« La lecture est enfantine, expliqua Berceuse avec enthousiasme. Ce point de feu froid représente le géant du ciel que vous apercevez là-bas, en direction de Rhéa. » Elle indiquait un point sur l’écran. « Voyez comme il perd de l’ardeur… là ! maintenant il brille avec force, mais s’est déplacé. » Cirocco commença de traduire mais Gaby la coupa. « Je sais comment fonctionne un radar, grommela-t-elle. Tout cet assemblage outrage mon sens de la logique.
— Il nous sert peu à l’heure actuelle, leur assura Clarinette. Nous ne sommes pas à la saison des anges. Ils viennent de l’est par le souffle de Gaïa et nous tourmentent jusqu’à ce qu’elle les aspire à nouveau en son sein. »
Cirocco se demanda si elle avait bien entendu : avait-elle chanté : « aspire en son sein » ou bien « nourrit à son sein » ? Elle fut interrompue dans ses réflexions par les grognements de Bill qui venait d’ouvrir les yeux.
« Hello, chantonna Berceuse. Quelle joie de vous voir de retour. »
Bill glapit puis poussa un hurlement lorsqu’il s’appuya sur sa jambe.
Cirocco s’interposa entre Berceuse et lui. Dès qu’il la vit, il émit un soupir de soulagement.
« Quel rêve épouvantable, Rocky. »
Elle lui passa la main sur le front. « Ce n’était pas du tout un rêve, probablement.
— Hein ? Oh ! tu veux parler des centaures ! Non, je me rappelle quand le blanc me berçait en chantant des ballades.
— Eh bien, comment te sens-tu à présent ?
— Faible. Ma jambe me fait moins mal. Est-ce bon signe ou bien est-elle morte ?
— Je pense que tu vas mieux.
— Et… euh, tu comprends. La gangrène ? » Il avait détourné les yeux.
« Je ne crois pas. Elle avait bien meilleur aspect après que la guérisseuse l’eut soignée.
— La guérisseuse ? Le centaure ?
— Nous ne pouvions rien faire d’autre, expliqua Cirocco, à nouveau envahie par le doute. Calvin n’est toujours pas arrivé. Je l’ai regardée faire et elle me semble connaître son boulot. »
Elle crut qu’il s’était rendormi. Après un long moment il rouvrit les yeux et sourit faiblement.
« Ce n’est pas une décision que j’aurais aimé prendre.
— Ce fut terrible, Bill. Elle disait que tu allais passer et je l’ai crue. Ou alors, c’était attendre sans rien faire l’arrivée de Calvin – et je ne sais pas ce qu’il aurait pu faire, lui, sans aucun médicament – alors qu’elle, elle disait pouvoir tuer les germes, ce qui se tenait parce que… »
Il lui toucha le genou. Sa main était froide, mais ferme.
« Tu as fait ce qu’il fallait. Regarde-moi. Je suis prêt à remarcher d’ici une semaine. »
C’était la fin de l’après-midi – toujours, désespérément, la fin de l’après-midi – et quelqu’un lui secouait l’épaule. Elle cligna rapidement des yeux. « Vos amis sont arrivés, chanta Foxtrot.
— C’était le géant du ciel que nous avions vu plus tôt, ajouta Berceuse. Ils étaient à bord.
— Mes amis ?
— Oui, votre guérisseur, et deux autres.
— Deux… » Elle se mit sur pieds. « Ces autres. En avez-vous des nouvelles ? J’en connais une. L’autre est-elle identique ou bien est-ce un mâle, comme mon ami Bill ? »
La guérisseuse fronça les sourcils. « Vos pronoms m’emplissent de confusion. Je n’arrive franchement pas à savoir lequel d’entre vous est mâle et lequel est femelle, d’autant que vous vous cachez derrière des bandes de tissu.
— Bill est mâle, Gaby et moi sommes femelles. Je vous expliquerai plus tard, mais qu’en est-il du passager du géant du ciel ? »
Berceuse haussa les épaules. « Le géant ne l’a pas dit. Il est aussi perdu que moi. »
Omnibus apparut au-dessus de la colonne de Titanides et du chariot qui s’étaient arrêtés pour attendre le largage. Un parachute s’ouvrit, supportant une minuscule silhouette noire. Calvin, sans aucun doute.
