Murray Leinster - La planète oubliée

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La Terre était surpeuplée. Les autres planètes du système solaire également. En fait, toutes les planètes de la Galaxie qui avaient été colonisées étaient main­tenant surpeuplées. Il était absolument nécessaire de trouver des mondes nouveaux où les hommes puis­sent vivre.
Des raids spatiaux furent organisés. On découvrit d’autres mondes. Mais ils étaient décevants. Car ils ne possédaient aucun trace de vie. Or l’homme ne peut s’implanter que là où la vie — n’importe quelle forme de vie — l’a précédé. Cette vie, on décida donc de la créer. Des navires-laboratoires se mirent à parcourir le vide, ensemençant les planètes vierges, déversant des spores sur les sols et du plancton dans les océans, installant des plantes, des poissons, des insectes, préparant la venue des mammifères et de l’homme.
Plusieurs mondes stériles devinrent ainsi habitables.
Mais un jour, un accident survint…

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Ils ne pouvaient s’habituer à la végétation qu’ils voyaient autour d’eux. Jusque-là, ils n’avaient vu que des champignons gigantesques ou quelques plantes telles que les choux qui s’efforçaient désespérément de produire une semence avant d’être submergés par les champignons. Ici, c’était le contraire. Il poussait de nombreuses plantes, mais aucun champignon. D’ailleurs, ils étaient stupéfaits de la minceur et de la dureté des arbres. Et l’herbe les fascinait.

Une autre chose encourageait beaucoup les nouveaux venus. Nulle part ils ne découvrirent les débris monstrueux qui jonchaient normalement le terrain de chasse d’un insecte carnivore. Le domaine d’une araignée était toujours encombré des restes macabres de son repas. Là où rôdaient les mantes religieuses, on trouvait des ailes de hannetons et des débris de carcasses.

Ainsi, pendant la première heure de leur exploration, les hommes ne virent rien qui indiquât la présence d’un insecte géant du genre de ceux qui hantaient les basses terres. Évidemment, ils ne pouvaient pas être sûrs que les monstres ne montaient jamais jusque-là. Au moins pouvaient-ils espérer, avec raison, que ces irruptions étaient rares.

La découverte de la caverne avait soulagé tout le monde. Ils avaient l’habitude de s’abriter dans des grottes. Plus tard peut-être, les arbres leur donneraient-ils un sentiment de sécurité. Ils avaient été stupéfaits de la solidité de leurs troncs, car ils n’avaient jamais connu que des cuirasses d’insectes ou des pierres aussi dures que le bois. Mais, ce soir-là, mieux valait se fier à un abri connu.

Lorsque le soleil baissa et que l’ouest s’empourpra, ils se sentirent moins heureux. Ils regardèrent leur premier coucher de soleil avec des yeux incrédules et inquiets. Ils observèrent les teintes jaunes, rouges et pourpres du couchant. Ils les virent disparaître. Ils virent le soleil descendre derrière quelque chose d’inconnu. Puis ce fut l’obscurité.

Ce fait les frappa de stupeur. C’était donc ainsi que la nuit venait !

Alors ils découvrirent les étoiles pour la première fois, tandis qu’elles s’allumaient une à une. Ces lumières leur firent peur. Ils allèrent s’entasser comme des fous dans la caverne, cette caverne dans laquelle flottait toujours l’odeur du premier occupant. Ils se serrèrent les uns contre les autres. Seul, Burl eut quelque répugnance à admettre sa frayeur. Saya et lui furent les derniers à entrer dans la cachette.

Et il ne se passa rien, absolument rien. Les étoiles ne les attaquèrent pas.

Le coucher de soleil avait été accompagné de bruits tout à fait étranges aussi. Certains d’entre eux continuèrent pendant la nuit. Ils étaient plutôt réconfortants. Il semblait aux humains que c’était ainsi que les bruits de la nuit devaient être.

Sans doute, Burl et les autres étaient-ils guidés par leur mémoire ancestrale. C’était la première fois en quarante générations que, sur la planète oubliée, des êtres humains se trouvaient dans un milieu naturel qui leur convenait vraiment. Aussi, en dépit de sa nouveauté, cette expérience leur semblait favorable.

Burl, à cause de son caractère particulier, était plus capable que les autres d’apprécier les hautes terres. Assis près de l’entrée de la caverne, il écoutait les bruits de la nuit. Il entendait en même temps la respiration de ses compagnons. Il sentait la chaleur de leurs corps. Saya serrait sa main et se rassurait par ce contact. Mais Burl ne pouvait pas dormir. Il réfléchissait.

