— « Tout va bien, » me répondit-elle. « Mais j’ai une autre corde, pouvez-vous l’attraper ? »
— « Oh ! » La petite chérie avait observé ma manœuvre et avait compris de quoi je pouvais avoir besoin. « Gardez-la un instant, je vais faire une diversion. » Je passai la main par-dessus mon épaule pour compter les flèches qui me restaient : sept. J’étais parti avec vingt flèches et n’en avais utilisé qu’une ; j’avais perdu les autres.
J’en tirai trois coup sur coup, à droite, à gauche et devant moi, visant aussi loin que possible, tirant dans le tas et faisant confiance à cet arc merveilleux pour diriger les flèches. Toute la foule se précipita sur la chair fraîche que je lui avais fournie. « Maintenant ! »
Dix secondes plus tard, je la pris dans mes bras et reçus un tendre baiser comme récompense de mon beau travail.
Dix minutes plus tard, de la même manière, Rufo nous avait rejoints, au prix de trois de mes flèches et de deux plus petites décochées par Star. Il devait se laisser descendre tout seul, assis dans une boucle et maintenant sous les deux bras l’extrémité libre de la corde ; pour un aviateur, il aurait constitué une cible parfaite. Dès qu’il se fut délivré de la corde, il commença à l’attirer près de lui, en faisant un rouleau.
— « Laisse ça ! » lui dit Star sèchement. « Nous n’avons pas le temps et elle est trop lourde à porter. »
— « Je vais la mettre dans les bagages. »
— « Non. »
— « C’est une bonne corde, » insista Rufo. « Et nous en aurons besoin. »
— « C’est d’un suaire que nous aurons besoin si nous sommes encore dans les marais à la tombée de la nuit. » Star se tourna vers moi. « Comment avançons-nous, seigneur ? »
Je regardai autour de moi. Devant nous et à notre gauche, il y avait encore quelques monstres qui batifolaient, semblant hésiter à s’approcher. À droite et au-dessus de nous, un grand nuage, à la base de la falaise, irradiait le ciel. À trois cents yards en avant, nous trouverions des arbres et, juste au-delà, les marais commençaient.
Nous descendîmes la pente, qui était assez raide ; je marchais en tête, Rufo et Star suivaient sur les côtés, et nous avions tous les trois des flèches engagées sur la corde. Je leur avais dit de tirer l’épée si un Spectre Cornu s’approchait à moins de cinquante pieds.
Aucun n’approcha. Un idiot vint bien dans notre direction, seul, et Rufo l’abattit d’une flèche tirée de deux fois cette distance. Alors que nous approchions du cadavre, Rufo tira sa dague. « Laisse cela ! » dit Star. Elle paraissait nerveuse.
— « Je vais juste prendre les pépites et les donner à Oscar. »
— « Et nous faire tous tuer. Si Oscar veut des pépites, il en aura. »
— « Quelle sorte de pépites ? » demandai-je, sans m’arrêter.
— « D’or, patron. Ces fichus animaux ont des gésiers comme les poulets. Et leurs gésiers sont pleins d’or. Les vieux ont des pépites qui peuvent peser jusqu’à vingt ou trente livres. »
Je sifflai d’admiration.
— « L’or est un métal très commun ici, » m’expliqua Star. « Il y en a beaucoup à la base des chutes, dans le nuage de brouillard, qui y roulent depuis des siècles. Et cela provoque des luttes entre les Spectres et les Bandits-des-Eaux-Froides, parce que les Spectres ont ce curieux appétit et se risquent parfois dans le nuage pour l’assouvir. »
— « Je n’ai pas encore vu le moindre de ces Bandits-des-Eaux-Froides, » dis-je.
— « Grâce à Dieu ! » répondit Rufo.
— « Raison de plus pour nous enfoncer dans le marais, » ajouta Star. « La troupe des Bandits ne s’y aventure pas et même les Spectres n’y avancent pas beaucoup. En dépit de leurs pieds palmés, ils pourraient s’y enfoncer. »
— « Y a-t-il quelque danger dans le marais lui-même ? »
— « Des quantités, » me dit Rufo. « Faites bien attention de poser les pieds sur les fleurs jaunes. »
— « Regardez où vous mettez les pieds vous-mêmes. Si la carte est correcte, je ne vous égarerai pas. À quoi ressemble donc un de ces Bandits-des-Eaux-Froides ? »
— « Avez-vous jamais vu un noyé resté dans l’eau pendant une semaine ? » dit Rufo, songeur.
