La bouche de Genarr se tordit en un petit sourire en biais. « C’est facile. Je l’aime énormément.
— Tu fais comme si c’était normal. Elle n’est pas aimable.
— Moi, je la trouve aimable. Elle est terriblement intelligente, même en dehors de son don.
— Oui, c’est vrai. Cela me console quand le fardeau devient trop lourd.
— Tant mieux, car le fardeau va peut-être s’alourdir, Eugenia. »
Insigna leva les yeux. « Pourquoi ?
— Elle m’a clairement laissé entendre que le Dôme ne lui suffit pas. Elle veut sortir, marcher sur le sol de la planète, dès que tu auras terminé ton travail. Elle insiste ! »
Insigna le regarda avec de grands yeux horrifiés.
Chapitre 18
La propulsion supraluminique
Trois années passées sur Terre avaient vieilli Tessa Wendel. Sa peau était moins douce. Elle avait pris du poids. Ses seins commençaient à fléchir et sa taille s’était épaissie. Elle avait les yeux cernés et un début de bajoues.
Crile Fisher savait que Tessa approchait maintenant de la cinquantaine et qu’elle comptait cinq ans de plus que lui. Elle ne faisait pas plus que son âge. C’était encore une belle femme mûre, mais elle ne pouvait plus passer pour une femme de moins de quarante ans, comme à leur première rencontre sur Adelia.
Tessa en était consciente et en avait parlé d’un ton amer la semaine dernière.
« C’est à cause de toi, Crile, lui avait-elle dit un soir au lit (l’occasion pour elle, apparemment, de s’apercevoir qu’elle vieillissait). Tu m’as vendue à la Terre. ‘‘Magnifique’’, disais-tu. ‘‘Immense’’, disais-tu. ‘‘De la variété. Toujours quelque de nouveau. Inépuisable.’’
— Ce n’est pas vrai ? répliqua-t-il, comprenant ce qu’elle ne pouvait pas supporter, mais souhaitant qu’elle donne libre cours à son ressentiment.
— Pas pour la pesanteur. Sur toute cette planète bouffie et invraisemblable, on trouve la même poussée gravitationnelle. Dans les airs, au fond des mines, là, ici, partout, un G … un G … un G. C’est à vous tuer d’ennui.
— Il n’y a rien de mieux, Tessa.
— Si. Tu as vécu sur les colonies. Là on peut faire de la gym sous faible pesanteur. On peut alléger, de temps en temps, la tension qui pèse sur vos tissus. Comment vivre sans cela ?
— Sur Terre aussi on fait de la gym.
— Oh, je t’en prie … avec cette éternelle attraction qui vous écrase. On ne peut pas sauter, on ne peut pas voler, on ne peut pas monter en flèche. Et cette gravitation entraîne vers le bas, toujours vers le bas, chaque partie de votre personne, si bien qu’on s’affaisse, qu’on se ride, qu’on vieillit. Regarde-moi ! Mais regarde-moi !
— Je te regarde aussi souvent que je peux, affirma Fisher d’un ton solennel.
— Alors, ne me regarde pas. Sinon, tu vas me laisser tomber. Et si tu fais cela, je retourne sur Adelia.
— Mais non. Qu’est-ce que tu y feras, une fois que tu te seras exercée sous basse pesanteur ? Ton travail de recherche, tes labos, ton équipe, sont ici.
— Traître ! Tu ne m’as pas dit que la Terre avait l’hyper-assistance, ni que vous aviez découvert l’Étoile voisine. Tu restais là à te moquer de moi comme le salaud sans cœur que tu es.
— Que se serait-il passé si tu avais décidé de ne pas venir sur Terre ? Ce n’était pas mon secret.
— Quand ils me l’ont dit, je me suis sentie assommée. Tu aurais pu y faire allusion afin que je n’aie pas l’air d’une idiote. Je t’aurais tué, mais que pouvais-je faire ? Tu m’as rendue dépendante de toi. Tu le savais quand tu m’as froidement séduite pour que je vienne sur Terre. »
C’était un jeu auquel elle tenait et Fisher connaissait son rôle. « Je t’ai séduite ? C’est toi qui as insisté. Tu ne voulais pas que cela se passe autrement.
