— Je reconnais que j’ai autorisé le Dr Fastolfe à faire procéder à ces investigations et que ce n’était peut-être pas la sagesse. Je dis bien peut-être. J’avoue que je suis tenté d’y mettre fin. Et cependant le Terrien (il feignait d’ignorer la présence de Baley dans la pièce) est déjà ici depuis quelque temps…
Le Président s’interrompit, comme pour donner à Fastolfe l’occasion de le confirmer :
— C’est le troisième jour de son enquête, monsieur le Président.
— Dans ce cas, et avant d’y mettre fin, il serait juste, je crois, de demander s’il a déjà découvert des indices importants.
Il s’interrompit encore une fois. Fastolfe jeta un rapide coup d’œil à Baley et fit un petit geste de la main pour l’inviter à parler.
— Je ne souhaite pas, monsieur le Président, dit Baley d’une voix posée, me permettre des observations si je n’en suis pas prié. Est-ce qu’une question m’est posée ?
Le Président fronça les sourcils. Sans regarder Baley, il déclara :
— Je la pose. Je demande à Mr Baley, de la Terre, s’il a découvert des choses importantes.
Baley respira profondément. C’était son tour.
— Monsieur le Président, commença-t-il, hier après-midi j’ai interrogé le Dr Amadiro, qui m’a apporté son concours de bonne grâce et m’a été très utile. Quand mon personnel et moi sommes partis…
— Votre personnel ? interrompit le Président.
— J’étais accompagné par deux robots, durant toutes les phases de mon enquête, monsieur le Président.
— Des robots appartenant au Dr Fastolfe ? Demanda Amadiro. Je tiens à ce que ce soit précisé pour la forme.
— Pour la forme, oui, répondit Baley. L’un d’eux est Daneel Olivaw, un robot humaniforme, et l’autre Giskard Reventlov, un robot non humaniforme, plus ancien.
— Merci, murmura le Président. Continuez.
— Quand nous avons quitté l’enceinte de l’Institut, nous avons constaté que notre aéroglisseur avait été saboté.
— Saboté ? s’exclama le Président avec un sursaut. Par qui ?
— Nous ne savons pas, mais cela s’est fait dans l’enceinte de l’Institut. Nous étions là sur invitation, le personnel de l’Institut savait donc que nous viendrions. De plus, personne d’autre n’aurait pu être là sans invitation et à l’insu du personnel de l’Institut. Si la chose était concevable, il faudrait en conclure que le sabotage n’a pu être commis que par quelqu’un du personnel de l’Institut, ce qui est inconcevable, à moins que ce ne fût sur l’ordre du Dr Amadiro en personne, ce qui est tout aussi inconcevable.
— Vous m’avez l’air de beaucoup concevoir l’inconcevable, dit Amadiro. Est-ce que l’aéroglisseur a été examiné par un technicien qualifié, pour confirmer qu’il a réellement été saboté ? Ne pourrait-il s’agir d’une panne accidentelle ?
— Non, monsieur, il n’a pas été examiné, répondit Baley, mais Giskard, qui est qualifié pour conduire un aéroglisseur, et qui a très fréquemment conduit celui-ci, affirme qu’il a été saboté.
— Et il fait partie du personnel du Dr Fastolfe, il est programmé par lui et il reçoit quotidiennement ses ordres de lui, fit observer Amadiro.
— Suggérez-vous…? demanda Fastolfe.
Amadiro leva benoîtement une main.
— Je ne suggère rien. Je fais une simple déclaration… pour les annales.
Le Président s’agita un peu.
— Si Mr Baley, de la Terre, veut bien continuer.
— Quand l’aéroglisseur est tombé en panne, reprit Baley, nous étions poursuivis.
— Poursuivis ?
— Par d’autres robots. Ils sont arrivés mais, à ce moment, mes robots étaient partis.
— Un instant, dit Amadiro. Dans quel état étiez-vous à ce moment, monsieur Baley ?
— Je n’allais pas parfaitement bien.
— Pas parfaitement bien ? Vous êtes un Terrien, vous n’êtes pas habitué à la vie en dehors du décor artificiel de vos Villes. Vous êtes mal à l’aise à l’Extérieur, n’est-ce pas, monsieur Baley ?
— En effet.
