— Oui, répéta Bosquinha.
Novinha croisa les mains sur ses genoux.
— Il n’y aura pas d’évacuation.
— C’est bien ce que je pensais, dit Ender. C’est pourquoi j’ai demandé à Ela d’aller vous chercher.
— Pourquoi n’y aura-t-il pas d’évacuation ? demanda Bosquinha.
— À cause de la Descolada.
— Ridicule ! s’exclama l’évêque. Vos parents ont découvert un traitement.
— Ils ne l’ont pas guérie, souligna Novinha. Ils l’ont contrôlée. Ils l’ont empêchée de devenir active.
— C’est exact, appuya Bosquinha. C’est pour cela que nous diluons un additif dans l’eau. Le Colador.
— Tous les êtres humains de Lusitania, sauf peut-être le Porte-Parole, qui ne l’a peut-être pas encore attrapée, sont porteurs de la Descolada.
— L’additif n’est pas onéreux, nota l’évêque, mais peut-être pourraient-ils nous isoler. À mon avis, ils pourraient le faire.
— Il n’existe pas d’endroit assez isolé, précisa Novinha. La Descolada est infiniment variable. Elle attaque tous les types de matériel génétique. On peut donner l’additif aux êtres humains. Mais peut-on le donner à chaque brin d’herbe ? À chaque oiseau ? À chaque poisson ? Au plancton des mers ? »
— Elle peut s’attaquer à tout cela ? demanda Bosquinha. Je ne le savais pas.
— Je ne l’ai dit à personne, expliqua Novinha. Mais j’ai intégré une protection dans toutes les plantes que j’ai mises au point. L’amarante, les pommes de terre, tout – la difficulté ne consistait pas à rendre la protéine utilisable, mais à amener les plantes à produire leurs propres agents de lutte contre la Descolada.
Bosquinha était stupéfaite.
— Ainsi, partout où nous irons…
— Nous risquons de déclencher une destruction totale de la biosphère.
— Et vous avez gardé cela secret ? demanda Dom Cristão.
— Il était inutile de le divulguer. (Novinha regarda ses mains, posées sur ses genoux.) Un élément des informations avait amené les piggies à tuer Pipo. Je l’ai gardé secret afin que personne ne puisse l’apprendre. Mais à présent, compte tenu de ce qu’Ela a découvert ces dernières années, et de ce que le Porte-Parole vient de dire, à présent, je sais ce que Pipo avait compris. La Descolada ne se contente pas de fendre les molécules génétiques et de les empêcher de se reformer ou de se reproduire. Elle les encourage également à se lier avec d’autres, totalement étrangères. Ela a travaillé sur ce problème contre ma volonté. Toutes les espèces originaires de Lusitania se développent en paires animal-végétal. Les cabras avec le capim. Les serpents d’eau avec le grama. Les mouches avec les roseaux. Les xingadoras avec les lianes de tropeça. Et les piggies avec les arbres des forêts.
— Vous voulez dire que les uns deviennent les autres ?
Dom Cristão était à la fois fasciné et dégoûté.
— Peut-être les piggies sont-ils uniques en ceci qu’un cadavre de piggy se transforme en arbre, estima Novinha. Mais il est possible que les cabras soient fécondés par le pollen du capim. Peut-être les mouches éclosent-elles grâce aux tiges de roseaux. Il faudrait étudier tout cela. J’aurais dû le faire pendant toutes ces années.
— Et maintenant, ils vont comprendre tout cela grâce à vos archives ? demanda Dom Cristão.
— Pas immédiatement. Mais dans les vingt ou trente années à venir. Avant l’arrivée d’autres framlings chez nous, ils sauront, assura Novinha.
— Je ne suis pas un scientifique, intervint l’évêque. Tout le monde semble comprendre, sauf moi. Quel est le lien avec l’évacuation ?
Bosquinha se tordit les mains.
— On ne peut pas nous faire quitter Lusitania, expliqua-t-elle. Partout où nous irions, nous emporterions la Descolada avec nous et nous tuerions tout. Il n’y a pas assez de xénobiologistes, sur les Cent Planètes, pour éviter la destruction d’un seul monde. Lorsqu’ils arriveront ici, ils auront compris que nous ne pouvons pas partir.
