Richard avait une intelligence supérieure à la moyenne et était un informaticien habile, mais sa tâche s’avérait ardue et Nicole ne pouvait l’aider. À deux reprises, au cours de cette première journée passée dans la salle Blanche, Richard suggéra à Nicole d’aller faire un tour à l’extérieur. Elle ne protesta pas et sortit se promener dans New York, en levant parfois les yeux dans l’espoir d’apercevoir un hélicoptère. La deuxième fois, elle retourna voir le hangar et le puits dans lequel elle avait séjourné. Tant d’événements s’étaient produits depuis que cette aventure lui semblait déjà très lointaine.
Elle pensait souvent à Borzov, Wilson et Takagishi. À leur départ de la Terre, tous savaient qu’une telle expédition comportait des dangers. Ils s’étaient entraînés à remédier à d’éventuelles avaries du vaisseau et autres problèmes potentiellement dramatiques, mais aucun d’eux n’avait cru qu’ils subiraient des pertes. Si nous restons bloqués dans New York, Richard et moi, près de la moitié de notre équipe aura disparu. Ce sera la mission la plus meurtrière depuis que nous avons repris l’exploration de l’espace autrement qu’avec des sondes automatiques.
Elle se tenait devant la grange, presque à l’endroit exact où elles avaient utilisé leurs coms pour répondre à Richard. Pourquoi leur avez-vous menti, Francesca ? Avez-vous cru que ma disparition vous laverait de tout soupçon ?
Le dernier matin passé au camp Bêta, juste avant de partir à la recherche de Takagishi, Nicole s’était servie du relais de télécommunications pour transférer tous les fichiers stockés dans son ordinateur de poche vers le terminal de sa cabine du module Newton. Elle souhaitait vider les mémoires de son appareil, au cas où elle aurait besoin d’espace pour stocker de nouvelles données. Mais tout est là-bas, à la disposition du premier enquêteur qui se donnera la peine de regarder. Les drogues, la tension de David, une référence détournée à l’avortement et l’explication trouvée par Richard au mauvais fonctionnement de RoChir.
Au cours de ses promenades Nicole aperçut plusieurs biotes mille-pattes et même un bulldozer, à la limite de son champ de vision. Mais elle ne vit et n’entendit aucun avien ou octopode. Peut-être ne sortent-ils que la nuit, se dit-elle en revenant vers la salle Blanche pour dîner en compagnie de Richard.
— Nos réserves tirent à leur fin, commenta Nicole.
Ils emballèrent les restes de pastèque-manne et les rangèrent dans le sac à dos de Richard.
— C’est exact, répondit-il. Mais je sais par quel moyen vous pourrez les reconstituer.
— Moi ? Pourquoi pas nous ?
— Tout d’abord parce que ma présence ne sera pas indispensable. J’étudiais le mode graphique de l’ordinateur raméen, quand cette idée m’est venue, et mon temps est précieux car je pense accéder sous peu au système de commande. Il existe environ deux cents instructions qui ne sont compréhensibles que si elles appartiennent à un autre niveau, une sorte de hiérarchie supérieure.
Il avait mis le repas à profit pour lui expliquer qu’il savait à présent utiliser l’ordinateur raméen comme un appareil d’origine terrestre. Il pouvait stocker et récupérer des données, procéder à des calculs, tracer des graphiques et même créer des programmes.
— Mais je n’utilise pour l’instant qu’une infime partie de son potentiel, avait-il précisé. Je dois percer ses autres secrets, et le temps presse.
Son projet était presque trop simple. À la fin de la longue nuit raméenne, pendant laquelle il n’avait pas dû se reposer plus de trois heures, Nicole s’éloigna vers l’esplanade centrale pour mettre son plan à exécution. En fonction de son analyse des matrices progressives, Richard lui avait indiqué trois emplacements possibles pour la commande d’ouverture du nid des aviens. Il était à tel point certain de ses conclusions qu’il avait refusé de discuter de ce qu’elle devrait faire en cas d’échec. Ses convictions étaient fondées. Nicole découvrit sans peine la plaque, ouvrit la trappe et se pencha dans le puits vertical pour pousser un cri qui ne suscita aucune réponse.
