— Ce n’est pas tellement épouvantable. J’ai des amis.
— Votre famille habite-t-elle aussi la colonie ?
Il secoua la tête.
— Je n’ai pas de famille.
— Ah bon ? Elle est restée sur la Terre ?
— Non. Je… je n’ai personne.
— Vous êtes seul au monde ?
— Franchement, je n’ai jamais envisagé les choses sous ce jour mais, au fond, c’est vrai. Je suis seul au monde.
Evelyn demeura un moment sans parler. On dirait une petite fille effrayée, se dit David.
— Moi aussi, je me sens très seule, reprit-elle doucement. C’est… terrible d’être loin des miens, de tous mes amis.
Elle leva son visage vers lui et David l’embrassa. Elle resta quelques instants immobile, serrée contre lui, puis ses lèvres s’ouvrirent et, soudain, elle ne fut plus que passion déchaînée. Son corps se nouait à celui de David qui l’étreignit de toutes ses forces. Ils tombèrent sur le divan à la renverse, allongés côte à côte, et il entreprit de faire glisser sa robe.
— Pas comme ça, murmura-t-elle, un soupçon de rire dans la voix.
Elle se dressa sur son séant tandis qu’il caressait ses jambes souples et lisses et ôta sa robe. Une brève contorsion des hanches et elle fut nue. David commença à déboutonner sa chemise à son tour.
— Tss Tss ! chuchota-t-elle. (Elle l’embrassa à nouveau.) Laisse-moi faire. Étends-toi et ferme les yeux.
Il lui fallut beaucoup plus de temps pour le déshabiller qu’elle n’en avait mis à se dévêtir elle-même mais David n’y trouvait rien à redire. Il sentait sur lui les mains de la jeune fille, son corps, sa langue, la caresse de son épaisse chevelure sur ses cuisses. Il tendit les bras et l’attira à lui. Elle l’enfourcha comme elle avait enfourché la bécane et il explosa en elle.
À présent, il était dans la chambre. Sous un drap léger. Allongée près de lui, le menton dans la main, elle effleurait la poitrine de David du bout des doigts de sa main libre.
— Je crois bien que je me suis endormi, balbutia-t-il.
— Hm-mmm.
Elle se pencha sur lui pour l’embrasser. David répondit du tac au tac et ils refirent l’amour.
Ils étaient l’un contre l’autre. David regardait fixement le plafond qui se perdait dans l’ombre.
— Tu n’as plus peur du noir, maintenant ? fit-il.
— Non. C’est bon. Je te sens contre moi. Je ne suis pas seule.
— Je parie que tu ne dormais jamais sans ton ours en peluche quand tu étais petite.
— Bien sûr. Pas toi ?
— J’avais un terminal près de mon lit. Et, en face de moi, un écran mural. Mais je connais très bien les ours en peluche grâce à mes lectures.
— Tu as toujours été seul ?
— Oh ! je n’étais pas réellement seul. Il y avait toujours des tas de gens autour de moi… des amis, le Dr Cobb…
— Mais tu n’avais pas de famille ?
— Non.
— Pas même une mère ?
Il tourna son visage vers elle. Il n’était pas possible de distinguer l’expression d’Evelyn dans l’obscurité. Il ne discernait que le reflet lunaire de ses cheveux et la courbe d’une épaule nue.
— Je n’ai pas le droit de parler de ça, Evelyn, répondit-il d’une voix lente. Ils ne veulent pas donner matière à de grands articles à sensation avec mon histoire. Les médias se précipiteraient comme un essaim de mouches.
— Tu es le bébé éprouvette.
David laissa échapper un soupir.
— Alors, tu es au courant ?
— J’avais des soupçons. Sur la Terre, je travaillais dans la presse. Il y a des années que la rumeur circule.
— Je suis le résultat d’une sorte d’expérience génétique. Je ne suis pas né comme on naît habituellement. Ma gestation a eu lieu dans le laboratoire de biologie de la colonie. Je suis le premier — et le seul — bébé éprouvette au monde.
