— « Ouiii… » Le Marionnettiste se tourna vers Prill et parla lentement et longuement dans la langue des Ingénieurs de l’Anneau-Monde. Puis il dit à Louis : « Il y a une réserve de plastique à catalyse électrique. Nous pouvons enrober le cycloplane de plastique, en ne laissant dépasser que les commandes.
— « . N’est-ce pas un peu exagéré ? »
— « Louis, si le cycloplane venait à se libérer, je pourrais être blessé. »
— « Bon… peut-être. Pouvez-vous poser le bâtiment si c’est nécessaire ?
— « Oui. Il y a un contrôle d’altitude. »
— « Alors nous n’avons pas besoin d’un véhicule de reconnaissance. D’accord. Allons-y ! »
Louis se reposait, sans dormir. Allongé sur le dos, sur un grand lit ovale, il regardait à travers le dôme vitré du plafond.
La couronne solaire commençait à luire sur l’arête d’un carré d’ombre. L’aube était proche ; mais l’Arche était encore bleue et brillante dans le ciel noir.
« Je dois être dingue », dit-il.
Et : « Que pouvons -nous faire d’autre ? »
La chambre avait dû faire partie de la suite du gouverneur. C’était maintenant un poste de pilotage. Nessus et lui avaient monté le cycloplane dans un réduit et déversé du plastique tout autour. Puis — avec l’aide de Prill — ils avaient fait passer un courant électrique dans le plastique. La taille du réduit était juste à la mesure.
Le lit avait une odeur de vieux. Il crissait à chacun de ses mouvements.
« Poing-de-Dieu », dit Louis dans l’obscurité. « Je l’ai vu. Quinze cents kilomètres de haut. C’eût été absurde de bâtir une montagne d’une telle hauteur, surtout quand… » Sa voix s’éteignit.
Et, soudain, il s’assit tout droit sur son lit en criant : « Le fil des carrés d’ombre ! »
Une ombre entra dans la chambre.
Louis se figea. L’entrée était sombre. Pourtant, la répartition subtile de courbes d’ombre révélait les mouvements fluides d’une femme nue qui marchait vers lui.
Hallucination ? Le fantôme de Teela Brown ? Elle fut près de lui avant qu’il n’eût décidé. Parfaitement sûre d’elle-même, elle s’assit sur le lit. Elle tendit un bras pour toucher son visage et fit courir la pointe de ses doigts sur sa joue.
Elle était presque chauve. Bien que sa chevelure sombre fût longue et épaisse, et se balançât quand elle marchait, ce n’était qu’une frange large de trois centimètres qui poussait à la base de son crâne. Dans l’ombre, les traits de son visage avaient pratiquement disparu. Mais son corps était charmant. Il voyait ses formes pour la première fois. Elle était mince, avec des muscles effilés comme ceux d’une danseuse professionnelle. Ses seins étaient hauts et lourds.
Si son visage s’était accordé avec sa silhouette…
« Va-t’en », dit Louis sans dureté. Il lui prit le poignet, interrompant le mouvement de ses doigts sur son visage. La caresse avait été douce comme un massage facial chez l’esthéticienne, infiniment relaxant. Il se leva, la força à se mettre debout et la prit par les épaules. S’il se contentait de la faire pivoter et de lui donner une tape sur le postérieur ? …
Elle passa ses doigts le long de son cou, sur les côtés. Elle se servait de ses deux mains, maintenant. Elle le toucha sur la poitrine, ici, là, et Louis Wu fut soudain aveuglé de désir. Ses mains se serrèrent sur les épaules de la fille comme des étaux.
Elle laissa retomber ses bras. Elle attendit sans l’aider, tandis qu’il se débarrassait de sa combinaison. Mais dès qu’il eut exposé plus de peau, elle le caressa ici, et là, pas toujours aux centres nerveux. C’était à chaque fois comme si elle avait touché le centre du plaisir dans son cerveau.
Il était en feu. Si elle le repoussait maintenant, il utiliserait la force ; il devait l’avoir…
… Mais, quelque part en lui-même, il savait qu’elle pourrait le glacer aussi vite qu’elle l’avait chauffé. Il se sentait comme un jeune satyre, mais, en même temps, il avait vaguement conscience d’être une marionnette.