Elle balaya les ténèbres avec le faisceau de sa torche. Le char-sentinelle était à son poste et effectuait des allées et venues devant le tunnel horizontal menant à la salle de la citerne. Elle cria à nouveau. Elle ne tenait pas à descendre, même sur la première corniche, bien que Richard lui eût affirmé qu’il irait la rejoindre si elle tardait trop. Elle avait peur de se retrouver enfermée.
N’entendait-elle pas jacasser dans le lointain ? Elle le pensait. Elle prit une des pièces de monnaie trouvées dans la salle Blanche et la lâcha dans le conduit vertical. Le disque de métal heurta une des avancées du second niveau. Cette fois, les cris furent assourdissants. Une créature ailée grimpa dans le faisceau de la lampe et passa au-dessus du gardien mécanique. Un instant plus tard la trappe se refermait et Nicole dut s’écarter.
Elle avait discuté de ce problème avec Richard et elle attendit quelques minutes avant de presser une deuxième fois la touche d’ouverture. Lorsqu’elle appela les créatures ailées, leur réaction fut immédiate. Son ami, le noir velouté, ne s’arrêta qu’à cinq mètres du sol pour lui adresser un chapelet de piaillements coléreux. Elle comprit qu’il la sommait de partir, mais elle prit son ordinateur et lança le programme chargé dans sa mémoire. La représentation graphique de deux pastèques-mannes apparut sur l’écran. Alors que l’avien regardait cette image, les fruits se colorèrent puis une incision révéla la texture et la teinte des couches intérieures de l’un d’eux.
L’être de velours noir s’était rapproché pour mieux voir. Il se tourna et cria dans les ténèbres. Quelques secondes plus tard un de ses congénères, sans doute son compagnon, vint se poser sur la corniche située juste au-dessous du sol. Nicole recommença sa démonstration.
Les deux créatures crièrent puis plongèrent dans le puits.
Les minutes s’égrenaient et Nicole entendait jacasser dans les profondeurs. Finalement, ses amis revinrent et chacun d’eux tenait une petite pastèque-manne dans ses serres. Ils se posèrent sur la place, à proximité de l’ouverture. Nicole s’avança, mais les aviens ne lâchaient pas ce qu’ils avaient apporté. Ce qui suivit fut (supposa-t-elle) un interminable sermon. Les deux créatures s’adressaient à elle à tour de rôle ou à l’unisson, en la fixant et en donnant des coups de bec aux fruits. Un quart d’heure plus tard, sans doute convaincus qu’elle avait assimilé la teneur de leur message, ils s’envolèrent, firent le tour de l’esplanade puis plongèrent dans leur antre.
Ils voulaient me faire comprendre que ce sont des denrées rares, se dit-elle en revenant vers la place du secteur est. Les fruits étaient très lourds. Elle les mit dans leurs sacs à dos qu’elle avait vidés de leur contenu avant son départ de la salle Blanche. Ou encore que je ne dois pas revenir les importuner. Dans un cas comme dans l’autre, il faut tirer un trait sur cette source d’approvisionnement.
Elle pensait que Richard serait ravi. Il l’était, mais pour une autre raison. Il arborait un large sourire et dissimulait sa main droite derrière son dos.
— Attendez de voir ce que j’ai à vous montrer, dit-il pendant qu’elle déchargeait son butin.
Il ramena le bras devant lui et ouvrit sa paume. Elle contenait une boule noire d’environ dix centimètres de diamètre.
* * *
— Je n’ai pas compris tous les principes et j’ignore combien de fonctions sont accessibles, mais j’ai découvert une vérité première, déclara-t-il. Il suffit de spécifier ce que l’on désire pour être servi.
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