Les deux jeunes gens s’éloignèrent d’un pas vif. Les chiens vagabondaient gaiement devant eux dans les buissons. À trois kilomètres des cavernes, les chiens sentirent le gibier et aboyèrent. Burl et Saya se précipitèrent, prêts à frapper, brandissant leur lance. Cela ne ressemblait guère à la façon dont ils se comportaient autrefois lorsqu’ils rencontraient un grand carnivore. Ils trouvèrent la meute en train de sauter et d’aboyer autour d’un hanneton carnivore de l’espèce la plus féroce. Il n’était pas extraordinairement grand. Son corps ne mesurait pas plus d’un mètre de long. Mais ses affreuses mandibules doublaient sa longueur.
Les mandibules, qui ressemblaient à des faux, s’agitaient de droite à gauche comme toutes les mâchoires d’insectes tandis que le hanneton tournoyait pour atteindre les chiens. Les pattes de l’insecte étaient pointues, cornues, munies de piquants aiguisés comme des poignards.
Burl se jeta dans la bataille. Les grandes mandibules du hanneton cliquetaient et s’entrechoquaient. Elles pouvaient éventrer un homme ou couper un chien en deux. On entendait siffler l’insecte par ses évents abdominaux. Il se battait furieusement, chargeant les chiens qui tournaient autour de lui.
Burl et Saya étaient aussi absorbés et excités que leur meute. Sinon ils auraient remarqué dans le ciel un objet qui allait changer la face des choses pour tous les humains sur la planète oubliée. D’ailleurs, cet objet qu’ils n’avaient pas vu dépassait totalement leur entendement. Depuis des milliers d’années, il n’était rien venu de semblable sur cette planète. Il s’agissait d’une sorte de fuseau argenté qui flottait tout seul dans les airs à une dizaine de kilomètres de là, et à trois cents mètres d’altitude environ.
Au moment où Burl et Saya attaquèrent le hanneton, la fusée bascula et piqua rapidement dans leur direction.
L’appareil était silencieux. Et ils ne le remarquèrent pas. Ils n’avaient aucune raison de scruter le ciel pendant la journée. Et, de toute façon, ils étaient bien assez occupés pour le moment.
Burl fit un bond vers le hanneton, visant avec sa lance la jointure d’une des pattes cuirassées. Il manqua son coup. Le hanneton tourna. Saya jeta sa cape devant le monstre. Il la prit pour un adversaire et tourna dans l’autre sens pour l’attaquer. Alors Burl frappa de nouveau et atteignit une des pattes postérieures.
Aussitôt, la bête se mit à boiter. Le hanneton ne se sert pas de ses pattes comme les quadrupèdes. Il déplace les deux pattes postérieures d’un côté et la patte du milieu de l’autre, de sorte qu’il se tient toujours sur une espèce de trépied réglable. Il ne peut s’adapter facilement quand il est blessé. Un chien s’agrippa à une autre patte, la mordit et prit la fuite.
Le monstre poussa un cri profond. Une férocité inimaginable se déclencha en lui. La lutte devint un tourbillon de mouvements furieux. Burl et Saya manœuvraient de concert. Burl frappait aux yeux pour que la douleur détourne la bête de Saya. La jeune fille agitait sa cape pour que l’insecte abandonne Burl.
Le hanneton s’écroula soudain sur le sol. Trois de ses pattes étaient immobilisées. Les trois autres se débattaient dans le vide. Il se retourna sur le dos, agitant toujours ses énormes mandibules dans l’espoir de tuer. Mais Burl enfonça sa lance entre deux plaques de la cuirasse. Le coup acheva le monstre.
Burl et Saya se regardaient en souriant lorsqu’ils entendirent un bruit effroyable dans les arbres. Ils se retournèrent. Les chiens aboyèrent.
Quelque chose d’énorme venait de se poser sur le sol à deux cents mètres de là. C’était l’écrasement des arbres qui avait produit ce bruit extraordinaire. L’objet était métallique. Il y avait des portes sur ses côtés. Tout cela dépassait évidemment l’imagination de Burl et de Saya. Et ceci pour la bonne raison que depuis quarante générations aucun navire spatial n’avait atterri sur leur planète.