Tandis qu’il descendait, une seconde corolle apparut et Cirocco écarquilla les yeux pour deviner qui cela pouvait être. La silhouette était plus volumineuse qu’il n’aurait dû. Puis un troisième parachute s’ouvrit, puis un quatrième.
Il y en avait dans les airs une douzaine avant qu’elle ne repère Gene. Les autres, c’était incroyable, étaient des Titanides.
« Eh, c’est Gene ! » cria Gaby. Elle était à quelque distance, en compagnie de Foxtrot et de Clarinette. Cirocco était restée auprès du chariot. « Je me demande si April est…
— Les anges ! Une attaque des anges ! Regroupez-vous ! »
C’était un cri perçant : une voix de Titanide qui avait perdu toute musicalité, une voix suffoquant de haine. Cirocco fut abasourdie de voir Berceuse penchée sur l’écran du radar et glapissant des ordres. Son visage était déformé, elle ne songeait plus du tout à Bill.
« Que se passe-t-il ? » commença Cirocco, puis elle plongea pour esquiver le saut de Berceuse.
« Couche-toi, deux-pattes ! Reste en dehors de ça. »
Cirocco leva les yeux et vit que le ciel était empli d’ailes.
Ils arrivaient en piqué de part et d’autre de la saucisse, les ailes repliées pour gagner de la vitesse ; ils attaquaient les Titanides suspendues, impuissantes, à leurs parachutes. Il y en avait des douzaines.
Elle tomba sur le plancher du chariot lorsque celui-ci fit une embardée dans le claquement des harnais de cuir. Elle manqua tomber par l’abattant resté ouvert, se rétablit sur les mains et les genoux, à temps pour apercevoir Gaby bondir et agripper les ridelles. Cirocco l’aida à monter.
« Que diable se passe-t-il ? » Gaby tenait une épée de bronze que Cirocco n’avait jamais vue auparavant.
« Attention ! » Bill fut projeté à bas de son lit. Cirocco rampa vers lui pour essayer de l’y remettre mais le chariot ne cessait de tressauter sur les rocs et les ornières.
« Arrêtez donc ce truc, bon Dieu ! » glapit Cirocco, puis elle le chanta en titanide. Cela ne fit aucune différence. Les deux créatures attelées à l’avant fonçaient vers le champ de bataille et rien n’aurait pu les arrêter. L’une d’entre elles brandissait au-dessus de sa tête une épée et hurlait comme un démon.
Cirocco claqua l’une des Titanides sur la croupe et faillit se faire scalper d’un revers d’épée. Gardant la tête baissée elle se pencha vers les nœuds qui attelaient les Titanides au chariot.
« Gaby, donne-moi ce machin, grouille. » L’épée vola dans les airs, la garde la première et atterrit à ses pieds. Elle entreprit de trancher les brides de cuir. La première lâcha, puis la seconde.
Les Titanides ne remarquèrent même pas cette perte. Elles distancèrent rapidement le chariot qui finit sa course sans douceur contre un rocher.
« Quel était tout ce…
— Je ne sais pas. Tout ce que l’on a pu me dire c’est de me baisser. Aide-moi à sortir Bill, veux-tu ? »
Il était éveillé et ne semblait pas blessé. Il regarda le ciel tandis qu’elles le remettaient sur le brancard.
« Doux Jésus ! » dit-il juste assez fort pour couvrir les Piaillements des Titanides. « Ils sont en train de se faire massacrer là-haut. »
Cirocco leva les yeux au moment même où l’une des créatures volantes tranchait trois suspentes au-dessus de l’une des Titanides. Le parachute se mit en torche. La Titanide tomba comme une pierre derrière une colline basse vers l’ouest.
« C’est ça, leurs anges ? » se demanda Bill.
Pour les Titanides, c’étaient les anges de la mort. De forme humaine, mais avec des ailes couvertes de plumes de sept mètres d’envergure, les anges avaient transformé en abattoir l’atmosphère paisible d’Hypérion. Tous les parachutes eurent bientôt disparu du ciel.
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