— Oui, Orateur.
— Et vous l’avez comparé aux développements actuels ?
— Oui, Orateur. » Puis après une pause : « Je suis absolument confondu, Orateur.
— Je sais. Votre étonnement ne me surprend pas. Si vous saviez combien d’hommes ont travaillé pendant des mois – des années, en fait – pour donner à l’œuvre le fini de la perfection, vous seriez moins stupéfait. Maintenant expliquez-moi – en paroles – ce qui s’est passé. Je désire que vous traduisiez cela du langage mathématique.
— Oui, Orateur. » Le jeune homme ordonna ses idées. « Il était primordial de persuader les hommes de la Première Fondation qu’ils avaient démasqué et détruit la Seconde Fondation. De cette façon, ils recouvreraient leur initiative originelle. A tous points de vue, Terminus perdrait la notion de son existence et ne nous ferait plus intervenir dans aucun de ses calculs. Une fois de plus, nous avons replongé dans la nuit – au prix de la perte de cinquante hommes.
— Et le rôle de la guerre kalganienne ? Quel était-il ?
— De démontrer à la Fondation qu’elle était capable de vaincre un ennemi physique – d’effacer les dommages causés à son amour-propre et à sa confiance en soi par le Mulet.
— Votre analyse est incomplète sur ce point. Souvenez-vous : la population de Terminus nous considérait avec une nette ambiguïté. D’autre part, elle haïssait et jalousait notre supériorité présumée ; et d’autre part, elle s’appuyait implicitement sur nous pour sa protection. Si nous avions été « détruits « avant la guerre kalganienne, la panique se serait déclarée à travers la Fondation. Ils n’auraient jamais eu le courage suffisant pour résister à Stettin lorsqu’il aurait déclenché son attaque ; ce qu’il n’aurait pas manqué de faire. C’est seulement dans les transports de la victoire que cette « destruction « pouvait avoir lieu avec le minimum d’inconvénients. Un délai consécutif d’un an eût provoqué un trop grand refroidissement de cet enthousiasme qui était notre plus sûr garant de succès. »
L’étudiant hocha la tête. « Je vois. Ainsi l’histoire va reprendre son cours, sans dévier, dans la direction indiquée par le Plan.
— A moins d’incidents imprévus de caractère individuel, fit remarquer le Premier Orateur.
— Et pour y parer, dit l’étudiant, nous sommes toujours là. Pourtant… Un aspect de la situation présente m’inquiète, Orateur. La Première Fondation conserve ce dispositif que l’on appelle « station de brouillage mental « - et qui constitue une arme redoutable dirigée contre nous. C’est un fait nouveau.
— Votre remarque est pertinente. Mais, faute d’adversaires, cet artifice devient sans objet ; de même que, privée de l’aiguillon de la menace que faisait peser sur eux notre influence, l’analyse encéphalographique deviendra une science stérile. D’autres variantes de la connaissance leur apporteront des résultats plus tangibles et plus immédiats. Si bien que la première génération des spécialistes de la science psychique sera aussi la dernière, et, dans un siècle, la station de brouillage mental ne sera plus qu’un souvenir enseveli dans des archives poussiéreuses.
— Eh bien, dit l’étudiant, après avoir examiné mentalement la situation, je suppose que vous avez raison.
— Mais le point sur lequel je désire surtout attirer votre attention, jeune homme, pour le plus grand bien de votre avenir au sein du Conseil, c’est l’importance que nous avons accordée aux infimes interférences qui ont affecté notre plan au cours des quinze dernières années, en raison du fait que nous devons tenir compte des réactions individuelles. C’est ainsi que Pelleas Anthor devait attirer les soupçons sur sa personne de manière telle qu’ils viendraient à maturité au moment approprié. Mais cela, c’était relativement simple.