— Et il y avait hier soir un violent orage, comme le Président s’en souvient certainement. Ne serait-il pas plus juste de dire que vous alliez très mal ? Que vous étiez à demi inconscient, sinon mourant ?
— Je me sentais très mal, c’est vrai, avoua Baley.
— Alors comment se fait-il que vos robots étaient partis ? demanda le Président sur un ton sec. N’auraient-ils pas dû rester auprès de vous, si vous étiez malade ?
— Je leur ai ordonné de partir, monsieur le Président.
— Pourquoi ?
— J’ai pensé que c’était préférable et je l’expliquerai si l’on me permet de continuer.
— Je vous écoute.
— Nous étions effectivement poursuivis, car les robots qui nous suivaient sont arrivés peu après le départ des miens. Les poursuivants m’ont demandé où étaient mes robots et j’ai répondu que je les avais renvoyés. C’est ensuite seulement qu’ils m’ont demandé si j’étais malade. J’ai répliqué que je ne l’étais pas et ils m’ont laissé, afin de repartir à la recherche de mes robots.
— A la recherche de Daneel et de Giskard ?
— Oui, monsieur le Président. Il était évident qu’ils avaient reçu des ordres stricts de s’emparer des robots.
— Comment cela « évident »?
— J’étais manifestement malade, mais ils ont demandé où étaient les robots, avant de s’inquiéter de moi. Et puis, plus tard, ils m’ont abandonné à mon malaise pour aller chercher ces robots. Ils avaient dû recevoir des instructions extrêmement fortes de s’emparer d’eux, sinon il ne leur aurait pas été possible de négliger un être humain visiblement malade. En fait, j’avais prévu cette recherche, et c’est pour cela que je les avais renvoyés. J’estimais qu’il était impératif d’empêcher qu’ils tombent entre des mains non autorisées.
— Monsieur le Président, intervint Amadiro, puis-je continuer l’interrogatoire de Mr Baley sur ce point, afin de montrer ce que vaut sa déclaration ?
— Vous le pouvez.
— Monsieur Baley, vous étiez seul, après le départ de vos robots, n’est-ce pas ?
— Oui, monsieur.
— Par conséquent, vous n’avez aucun enregistrement des événements ? Vous n’êtes pas équipé vous-même pour les enregistrer ? Vous n’aviez pas de système enregistreur ?
— Non aux trois questions, monsieur.
— Et vous étiez malade ?
— Oui, monsieur.
— Affolé ? Trop malade pour bien vous souvenir ?
— Non, je me souviens parfaitement.
— Vous le croyez, mais vous avez fort bien pu délirer, avoir une hallucination. Dans ces conditions, il apparaîtrait que les paroles des robots, et même leur venue, sont choses extrêmement douteuses.
Le Président dit, d’un air songeur :
— Je suis d’accord. Monsieur Baley, en supposant que ce dont vous vous rappelez, ou croyez vous rappeler, soit exact, comment interprétez-vous les événements que vous venez de révéler ?
— J’hésite à faire part de mes pensées à ce sujet, monsieur le Président, de crainte de diffamer le très estimable Dr Amadiro.
— Comme vous parlez à ma demande et que vos réflexions ne franchiront pas les limites de cette pièce (le Président regarda autour de lui ; les niches murales étaient vides de tout robot), il ne peut être question de diffamation à moins que vous me paraissiez parler avec de mauvaises intentions.
— Dans ce cas, monsieur le Président, j’ai pensé qu’il était possible que le Dr Amadiro m’ait retenu dans son bureau plus qu’il n’était nécessaire, afin que l’on ait le temps d’endommager mon véhicule, et qu’il m’ait aussi retenu pour que je parte alors que l’orage avait déjà éclaté, ainsi assuré que je serais malade pendant le trajet. Il a longuement étudié les conditions sociales de la Terre, il me l’a dit lui-même à plusieurs reprises, et il savait donc quelle pourrait être ma réaction à l’orage. Il m’a semblé que son projet était d’envoyer ses robots à notre poursuite pour que, une fois qu’ils auraient rattrapé notre aéroglisseur en panne, ils nous ramènent tous à l’Institut sous prétexte de me soigner pour mon malaise, mais en réalité pour mettre la main sur les robots du Dr Fastolfe.
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