Voyons, Pop avait dit dans son rapport à la Division « X » qu’il y avait une connivence entre de grands armateurs, le gouvernement du Sargon, et les esclavagistes pirates qui devaient bien se procurer leurs vaisseaux quelque part… Des vaisseaux… Il avait lu un livre la semaine dernière, l’histoire de chaque vaisseau construit par Transports Galactiques, depuis le 0001 jusqu’au tout dernier. Il alla à la librairie. Hum… Un grand livre rouge, pas une bande.
Ce satané bouquin faisait défaut… comme pas mal de choses ces derniers temps. Mais il l’avait lu selon la méthode Renshaw, car il s’intéressait aux astronefs. Il commença à prendre des notes.
La plupart d’entre eux fonctionnaient à l’intérieur de l’Hégémonie, dans les affaires de Rudbek et dans d’autres. Certains avaient été vendus aux Familles, ce qui lui fit plaisir. Mais quelques-uns étaient immatriculés à des propriétaires qu’il n’arrivait pas à situer… Et pourtant, il lui semblait connaître les noms de toutes les organisations qui commerçaient honnêtement dans l’Hégémonie. Il était certainement en mesure de reconnaître n’importe quel clan des Libres Commerçants.
Il n’y avait aucun moyen de s’assurer de quoi que ce soit derrière ce bureau, même s’il trouvait ce livre. Peut-être n’y avait-il aucun moyen à partir de la Terre ?… Même oncle Jack et le juge Bruder n’étaient peut-être pas au courant des opérations louches ?
Il se leva, alluma l’écran galactique qu’il avait fait installer dans son bureau. Il ne faisait apparaître que la partie explorée de la Galaxie, à une échelle très petite.
Il se mit à manipuler les touches. D’abord, il colora en vert les Neuf Mondes, puis en jaune les repaires de brigands que les Familles évitaient soigneusement. Puis il alluma les deux planètes entre lesquelles ses parents et lui avaient été capturés, puis fit de même pour tous les vaisseaux manquants de la Famille dont il connaissait le trajet de son voyage inachevé.
Il en résulta une constellation multicolore, regroupée autour du secteur des Neuf Mondes. Il regarda, et siffla. Pop savait ce qu’il disait, et pourtant ce n’était pas facile à repérer si on ne le représentait pas sous cette forme.
Il se mit à réfléchir aux lignes en service, et aux stations de ravitaillement en carburant établies par les Transports Galactiques dans cette région… Puis il ajouta en orange les établissements bancaires de la Société d’Escompte Galactique dans le « voisinage ».
Puis il étudia le tableau ainsi construit.
Il n’y avait pas encore de preuve certaine, mais quelle autre organisation possédait de telles activités dans ce secteur ?
Il avait l’intention de le découvrir.
Thorby apprit que Leda avait commandé le dîner dans le jardin. Ils étaient seuls. La neige qui tombait, transformait le ciel artificiel en une boule opalescente. Les bougies, les fleurs, un trio à cordes, et Leda elle-même rendaient le décor charmant, mais le jeune homme ne réussit pas à en profiter. Pourtant il aimait bien la jeune fille, considérait qu’elle était ce qu’il y avait de mieux à Rudbek. Ils avaient pratiquement achevé le repas, quand Leda dit :
— A quoi penses-tu ?
— Euh, à rien, répondit-il, avec un air coupable.
— Ce rien doit être très tracassant.
— Euh… Oui.
— Tu veux te confier à Leda ?
Thorby cligna des yeux. La fille de Weemsby était bien la dernière personne à qui il pouvait parler. Son humeur maussade venait de ce qu’il se demandait quoi faire, puisqu’il était désormais persuadé que Rudbek était mêlé à l’esclavage.
— Je pense que je n’ai pas l’étoffe d’un homme d’affaires.
— Papa dit pourtant que tu as la bosse des chiffres.
— Alors pourquoi ne… lança-t-il brutalement, puis il s’arrêta.
