Baley se retourna avec curiosité.
— Je suppose qu’elle peut servir aussi à ceux qui veulent descendre, mais qu’arrive-t-il s’il y a un moment où plus de gens veulent monter que descendre ? Est-ce qu’elle finirait par se dresser d’un kilomètre dans les airs ? Ou par plonger d’autant dans le sol, dans le cas contraire ?
— Ceci est une spirale montante, répondit Daneel à voix basse. Il y a des spirales descendantes séparées.
— Mais il faut bien qu’elle redescende, n’est-ce pas ?
— Elle s’affaisse au sommet – ou au fond selon le côté dont nous parlons – et, en périodes de non-emploi, elle se détend, pour ainsi dire. Cette spirale montante est en train de descendre, camarade Elijah.
Baley se retourna de nouveau. La surface lisse glissait peut-être vers le bas mais aucune irrégularité, aucun mouvement ne se remarquait.
— Et si quelqu’un veut s’en servir quand elle est montée aussi haut qu’elle le peut ?
— Alors cette personne doit attendre la détente, qui dure moins d’une minute… Il y a aussi des escaliers normaux, camarade Elijah, et la plupart des Aurorains ne dédaignent pas de les emprunter. Les robots prennent presque toujours l’escalier. Comme vous êtes un visiteur, on vous offre la spirale par courtoisie.
Ils suivaient de nouveau un couloir, en direction d’une porte plus décorée que les autres.
— Ils me traitent avec courtoisie, donc, dit Baley. C’est bon signe.
Peut-être était-ce également bon signe qu’un Aurorain apparaisse maintenant, ouvrant la porte sculptée. Il était grand, d’au moins dix centimètres de plus que Daneel qui en avait au moins cinq de plus que Baley. L’homme, sur le seuil, était puissant, assez trapu, avec une figure ronde, un nez plutôt bulbeux, des cheveux noirs frisés, un teint basané. Il souriait.
On remarquait surtout le sourire, large, apparemment sincère, montrant de grandes dents bien blanches et régulières.
— Ah ! s’exclama-t-il. C’est Mr Baley, le célèbre enquêteur de la Terre, qui vient sur notre petite planète pour démontrer que je suis un abominable malfaiteur. Entrez, entrez. Vous êtes le bienvenu. Je regrette que mon assistant zélé, le roboticien Maloon Cicis, vous ait donné l’impression que je ne vous recevrais pas, mais c’est un garçon prudent et il s’inquiète beaucoup plus que moi de mon temps précieux.
Il s’écarta pour laisser entrer Baley et lui donna une petite claque sur l’épaule au passage. Selon toute apparence, c’était un geste d’amitié, comme Baley n’en avait pas encore connu à Aurora.
Avec prudence (en se demandant s’il n’espérait pas trop), il dit :
— Si je ne me trompe pas, vous êtes le Maître roboticien Kelden Amadiro ?
— Tout juste, tout juste. Celui qui cherche à détruire le Dr Han Fastolfe en tant que puissance politique sur cette planète… mais cela, comme j’espère vous en convaincre, ne fait pas de moi un criminel. Après tout, je ne cherche pas à prouver que c’est Fastolfe le malfaiteur, à cause simplement de cet acte de vandalisme ridicule commis contre sa propre création, le pauvre Jander. Disons simplement que je vais démontrer que Fastolfe… se trompe.
Il fit un geste et le robot qui les avait guidés s’avança et alla se placer dans une niche.
Tandis que la porte se fermait, Amadiro désigna aimablement à Baley un fauteuil confortable et, avec une admirable économie de gestes, indiqua de l’autre main des niches pour Daneel et Giskard.
Baley remarqua qu’Amadiro examinait Daneel avec une envie non dissimulée et que, pour un instant, son sourire disparaissait pour faire place à une expression presque gourmande. Mais elle s’effaça aussitôt et le sourire reprit sa place. Ce fut si rapide que Baley se demanda s’il n’avait pas imaginé ce changement d’expression fugace.