— Espèce de menteur. Tu m’as forcée à le faire. C’était du viol, un viol impur et compliqué. Et tu vas encore recommencer. Je le vois dans tes yeux pleins de luxure. »
Il y avait des mois qu’elle n’avait pas joué à ce jeu-là et Fisher savait que cela arrivait lorsqu’elle était professionnellement satisfaite d’elle-même. Après, il dit : « Ça avance bien ?
— Avancer ? On pourrait le dire comme ça. » Elle haletait. « J’ai une démonstration pour ton vieux Terrien pourrissant, Tanayama, que je vois demain. Il m’a implacablement harcelée pour l’avoir.
— C’est un type implacable.
— C’est un type stupide. Même dans un monde où on ne connaît pas bien les sciences, on pourrait savoir au moins comment ça marche. Si on vous donne un million de crédits universels le matin, on ne s’attend pas à obtenir quelque chose de précis le soir même. Sais-tu ce qu’il m’a dit quand je lui ai déclaré que j’aurais peut-être quelque chose à lui montrer ?
— Non, tu ne me l’as pas raconté. Qu’a-t-il dit ?
— On pouvait imaginer qu’il s’exclamerait : C’est stupéfiant qu’en trois ans seulement vous ayez élaboré quelque chose d’aussi étonnant et d’aussi nouveau. Nous vous en sommes infiniment reconnaissants. Voilà ce qu’on aurait attendu.
— Ma foi, je ne vois pas Tanayama disant une chose pareille. Qu’a-t-il réellement dit ?
— ‘‘Au bout de trois ans, on était en droit d’espérer que vous finiriez par trouver quelque chose. Combien pensez-vous qu’il me reste de temps à vivre ? Croyez-vous que je vous ai soutenue, que je vous ai payée, que je vous ai fourni une armée d’assistants et de techniciens pour que vous fabriquiez quelque chose après ma mort et que je ne puisse pas le voir ?’’ Voilà ce qu’il a dit, et je t’assure que j’aimerais bien reporter la démonstration au lendemain de sa mort, mais le travail passe avant ma propre satisfaction.
— As-tu vraiment quelque chose qui puisse le satisfaire ?
— Juste la propulsion supraluminique. La vraie, non cette ineptie d’hyper-assistance. Maintenant, nous avons quelque chose qui va nous ouvrir les portes de l’univers. »
Le site où l’équipe travaillait à ébranler l’univers avait été préparé pour Tessa Wendel avant son arrivée sur Terre, avant même qu’elle sache qu’on voulait la recruter. C’était, en pleine montagne, une cité totalement interdite à la population grouillante de la Terre.
Tanayama était là, assis dans un fauteuil monitorisé. Seuls ses yeux, derrière leurs paupières plissées, semblaient vivants — alertes, regardant ici et là.
Ce n’était pas le plus grand personnage du gouvernement de la Terre mais c’était lui qui, en coulisse, avait suscité ce projet, et tout le monde s’effaçait devant lui.
Seule Wendel ne semblait pas intimidée.
La voix de Tanayama n’était guère plus qu’un chuchotement rauque. « Que vais-je voir, docteur ? Un vaisseau spatial ?
— Pas un vaisseau, monsieur le directeur. Il faudra encore des années pour cela. Ce que j’ai à vous montrer est aussi passionnant. Vous allez voir la première démonstration publique d’un vrai vol supraluminique, quelque chose qui dépasse infiniment l’hyper-assistance. »
Tanayama toussa douloureusement et dut garder le silence pour reprendre sa respiration. Ses yeux, torves et durs, étaient fixés sur elle. « C’est vous la responsable. C’est votre projet. Expliquez-moi.
— Ce que vous allez voir, ce sont deux conteneurs cubiques en verre. Où on a fait le vide absolu.
— Pourquoi le vide ?
— Le vol supraluminique ne peut être amorcé que dans le vide. Autrement, l’objet à déplacer entraîne la matière avec lui, augmentant les dépenses d’énergie et rendant le contrôle très difficile. Il doit aussi se terminer dans le vide, sous peine de catastrophe, parce que …
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