— Pourquoi ne fait-il pas quoi ?
— Euh…
Bon sang, il fallait bien avoir quelqu’un à qui parler… Une personne qui vous était sympathique, ou qui vous disait vos quatre vérités au besoin. Comme Pop, ou Fritz, et même le colonel Brisby. Actuellement il était très entouré, mais pourtant complètement isolé ; Leda semblait la seule à vouloir être son amie.
— Leda, de tout ce que je te dis, que racontes-tu exactement à ton père ?
A l’étonnement du jeune homme, elle rougit.
— Qu’est-ce qui te fait dire cela ?
— Eh bien, tu es très liée à lui, n’est-ce pas ?
Elle se leva soudain.
— Si tu as fini, nous allons marcher.
Ils quittèrent la table et se promenèrent dans les allées. Ils regardèrent la tempête, et écoutèrent le bruit mat contre le dôme. Elle l’emmena dans un endroit éloigné de la maison, protégé par des buissons. Là, ils s’assirent sur une grosse pierre.
— Voici un coin excellent pour une conversation privée.
— Vraiment ?
— Quand on a fait mettre des micros dans le jardin, j’ai fait en sorte qu’il y ait un lieu où on puisse me faire la cour sans que les espions de Papa écoutent.
Thorby la regarda avec surprise.
— C’est vrai ?
— Enfin, tu as bien compris que tu es écouté patout, sauf sur les pistes de ski.
— Non, je ne l’avais pas réalisé, et ça ne me plaît pas.
— A qui veux-tu que cela plaise ? Mais c’est une précaution ordinaire pour quelque chose d’aussi grand que Rudbek. Tu ne peux pas reprocher cela à Papa. J’ai juste dépensé quelques crédits pour être sûre que le jardin n’était pas aussi bien surveillé qu’il le pensait. Alors si tu veux dire quelque chose sans qu’il le sache, tu peux le faire ici. Il ne le saura jamais, tu as ma parole d’honneur.
Thorby hésita, puis jeta un coup d’œil autour de lui. Il en conclut que s’il y avait un microphone caché quelque part, il devait être déguisé en fleur… Ce qui était possible.
— Je devrais peut-être le réserver pour la piste de ski.
— Détends-toi. Si tu m’accordes le moindre crédit, fais-moi confiance sur cet endroit.
— D’accord.
Il lui déballa toutes ces frustrations… Et sa conclusion sur le fait qu’oncle Jack le contrecarrait volontairement parce qu’il ne lui abandonnait pas son pouvoir potentiel. Leda l’écouta gravement.
— C’est tout. Est-ce que je suis fou ?
— Thor, tu as compris que Papa me jette dans tes bras ?
— Comment ?
— Je ne vois pas comment cela a pu t’échapper. A moins que tu ne sois complètement… Mais après tout, c’est possible. En tout cas, tu peux me croire. C’est un de ces mariages évidents qui enthousiasment tout le monde… Sauf peut-être les deux personnes concernées.
Thorby oublia ses problèmes devant cette déclaration ahurissante.
— Tu veux dire que… Enfin, euh, tu…
Il n’acheva pas sa phrase.
— Mon cher ! Pour qui me prends-tu ? Si j’avais eu la moindre intention d’aller jusqu’au bout de cette affaire, je ne t’aurais rien dit. Oh, j’admets avoir fait des promesses d’envisager la possibilité, avant ton arrivée. Mais tu n’as pas eu l’air tenté par l’aventure, et je suis trop fière pour accepter de me marier dans de telles conditions, même si la sauvegarde de Rudbek était en jeu. Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire des procurations de Martha et de Creighton que l’on ne veut pas te montrer ?
— On ne me laissera pas les voir, avant que je signe ma procuration.
— Tu signeras si on te les montre ?
— Euh… Peut-être. Mais je veux voir ce que mes parents avaient décidé.
— Je ne comprends pas pourquoi Papa s’oppose à une demande aussi raisonnable. A moins que…
Elle fronça les sourcils.
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