— Comme tout porte à croire que nous allons avoir à supporter un peu de mauvais temps, dit Amadiro, je pense que nous pouvons nous passer de ce jour assez douteux qui nous éclaire si inefficacement.
Sans que Baley sache comment (il ne vit pas très bien ce que faisait Amadiro sur le tableau de commandes de son bureau), les fenêtres s’opacifièrent et les murs brillèrent d’un agréable éclairage tamisé.
Le sourire d’Amadiro parut s’élargir.
— En réalité, nous n’avons pas grand-chose à nous dire, monsieur Baley. J’ai pris la précaution de parler à Mr Gremionis, pendant que vous étiez en route pour venir ici. Après l’avoir entendu, j’ai décidé d’appeler aussi le Dr Vasilia. Apparemment, vous les avez plus ou moins accusés tous les deux de complicité dans la destruction de Jander et, si j’ai bien compris, vous m’avez accusé également.
— J’ai simplement posé des questions, docteur Amadiro, comme j’ai l’intention de le faire maintenant.
— Sans doute, sans doute, mais vous êtes un Terrien, alors vous ne vous rendez pas compte de la gravité de vos actes et je suis sincèrement navré que vous deviez en subir les conséquences. Vous savez probablement que Mr Gremionis m’a envoyé une note concernant vos diffamations.
— Il me l’a dit, mais il a mal interprété mon attitude. Ce n’était pas de la diffamation.
Amadiro pinça les lèvres, comme s’il réfléchissait à ce propos.
— J’ose dire que vous avez raison, à votre point de vue, mais vous ne comprenez pas la définition auroraine de ce mot. J’ai été obligé de transmettre la note de Gremionis au Président et, en conséquence, il est fort probable que vous serez expulsé de la planète dès demain matin. Je le regrette, naturellement, mais je crains que votre enquête soit sur le point de toucher à sa fin.
Baley fut pris de court. Il ne savait que penser d’Amadiro et ne s’était pas attendu à être aussi déconcerté. Gremionis avait dit que le Maître était « distant ». D’après ce qu’avait dit Cicis, il pensait avoir à affronter un autocrate. En personne, cependant, Amadiro paraissait jovial, ouvert, presque amical. Pourtant, à l’en croire, Amadiro s’appliquait calmement à arrêter l’enquête. Il le faisait impitoyablement et cependant avec un petit sourire de commisération.
Quel homme était-il ?
Machinalement, Baley jeta un coup d’œil vers les niches où se tenaient Daneel et Giskard, le primitif Giskard sans expression, bien entendu, et Daneel, plus calme et tranquille. Il trouvait assez improbable que Daneel, durant sa brève existence, ait jamais rencontré Amadiro. Giskard, d’autre part, au cours de ses nombreuses années de vie (combien ?) avait fort bien pu le connaître.
Baley serra les lèvres en pensant qu’il aurait pu demander à Giskard quel genre d’homme était Amadiro. S’il avait pris cette précaution, il serait maintenant plus capable de juger dans quelle mesure l’attitude actuelle du roboticien était naturelle ou savamment calculée.
Pourquoi diable, pensa-t-il, n’avait-il pas plus intelligemment utilisé les ressources de ses robots ? Et pourquoi Giskard ne l’avait-il pas renseigné de lui-même… mais non, c’était injuste. Giskard était évidemment incapable d’une telle activité autonome. Il renseignait à la demande mais ne ferait jamais rien de sa propre initiative.
Amadiro, suivant le bref regard de Baley, dit :
— Je suis seul contre trois, on dirait. Comme vous le voyez, je n’ai aucun de mes robots dans mon bureau, bien qu’ils soient tous instantanément disponibles à mon appel, je l’avoue, alors que vous avez les robots de Fastolfe ; ce bon vieux Giskard, et cette merveille d’ingéniosité, Daneel.
— Je vois que vous les connaissez tous les deux, dit Baley.
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