Novinha resta un instant immobile, regardant l’évêque. Sans défi, mais avec politesse, avec dignité. Il réagit de la même façon, lui offrant de s’asseoir. Dom Cristão voulut se lever mais elle secoua la tête, sourit, s’installa sur un tabouret proche du mur. Près d’Ender. Ela prit place derrière sa mère, légèrement sur le côté, de sorte qu’elle était également en partie derrière le Porte-Parole. Comme une fille entre ses parents, se dit Ender ; puis il chassa cette idée de son esprit et refusa de revenir dessus. Il y avait des questions beaucoup plus importantes à régler.
— Je vois, dit Bosquinha, que cette réunion promet d’être intéressante.
— Je crois que le Congrès y a déjà veillé, dit Dona Cristã.
— Votre fils est accusé, commença l’évêque Peregrino, de crime contre…
— Je sais de quoi il est accusé, coupa Novinha. Je ne l’ai appris que ce soir, lorsqu’Ela m’a prévenue, mais je ne suis pas étonnée. Ma fille, Eleonora, a également enfreint les règles que son maître lui imposait. Ils sont tous les deux davantage attachés à leur conscience qu’aux règles qui leur sont dictées par les autres. C’est un défaut si l’objectif consiste à maintenir l’ordre, mais si l’on cherche à apprendre et à s’adapter, c’est une vertu.
— Nous ne sommes pas réunis pour juger votre fils, dit Dom Cristão.
— J’ai demandé cette réunion, intervint Ender, parce qu’une décision doit être prise. Faut-il ou non appliquer les directives du Congrès Stellaire ?
— Nous n’avons pas le choix, dit l’Evêque Peregrino.
— Nous avons de nombreuses possibilités, le détrompa Ender, et de nombreuses raisons de choisir. Vous avez déjà fait un choix – lorsque vous avez constaté que vos archives étaient effacées, vous avez décidé de tenter de les sauver et de me les confier, à moi, un étranger. Votre confiance n’était pas mal placée… Je vous rendrai vos archives dès que vous le souhaiterez, sans les avoir lues ni altérées.
— Merci, dit Dona Cristã. Mais nous avons agi ainsi avant de connaître la gravité de l’accusation.
— Ils vont nous évacuer, dit Cristão.
— Ils contrôlent tout, ajouta l’évêque.
— Je le lui ai déjà expliqué, intervint Bosquinha.
— Ils ne contrôlent pas tout , révéla Ender. Ils vous contrôlent exclusivement par l’entremise de l’ansible.
— Nous ne pouvons pas couper l’ansible, avança l’évêque. C’est notre unique lien avec le Vatican.
— Je ne propose pas de couper l’ansible. Je vous dis seulement ce que je peux faire. Et, en vous disant cela, je vous fais confiance comme vous avez eu confiance, en moi. Parce que si vous le répétiez à qui que ce soit, les conséquences pour moi – et pour quelqu’un que j’aime et de qui je dépends – seraient incalculables.
Il les regarda tour à tour tandis qu’ils acquiesçaient en silence.
— J’ai une amie dont le contrôle sur les liaisons par ansible parmi les Cent Planètes est total – et totalement insoupçonné. Je suis le seul à savoir ce qu’elle peut faire. Et, selon elle, lorsque je le lui demanderai, elle pourra faire croire à tous les framlings que, sur Lusitania, nous avons interrompu notre liaison par ansible. Néanmoins, il nous sera possible d’envoyer des messages discrets, si nous le souhaitons – au Vatican, au siège de votre ordre. Nous pourrons accéder aux archives, intercepter les transmissions. En bref, nous aurons des yeux et ils seront aveugles.
— Couper l’ansible, ou faire semblant, serait un acte de rébellion, de guerre, même. (Bosquinha avait parlé avec une grande dureté, mais Ender constata que l’idée lui plaisait, bien qu’elle résistât de toutes ses forces.) Je dirais toutefois que si nous sommes assez fous pour décider la guerre, l’idée du Porte-Parole est manifestement un avantage. Nous aurions besoin de tous les avantages disponibles, si nous étions assez fous pour nous rebeller.