Evelyn resta longtemps silencieuse. David attendait qu’elle dise quelque chose, qu’elle le harcèle de questions. Mais non. Rien. Finalement, il lui demanda :
— Est-ce que cela t’embête ? Je veux dire…
Elle lui caressa la joue.
— Mais non, cela ne m’embête pas, grosse bête ! Je me demandais seulement… pourquoi t’ont-ils fait ça ?
Il lui raconta toute l’histoire par bribes. Sa mère appartenait à l’équipe technique qui avait construit Île Un. Elle était morte accidentellement, la poitrine broyée par une plaque d’acier d’une masse inexorable, bien que sans poids, qui s’était désarrimée tandis qu’elle la guidait pour la mettre en place sur la coque extérieure du cylindre.
Avant de mourir, elle avait pu faire savoir au médecin qu’elle était enceinte de deux mois et elle les avait suppliés de sauver le bébé. Elle n’avait pas eu le temps de leur dire qui était le père.
L’équipe biologique était déjà à l’œuvre dans l’un des premiers modules spécialisés de la colonie. Elle avait repris les recherches sur l’A.D.N. que les draconiennes restrictions budgétaires imposées par les pouvoirs publics et l’épouvante absurde de la population qui, hantée par le spectre de Frankenstein, saccageait les laboratoires, avaient étouffé sur la Terre. La colonie était encore loin d’être achevée mais les biologistes avaient bricolé une matrice en plastique pour y placer le fœtus et avait commandé les équipements nécessaires pour qu’il survive.
Le Dr Cyrus Cobb, l’anthropologue à la poigne de fer qui venait d’être nommé directeur de la colonie — à la stupéfaction de tout le monde sauf du directoire et de lui-même — avait passé au peigne fin tous les labos dépendant dudit directoire et réquisitionné le matériel et des spécialistes indispensables. Et le bébé inconnu que personne n’avait réclamé était devenu le grand chouchou des chercheurs.
Les biochimistes l’avaient alimenté. Les généticiens moléculaires avaient testé ses gènes et leur avaient apporté des améliorations dont personne n’avait jamais rêvé. Quand il était « né », le bébé était aussi sain et aussi génétiquement parfait que le permettait la science moderne.
Ces expériences étaient strictement illégales — ou, du moins, extralégales — sur la Terre mais sur la colonie encore en cours d’édification, il n’existait d’autre loi que celle du directoire et elle était souverainement appliquée par Cyrus Cobb qui régnait en maître avec une autorité d’airain et une volonté d’acier. Ayant fait en sorte que le nouveau-né fût physiquement sans défauts, il était, en un second temps, passé à son éducation en commençant dès le premier âge.
— Alors, tu n’as jamais eu ni mère ni père ? demanda Evelyn à mi-voix.
Son souffle chatouillait l’oreille de David qui haussa les épaules sous le drap.
— Je n’ai pas connu ma mère, évidemment. Mais le Dr Cobb a été le meilleur des pères.
— Je suis quand même sûre que…
— Non, c’est vrai. C’est un homme merveilleux. Et je me demande même parfois si… s’il n’est pas mon vrai père. Mon père biologique, je veux dire.
— Ce serait effarant !
— Pour toi, peut-être. Moi, cela me paraît tout à fait normal.
— Mais tu n’as jamais eu de parents proches. Ni sœurs, ni frères, ni…
— Donc, pas de querelles de famille, pas de conflits fraternels. Et toute la communauté scientifique de la colonie était là pour me choyer. Une vraie mère poule ! Je suis toujours un peu sa mascotte et un peu le premier de la classe.
— Sa propriété, plutôt.
— Je ne lui appartiens pas.
— Mais ils ne te laissent pas quitter la colonie, ils t’interdisent d’aller sur la Terre.
David réfléchit, se remémorant toutes les raisons que Cobb lui avait données. Il n’a pas agi par cruauté. Il n’a jamais été cruel envers moi !
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