Pour l’instant, il s’en moquait complètement.
Et le visage de Prill était toujours dépourvu d’expression.
Elle l’amena au bord de l’orgasme, puis elle le retint là, le garda… et, lorsque vint le moment, il eut l’impression d’être frappé par un éclair. Mais l’éclair n’en finissait pas, une décharge d’extase flamboyante.
Lorsque ce fut fini, il s’aperçut à peine qu’elle s’en allait. Elle devait savoir à quel point elle l’avait épuisé. Il s’endormit avant qu’elle n’eût atteint la porte.
Et il se réveilla en pensant Pourquoi a-t-elle fait cela ?
J’analyse tanj trop. Elle se sent seule. Il doit y avoir longtemps qu’elle est ici. Elle a maîtrisé un art, et elle n’a jamais l’occasion de le pratiquer…
Art . Elle devait avoir plus de connaissances en anatomie que la plupart des professeurs. Un doctorat de Prostitution ? » La plus vieille profession du monde était plus riche qu’on ne le pensait. Louis Wu savait reconnaître la compétence en n’importe quel domaine. Et cette femme était compétente.
Touchez ces nerfs dans le bon ordre, et le sujet réagira de telle manière. Une connaissance parfaite peut faire d’un homme une marionnette…
… marionnette de la chance de Teela…
Il y était presque. Il en était si près que la réponse, lorsqu’elle vint finalement, ne le surprit pas.
Nessus et Halrloprillalar sortirent à reculons de la chambre froide. Ils tiraient derrière eux la carcasse déplumée d’une volaille plus grosse qu’un homme. Nessus avait entouré la cheville qu’il tenait d’un morceau de tissu, pour épargner à sa bouche le contact de la chair morte.
Louis relaya le Marionnettiste, et se mit à tirer avec Prill. Il s’aperçut qu’il avait besoin de ses deux mains, comme elle. Il répondit à son salut d’un signe de tête et demanda « Quel âge a-t-elle ? »
Nessus ne parut pas surpris de la question. « Je ne sais pas, Louis. »
— « Elle est venue dans ma chambre la nuit dernière. »
Non, ce n’était pas suffisant ; pour un étranger cela ne signifiait rien. « Vous savez que ce que nous faisons pour nous reproduire, nous le faisons aussi pour le plaisir. »
— « Je le savais. »
— « C’est ce que nous avons fait. Elle est experte. Si experte qu’elle doit avoir au moins mille ans de pratique.
— « Ce n’est pas impossible. La civilisation de Prill avait un produit supérieur à l’épice survolteur par son efficacité à maintenir la vie. Ce produit a maintenant une valeur illimitée. Une dose équivaut, à cinquante ans de jeunesse.
— « Savez-vous, par hasard, combien de doses elle a prises ?
— « Non, Louis. Mais je sais qu’elle a marché jusqu’ici. »
Ils avaient atteint l’escalier qui descendait vers le bloc de cellules conique. L’oiseau traînait derrière eux en rebondissant.
— « Marché depuis où ? »
— « Depuis le parapet. »
— « Cinq cent mille kilomètres ? »
— « À peu près. »
— « Racontez-moi tout. Que leur est-il arrivé après avoir traversé le parapet ? »
— « Je le lui demanderai. Je ne sais pas tout. » Et le Marionnettiste se mit à poser des questions à Prill. De pièces et de morceaux, l’histoire émergea :
Le premier groupe de sauvages qu’ils rencontrèrent les prit pour des dieux. Il en fut de même avec tous ceux qu’ils rencontrèrent par la suite, à une constante exception près.
Leur condition de dieux résolut un de leurs problèmes. Les membres de l’équipage dont les cerveaux avaient été touchés par l’accident du brone cziltang à moitié réparé furent laissés aux soins de différents villages. En tant que dieux résidents, ils seraient bien traités ; et, en tant qu’idiots, ils seraient relativement inoffensifs dans leur rôle de dieux.
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