, bouleversée ; elle me demande d’aller chercher Brett. Mais pendant que je le cherche, l’amant se révèle être encore vivant, tout compte fait. Ils font leurs retrouvailles, assomment Cortez avec une pelle, et quittent la ville ensemble.

— Sur le dos d’un dragon, ajoute Culverson.

— Tu me taquines.

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