— La rébellion ne peut rien nous apporter, fit l’évêque. Et nous risquons de tout perdre. Je regrette profondément la tragédie qui consiste à envoyer Miro et Ouanda sur une autre planète pour y être jugés, surtout en raison de leur jeunesse, mais le tribunal tiendra vraisemblablement compte de cela et les traitera avec indulgence. Et, en nous conformant aux instructions du Congrès, nous éviterons de nombreuses souffrances à notre communauté.
— Ne croyez-vous pas que l’évacuation de la planète causera également des souffrances ? demanda Ender.
— Oui. Oui, effectivement. Mais la loi a été enfreinte et la peine doit être appliquée.
— Et si la loi était fondée sur une erreur et la peine nettement disproportionnée au délit ?
— Nous ne pouvons pas en juger, fit valoir l’évêque.
— Nous pouvons en juger. Si nous acceptons les instructions du Congrès, cela revient à dire que la loi est bonne et le châtiment juste. Et il est possible que vous soyez de cet avis à la fin de cette réunion. Mais il y a des choses que vous devez savoir avant de prendre votre décision. Il y en a que je puis vous dire et d’autres que seules Ela et Novinha peuvent vous expliquer. Vous ne pouvez pas prendre votre décision avant de savoir ce que nous savons.
— Je préfère toujours être aussi bien informé que possible, accepta l’évêque. Bien entendu, la décision finale revient à Bosquinha, pas à moi…
— La décision vous revient à vous tous, qui représentez les autorités civile, religieuse et intellectuelle de Lusitania. Si l’un d’entre vous s’oppose à la rébellion, la rébellion est impossible. Sans le soutien de l’autorité civile, l’Eglise n’a aucun pouvoir.
— Nous n’avons pas de pouvoir, intervint Dom Cristão, seulement des opinions.
— Tous les habitants de Lusitania connaissent votre sagesse et votre sens de l’équité.
— Vous oubliez un quatrième pouvoir, releva l’évêque. Vous.
— Je suis un framling.
— Un framling tout à fait extraordinaire, souligna l’évêque. En quatre jours, vous avez capturé l’âme de notre population d’une façon que je craignais et avais prévue. À présent, vous conseillez une rébellion où nous risquons de tout perdre. Vous êtes aussi dangereux que Satan. Pourtant vous voilà, soumis à notre autorité comme si vous n’étiez pas libre de prendre la navette et de partir quand le vaisseau retournera à Trondheim avec nos deux jeunes prévenus.
— Je me soumets à votre autorité, précisa Ender, parce que je ne veux pas être un framling ici. Je veux être votre citoyen, votre élève, votre paroissien.
— En tant que Porte-Parole des Morts ? demanda l’évêque.
— En tant qu’Andrew Wiggin. J’ai quelques compétences qui pourraient se révéler utiles. Surtout en cas de rébellion. Et je dois faire quelque chose qui ne peut être fait si les êtres humains quittent Lusitania.
— Nous ne doutons pas de votre sincérité, affirma l’évêque, mais vous devez nous pardonner si nous hésitons à nous allier à un citoyen qui arrive un peu tard.
Ender hocha la tête. L’évêque ne pourrait rien dire de plus tant qu’il ne serait pas mieux informé.
— Permettez-moi de vous dire d’abord ce que je sais. Aujourd’hui, dans l’après-midi, je suis allé dans la forêt avec Miro et Ouanda.
— Vous ! Vous avez également enfreint la loi !
L’évêque se leva partiellement.
Bosquinha tendit le bras afin de calmer sa colère :
— L’intrusion dans nos dossiers a débuté avant cet après-midi. Les ordres du Congrès ne peuvent en aucun cas être liés à cette infraction.
— J’ai enfreint la loi, expliqua Ender, parce que les piggies demandaient à me voir. Exigeaient, en fait, de me rencontrer. Ils avaient vu l’atterrissage de la navette. Ils savaient que j’étais ici. Et, à tort ou à raison, ils avaient lu La Reine et l’Hégémon .
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