Il opina, malgré ses tremblements. Elle le releva et il battit des pieds en essayant de l’enfourcher à nouveau. Dès qu’il fut en place, elle repartit au galop.
Ils n’étaient plus qu’à cent mètres du premier brin du câble. Juste avant qu’ils arrivent, Chris perçut une subtile altération dans le claquement des sabots de Valiha. Au lieu du bruit assourdi sur le sable mou, c’était devenu un agréable clipetitclop à mesure qu’ils gagnaient la roche dure. Bientôt ils étaient assez proches pour toucher le brin massif. Valiha en fit le tour et bientôt ils contemplaient l’étendue vide du désert. Nulle trace de Cirocco et Cornemuse, Gaby, Hautbois ou Robin. Bien que leur fût perceptible le tonnerre lointain des pulso-réacteurs, le ciel était dépourvu de bombourdons.
« Par là, signala Valiha. À l’est. »
Il y avait un mouvement sur le sable. Une masse d’esprits soulevaient un nuage en encerclant un objet qui gisait, immobile.
« C’est Hautbois, dit tranquillement Valiha.
— Non, ce n’est pas possible.
— Ça l’est pourtant. Et par là, à droite de la dépouille, j’ai peur que ce ne soit notre compagne, Robin. »
La petite silhouette était apparue derrière la courbe du brin de câble. Elle était encore à trois ou quatre cents mètres d’eux. Chris la vit s’immobiliser devant le carnage. Elle s’accroupit. Porta les mains à la bouche, puis se raidit et Chris fut certain de savoir ce qu’elle allait faire.
« Robin ! Robin, non ! » cria-t-il. Il la vit s’arrêter et regarder alentour.
« Il est trop tard, lui cria Valiha. Elle ne vit plus. Rejoins-nous. » Puis, se tournant vers Chris : « Je vais la chercher. »
Il lui saisit fermement le poignet.
« Non, attends-la ici. » Cela semblait fichtrement peu héroïque mais il ne pouvait s’en empêcher. Il voyait encore les tentacules tirer Valiha vers le sable. Il regarda ses jambes et eut un hoquet.
« Cette chose…
— Ce n’est pas aussi grave que ça paraît, dit Valiha. Les entailles ne sont pas profondes. La plupart. »
La blessure était affreuse. Sa jambe gauche était recouverte de sang séché et l’une des éraflures au moins avait arraché un morceau de peau. Il détourna les yeux, désemparé, vers Robin qui courait dans leur direction. Elle titubait, ses membres battaient sans grande coordination. Chris courut quelques pas à sa rencontre et revint en vitesse en la soutenant d’un bras. Elle s’effondra sur la roche, haletante, incapable de parler mais étreignant la surface dure comme si c’était une vieille amie. Chris la retourna et lui prit la main. Le petit doigt y manquait.
« On était ici… parvint-elle enfin à articuler. Ici, sous le… câble. Puis Gaby a vu le bombourdon et… il arrivait en vol rasant. Le premier. Et elle l’a descendu ! Et quelque chose en a sauté avec un parachute… alors elle a couru après. L’eau ne les tuait pas ! Ils ont surgi juste devant nous… et… et…
— Je sais, dit Chris, apaisant. On l’a vu, nous aussi.
— … et puis Hautbois est parti chercher Gaby et… il ne m’a pas prise. Je pouvais plus bouger ! Mais j’ai bougé quand même et je me suis relevée, et je l’ai… suivie. Elle était là-bas et puis tu m’as appelée… et Gaby est toujours là-bas, quelque part. Il faut qu’on la retrouve, qu’on…
— Cirocco et Cornemuse manquent aussi à l’appel, dit Chris. Mais elles sont peut-être sous le câble. Vous avez dû aller beaucoup plus à l’ouest que nous. Cirocco pourrait très bien se trouver dans l’autre direction. Nous… Valiha… combien de temps suis-je resté évanoui ? »
La Titanide fronça les sourcils. « Nous étions également sous le câble. On s’était abrités puis on a vu Gaby courir toute seule, alors nous sommes allés à son secours et c’est à ce moment qu’on a failli se faire avoir. Moi-même j’ai dû perdre conscience quelques instants, je pense.
— Je ne me rappelle plus rien.