— Eh bien, dans ce cas, s’exclama l’évêque, cela résout notre problème ! Si nous les prévenons tout de suite, ils n’enverront même pas la flotte chargée de nous évacuer.
— Non, intervint Ender. Evêque Peregrino, lorsqu’ils auront compris ce que la Descolada risque de produire, ils veilleront à ce que personne ne puisse quitter cette planète. Jamais.
L’évêque eut un rire ironique.
— Que croyez-vous ? Qu’ils vont faire sauter notre planète ? Allons, Porte-Parole, il n’y a plus d’Ender au sein de l’espèce humaine. Le pire qu’ils puissent faire, c’est de nous mettre en quarantaine…
— Dans ce cas, fit remarquer Dom Cristão, pourquoi nous soumettrions-nous à leur contrôle ? Nous pourrions leur envoyer un message relatif à la Descolada, les informant que nous ne quitterons pas la planète, qu’ils ne peuvent pas venir ici, et voilà.
Bosquinha secoua la tête.
— Croyez-vous que personne ne dira : Les Lusitaniens peuvent détruire une planète en posant simplement le pied dessus. Ils ont un vaisseau interstellaire, ils ont une propension manifeste à la rébellion, ils ont des piggies sanguinaires. Leur existence représente une menace ?
— Qui dirait cela ! demanda l’évêque.
— Au Vatican, personne, admit Ender, mais le Congrès ne s’intéresse pas au sauvetage des âmes.
— Et il a peut-être raison, assura l’évêque. Vous avez dit que les piggies veulent voyager parmi les étoiles. Et pourtant, partout où ils iront, leur présence aura le même effet. Y compris sur les planètes inhabitables, n’est-ce pas ? Que feront-ils ? Reproduire interminablement ce paysage morne – des forêts avec une seule espèce d’arbres, des prairies avec une seule espèce d’herbe, où seuls paissent les cabras et que seuls survolent les xingadoras ? »
— Peut-être découvrirons-nous un jour le moyen de contrôler la Descolada, intervint Ela.
— Nous ne pouvons pas jouer notre avenir sur une chance aussi mince, déclara l’évêque.
— C’est pour cela que nous devons nous rebeller, fit valoir Ender. Parce que c’est exactement ce que pensera le Congrès. Exactement comme il y a trois mille ans, pendant le Xénocide. Tout le monde condamne le Xénocide parce qu’il a détruit une espèce extraterrestre dont les intentions se sont révélées inoffensives. Mais aussi longtemps que les doryphores paraissaient décidés à détruire l’humanité, les responsables de l’humanité se voyaient contraints de lutter de toutes leurs forces. Nous leur posons actuellement le même dilemme. Les piggies leur font peur. Et quand ils comprendront la Descolada, ils renonceront à faire croire qu’ils tentent de protéger les piggies. Dans l’intérêt de la survie de l’humanité, ils nous détruiront. Probablement pas la totalité de la planète. Comme vous l’avez dit, il n’y a plus d’Ender. Mais ils effaceront certainement Milagre et feront disparaître tous les piggies qui nous connaissent. Ensuite, ils surveilleront la planète afin d’empêcher les piggies de sortir de leur condition de primitifs. Si vous saviez ce qu’ils savent, n’agiriez-vous pas de même ?
— Un Porte-Parole des Morts disant cela ? s’écria Dom Cristão.
— Vous y étiez, rappela l’évêque. Vous étiez là la première fois, n’est-ce pas ? Quand les doryphores ont été détruits.
— La dernière fois, il nous était impossible de communiquer avec les doryphores, impossible de comprendre qu’ils étaient des ramen, pas des varelse. Cette fois, nous sommes ici. Nous savons que nous n’irons pas détruire d’autres planètes. Nous savons que nous resterons sur Lusitania jusqu’à ce qu’il nous soit possible de partir sans risques, après avoir neutralisé la Descolada. Cette fois, conclut Ender, nous pouvons protéger la vie des ramen, afin que ceux qui écriront l’histoire des piggies ne se voient pas contraints d’être des Porte-Parole des Morts.
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