Saya, elle, était troublée par l’inconnu de ce nouveau monde. Elle était soulagée de ne rien voir autour d’elle des horreurs familières. Elle se souvenait avec fierté de la façon dont Burl donnait des ordres et conduisait son groupe. Elle s’absorbait dans le souvenir tout neuf de l’aspect du soleil et de la sensation de chaleur qu’elle avait ressentie. Elle pensait au ciel, à l’herbe et aux arbres qu’elle avait vus pour la première fois. Confusément, elle se souvint aussi que Burl avait tué une araignée, une araignée ! Il avait montré comment on pouvait échapper à une mante religieuse en lui jetant une fourmi. Il avait guidé tout le monde en haut d’une montagne que personne n’avait songé à escalader. Et le mille-pattes géant les aurait tous dévorés si Burl n’avait pas distribué des ordres et donné l’exemple. Et c’était Burl, encore, qui avait grimpé en tête de la troupe alors qu’ils avaient tous l’impression que le monde chavirait autour d’eux…

Enfin, Saya s’endormit. Burl veillait, l’oreille tendue. Soudain, le cœur battant très fort, il se glissa hors de la caverne.

Le jeune homme regarda tout autour de lui dans l’obscurité. Il ressentit d’abord une fraîcheur comme il n’en avait jamais connu jusque-là. Il y avait aussi dans l’air des odeurs qu’il n’avait jamais rencontrées : des odeurs de plantes vertes, l’odeur saine du vent et l’odeur étrangement agréable des arbres résineux.

Mais ce fut vers les cieux que Burl dirigea ses regards. Il vit les étoiles dans toute leur splendeur. Il était le premier humain en deux mille ans à les contempler de cette planète. Il y en avait des myriades et des myriades, dont l’éclat allait de la lueur aveuglante au clignotement infinitésimal. Elles étaient de toutes les couleurs possibles. Elles étaient accrochées dans le ciel au-dessus de lui, immobiles. Elles n’étaient pas hostiles. Elles ne l’attaquaient pas. Elles étaient magnifiques.

Burl était perdu dans sa contemplation. Mais soudain il remarqua qu’il respirait profondément, avec une délectation nouvelle. Il emplissait ses poumons d’air pur, frais et parfumé, l’air que les hommes auraient dû respirer depuis toujours et dont Burl et bien d’autres avaient été privés. C’était enivrant de se sentir à la fois si merveilleusement vivant et si totalement rassuré.

Le jeune homme entendit un faible bruit. Saya se tenait près de lui. Elle tremblait un peu. Il lui avait fallu un grand courage pour quitter les autres. Mais elle savait maintenant que, si Burl courait un danger, elle voulait le partager avec lui.

Ils écoutèrent le vent nocturne et la musique des chanteurs de la nuit. Ils s’éloignèrent un peu de l’entrée de la caverne. Burl n’avait vraiment pas peur de l’obscurité, Saya en ressentait une immense fierté. Sa propre inquiétude ajoutait encore à cette fierté. Elle éprouvait une intense satisfaction de pouvoir à la fois trembler devant les dangers et se sentir en sécurité près de l’homme qu’elle aimait.

Soudain, les deux jeunes gens perçurent un nouveau bruit. Il était très éloigné. Il ne ressemblait à aucun son connu d’eux. En effet, il changeait constamment de note, ce qui n’était pas le cas des cris d’insectes. C’était une sorte d’aboiement, de jappement. Il s’éleva, resta sur une note haute et, brusquement, devint plus grave avant de cesser tout à fait. Quelques minutes plus tard, il recommença.

Saya frissonna. Mais Burl dit pensivement :

— C’est un bon bruit.

Il ne savait pas pourquoi.

Saya frissonna de nouveau. Elle déclara à contrecœur :

— J’ai froid.

Sur les basses terres, la sensation de froid avait été rare. On l’éprouvait quelquefois après un violent orage, lorsqu’on se trouvait en même temps mouillé par la pluie et exposé aux rafales du vent. Sur la montagne, en revanche, les nuits devenaient fraîches après le coucher du soleil. La chaleur se dégageait du sol sans être interceptée par une couche de nuages. Il y avait quelquefois de la gelée blanche.

Burl et Saya revinrent à la caverne. Les respirations des dormeurs et l’entassement de leurs corps y entretenaient une chaleur agréable. Les jeunes gens s’allongèrent. Saya s’assoupit en tenant la main de Burl. Lui, il resta éveillé longtemps encore. Les étoiles lui paraissaient trop étranges pour être comprises. Il réfléchissait aux arbres et à l’herbe. Il décida que cet univers nouveau était si loin de ce qu’il avait connu jusqu’alors qu’il ne pouvait pas le juger. Mais il ressentait pourtant une intense satisfaction d’y avoir amené ses compagnons.

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