Je laissai tomber la conversation.
Avant d’atteindre les arbres je fis mettre les arcs en bandoulière et tirer les épées. Dès que nous fûmes sous le couvert, ils nous bondirent dessus. Les Spectres Cornus, pas les Bandits-des-Eaux-Froides. Une embuscade ; ils venaient de tous les côtés, et je ne sais pas combien ils étaient. Rufo en tua quatre ou cinq, Star au moins deux, tandis que je sautillais partout, faisant semblant de travailler et essayant surtout de survivre.
Nous dûmes escalader les cadavres, qui étaient trop nombreux pour qu’on puisse les compter.
Nous poursuivîmes notre route dans le marais, en suivant le petit sentier de fleurs jaunes ; je le connaissais par cœur, prenant le moindre de ses méandres. Au bout d’une heure environ, nous arrivâmes dans une clairière, de la taille d’un garage pour deux voitures. Star dit alors doucement : « Nous sommes assez loin. » Elle avait mis une main sur son flanc mais n’avait pas voulu jusque-là que nous nous arrêtâmes bien que du sang maculât sa tunique et tombât le long de sa jambe gauche.
Elle demanda à Rufo de s’occuper d’elle pendant que je montais la garde à l’orée de la clairière. Je fus soulagé qu’elle ne me demandât pas d’aide, car lorsqu’elle eut ôté sa tunique, j’eus une nausée en voyant combien elle avait été gravement touchée, et elle n’avait pourtant jamais laissé échapper la moindre plainte. Dire que ce beau corps doré avait été blessé !
Pour un chevalier errant, je me sentais plutôt lamentable.
Mais elle retrouva sa gaieté dès que Rufo eut suivi ses instructions. Après quoi, elle soigna Rufo, puis moi-même ; nous avions tous les deux au moins une demi-douzaine de blessures, mais qui paraissaient des éraflures en comparaison de la sienne.
Après m’avoir soigné, elle me dit : « Seigneur Oscar, dans combien de temps sortirons-nous du marais ? »
De tête, j’étudiai la carte : « Est-ce que cela va devenir pire ? »
— « Un peu mieux, au contraire. »
— « Pas plus d’une heure. »
— « Bien ; ne remettez pas ces vêtements souillés. Rufo, défais un peu les bagages, que nous puissions mettre des vêtements propres et prendre quelques flèches. Oscar, nous en aurons besoin pour les faucons sanguinaires, dès que nous aurons quitté l’abri des arbres. »
Le petit sac remplissait presque toute l’étendue de la clairière avant d’être suffisamment ouvert pour permettre à Rufo de prendre les vêtements et d’atteindre l’arsenal. Mais des vêtements propres et un carquois bien garni me donnèrent l’impression d’être un homme nouveau, surtout après que Rufo eut sorti un demi-litre de cognac que nous asséchâmes en deux coups de cuiller à pot ! Star regarnit sa trousse médicale puis j’aidai Rufo à refaire les bagages.
Rufo était peut-être un peu ivre d’avoir bu du cognac sans avoir mangé. Ou bien il avait peut-être perdu trop de sang. Il a peut-être eu seulement la malchance de ne pas remarquer une flaque de boue glissante ? Il avait la boîte à la main, il était sur le point de fermer le dernier panneau pour lui donner la taille d’un sac à dos quand il glissa et se redressa brusquement, laissant échapper la boîte qui tomba de ses mains dans une flaque couleur de chocolat.
Elle était hors d’atteinte. Je hurlai : « Rufo, votre ceinture ! » et je débouclais déjà la mienne.
— « Non, non ! » hurla Rufo. « En arrière ! Éloignez-vous ! »
On pouvait encore voir un coin de la boîte. Si on m’assurait avec une corde, je savais que je pouvais l’attraper, même au fond de la mare. C’est ce que je dis, avec un peu de colère.
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