Tandis que les deux jeunes gens, stupéfaits, contemplaient ce phénomène étrange, une porte s’ouvrit et des hommes en sortirent. Tout en émergeant de leur fusée, les passagers du navire essayaient d’interpréter le spectacle qu’ils avaient sous les yeux. Ils voyaient un homme et une femme curieusement vêtus, qui venaient de se battre contre une sorte de monstre. Ils avaient été aidés dans cette lutte par leurs chiens. C’était bon signe. Des hommes et des chiens associés, cela semblait indiquer la présence d’une civilisation.
Ce furent les chiens qui donnèrent aussitôt une démonstration de parfaits civilisés. Leur comportement fut admirable. Ils trottèrent sans méfiance vers le navire et reniflèrent aimablement les hommes qui en sortaient. Ils accueillaient les nouveaux arrivants avec la cordialité confiante de chiens qui ont toujours entretenu les meilleures relations avec l’espèce humaine.
Ce fut cette attitude des chiens qui servit à déterminer celle des humains.
Les voyageurs considéraient que le comportement d’un homme envers son chien donnait une indication parfaitement valable sur son caractère. D’autre part, les habitants de la planète s’aperçurent que les nouveaux arrivants savaient comment traiter les chiens.
Burl et Saya s’avancèrent pour accueillir les étrangers avec la dignité et la gentillesse de deux enfants bien élevés.
Le navire spatial était le Wapiti. C’était un yacht privé dont les passagers combinaient les plaisirs de la chasse avec des recherches scientifiques effectuées en amateurs. Au retour d’un fructueux safari, ils effectuaient une exploration pour le compte du Service de Prospection biologique. C’était dans ce but qu’ils s’étaient posés sur la planète oubliée… qui jamais plus ne serait oubliée.
Ainsi, le premier navire spatial à se poser sur la planète avait été Téthys. L’Orana lui avait succédé et, quelques siècles plus tard, le Ludred.
Puis, jusqu’à l’apparition du Wapiti, la planète avait été oubliée.
C’était le hasard qui avait provoqué la disparition d’une fiche et l’oubli par le monde civilisé d’une planète inhabitée. Ce fut aussi le hasard qui, au bout de quelques milliers d’années, remit la planète sur les cartes.
Un des savants attachés au Service de Prospection biologique avait noté le soleil qui éclairait la planète oubliée comme étant de ceux dont les satellites sont habitables par l’homme. Il avait consulté les fichiers et n’avait pas trouvé de documentation se rapportant à ce système solaire. Par sa situation, une planète surtout lui paraissait intéressante. Il avait fait alors une proposition aux propriétaires du navire spatial Wapiti. Ceux-ci partaient pour une série de grands safaris. Un crochet dans l’espace pouvait leur permettre d’inspecter la planète inconnue sans pour cela se détourner de leur route. Consentaient-ils à le faire ?
Les chasseurs acceptèrent avec enthousiasme.
Se poser sur une planète inconnue leur avait paru une aventure intéressante. Y découvrir des êtres humains était une expérience passionnante. Cependant, lorsque, sortis de leur vaisseau spatial, les passagers du Wapiti se trouvèrent face à face avec Saya et Burl, ils se demandèrent comment ils allaient entrer en contact avec le jeune couple. Ils étaient déroutés par ces costumes barbares et ces armes primitives. Ils essayèrent d’entamer la conversation. Mais en quarante siècles le langage des gens civilisés avait évolué tandis que le vocabulaire des hommes oubliés sur la planète s’était réduit à une sorte de patois archaïque.
Heureusement, les voyageurs de l’espace avaient emporté avec eux une merveille électronique baptisée « Éducateur ». C’était une espèce de cerveau. On l’employait dans toute la Galaxie pour l’éducation des très jeunes enfants. Grâce à l’Éducateur, ces derniers assimilaient sans effort les premières notions scolaires. La machine leur apprenait à lire, à écrire, à compter. Elle leur inculquait des bases d’hygiène, de géographie, d’astronomie et de mathématiques.
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