— Cela doit faire quatre ou cinq décirevs… trente minutes, peut-être, que le bombardement a commencé.
— Donc, Cirocco aurait eu largement le temps de s’abriter sous le câble. Nous devrions d’abord chercher du côté des brins extérieurs. » Il n’ajouta pas qu’il était persuadé que ceux qui étaient restés dehors devaient être morts.
Ils sentaient tous que le temps était compté et pourtant ne pouvaient s’arracher à leur refuge si chèrement acquis. Ils gagnèrent du temps en examinant et en pansant leurs blessures. Robin était la moins touchée et Chris n’avait besoin que de quelques bandages. Pour Valiha, le traitement fut plus long. Une fois sa jambe blessée ligaturée, elle hésitait toujours à s’appuyer dessus.
« Qu’en pensez-vous ? leur demanda Chris. Elles pourraient très bien être du côté opposé en train de scruter le désert pour nous localiser.
— On pourrait se séparer, suggéra Robin. Elles pourraient être à la lisière. En cherchant dans les deux directions…»
Chris se mordillait la lèvre. « Je ne sais pas. Dans tous les films que j’ai vus, chaque séparation annonçait une grosse catastrophe.
— Tu fondes tes tactiques sur des films ?
— Qu’est-ce que j’ai d’autre ? Tu en sais plus que moi ?
— J’ai pas l’impression, concéda Robin. On a bien fait des exercices pour parer à diverses sortes d’invasions mais je ne vois pas très bien ce qui pourrait être applicable ici.
— Ne nous séparons pas, dit fermement Valiha. Division est synonyme de vulnérabilité. »
Mais ils n’eurent pas le temps de prendre une décision. En regardant le désert, Robin vit apparaître Gaby au sommet d’une dune. Elle bondissait sans difficulté avec ces longs sauts que permettait la faible gravité et qui ne paraissaient plus étranges à Chris. Il connaissait assez bien cette démarche pour voir qu’elle était épuisée. Elle progressait légèrement penchée, comme si elle souffrait d’un point de côté.
Elle s’approchait rapidement. Alors qu’elle était encore à cinq cents mètres d’eux, elle leur fit un signe de la main en criant à tue-tête mais ils n’entendaient pas ce qu’elle disait.
Et elle non plus ne pouvait pas les entendre lorsqu’ils se mirent tous les trois à crier frénétiquement pour essayer de l’avertir du danger, pour elle invisible, car il venait par l’arrière.
Valiha partit en courant la première. Chris ne tarda pas à la suivre mais la Titanide eut tôt fait de le distancer. Elle était encore à trois cents mètres de Gaby lorsque le bombourdon leva le nez et largua sa cargaison mortelle. Chris la vit virevolter lentement dans les airs, tandis que ses pieds martelaient le sable, sans qu’il s’inquiète de savoir sur quoi il marchait. La bombe tomba juste devant Gaby et elle leva les mains au moment où le mur de flammes lui coupait le passage.
Elle en ressortit au pas de course. Elle semblait voler presque.
Elle était en feu.
Il vit ses mains battre les flammes, il l’entendit hurler. Elle ne savait plus où elle allait. Valiha essaya de l’intercepter mais la manqua. Chris n’hésita pas. Il sentit l’odeur de chair et de cheveux brûlés au moment où, d’une bourrade de l’épaule il l’envoya au sol, puis Valiha la maintint par terre tandis qu’elle se débattait en criant et que Chris, des deux mains, lui lançait du sable. Ils la firent rouler en la tenant allongée, ignorant la douleur de leurs mains qui brûlaient elles aussi.
« On va la suffoquer ! » protesta Chris lorsque Valiha écrasa Gaby sous le poids de son propre corps.
« Il faut étouffer le feu », dit la Titanide.
Lorsqu’elle cessa de se débattre, Valiha la souleva et saisit Chris en manquant lui démettre le bras. Il se lança sur son dos et elle fonça vers le câble avec Gaby dans ses bras, inconsciente, morte peut-être. Ils rattrapèrent Robin qui avait déjà fait demi-tour presque aux abords du câble d’où ils avaient assisté à la plus grande partie du drame. Chris prit sa main et la hissa derrière lui. Valiha ne ralentit pas avant qu’ils n’aient regagné le sol rocheux.
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