« Nous devions également manipuler l’atmosphère régnant sur Terminus, de telle manière que nul ne soit averti prématurément que Terminus pourrait bien être le centre cherché. Cette notion devait être instillée à la jeune Arcadia dont, après, seul son père aurait la garde. Par la suite, il a fallu l’expédier sur Trantor pour prévenir tout contact prématuré entre le père et l’enfant. Ces deux êtres constituaient les deux pôles opposés d’un moteur hyperatomique, dont aucun ne réagissait sur l’autre. Il fallait actionner le commutateur – provoquer le contact – rigoureusement au moment prévu. J’y ai pourvu !
« Et la bataille finale devait être convenablement menée. Les équipages de la flotte de la Fondation virent leur moral exalté, cependant que ceux de Kalgan étaient conditionnés pour la défaite. J’y ai pourvu également !
— Il me semble, Orateur, que vous, que nous tous, comptions sur le fait que le docteur Darell ne soupçonnait pas Arcadia d’être notre instrument. Si j’en crois la vérification à laquelle je me suis livré sur nos calculs, il y avait trente chances sur cent qu’il soupçonnât la vérité. Que se serait-il passé dans ce cas ?
— Nous avions prévu cette éventualité. Que vous a-t-on enseigné sur le conditionnement des plateaux ? En quoi consiste-t-il ? Certainement pas en l’introduction d’un indice permettant de mettre en évidence une déformation émotionnelle. On peut procéder à cette opération sans qu’il soit possible de la détecter par la plus fine des analyses encéphalographiques. C’est la conséquence du théorème de Loffet, comme vous le savez. C’est le prélèvement, la suppression d’une tendance émotionnelle précédente qui seule est apparente. Qui doit obligatoirement apparaître.
« Et, bien entendu, Anthor fit en sorte que Darell fût informé du conditionnement des plateaux.
« Cependant, à quel moment peut-on conditionner un individu sans que la chose soit visible ? Lorsqu’il n’existe aucune tendance préalable qu’il soit nécessaire d’extirper. En d’autres termes, lorsque l’individu est un enfant nouveau-né dont le cerveau est encore une cire vierge. Il y a quinze ans, Arcadia était précisément un nouveau-né, ici même sur Trantor, à l’époque où nous posions la première pierre du Plan. Elle ignorera toujours qu’elle a été conditionnée et ne s’en trouvera que mieux, puisque ce conditionnement impliquait le développement d’une personnalité précoce et intelligente. »
Le Premier Orateur eut un rire bref.
« En un certain sens, c’est le côté paradoxal de toute l’affaire qui est le plus stupéfiant. Pendant quatre cents ans, tant d’hommes ont été obnubilés par cette phrase de Seldon : « L’autre bout de la Galaxie. « Ils ont concentré leur appareillage de sciences physiques sur le problème, mesurant « l’autre bout « avec règles à calculer et rapporteurs, pour aboutir en un point situé à cent quatre-vingts degrés sur le périmètre de la Galaxie, ou revenir à leur point de départ.
« Cependant le plus grand danger que nous encourions résidait dans le fait qu’il existait une solution possible, basée sur la manière de penser en termes de physique. La Galaxie n’est en aucune manière un objet ovoïde de forme lenticulaire ; sa circonférence ne constitue pas davantage un circuit fermé. Il s’agit, en réalité, d’une double spirale, dont les quatre-vingts pour cent des planètes habitées se trouvent sur le bras principal. Terminus est à la pointe extrême de cette spirale principale, et nous à l’autre. En effet, quelle est l’extrémité opposée d’une spirale ? Son centre, bien entendu…
« Mais ce n’est là qu’un détail sans importance. Une solution accidentelle et fortuite. La véritable solution aurait pu être trouvée immédiatement si seulement les chercheurs avaient voulu se souvenir que Hari Seldon était un spécialiste en sociologie et non un physicien, et s’ils avaient ajusté leurs raisonnements en conséquence. Que pouvait signifier l’expression « bouts opposés « dans la bouche d’un sociologue ? Des points diamétralement opposés sur la carte ? Non, bien entendu. Ce serait là une interprétation purement mécanique.
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