Arthur Clarke - La cité et les astres

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Tel un joyau resplendissant, la cité reposait au sein du désert. Elle avait autrefois connu le changement et la modification, mais le temps, maintenant, ne passait plus pour elle : jours et nuits voltigeaient sur la face du désert, mais dans les rues de Diaspar, c’était toujours l’après-midi, et le soir ne tombait jamais. Les longues nuits d’hiver pouvaient poudrer le désert de gelée blanche où se figeait le vestige d’humidité de l’air ténu de la terre : la cité ne connaissait ni chaleur ni froid. Elle n’avait aucun contact avec le monde extérieur ; elle était elle-même un univers.
Auparavant, les hommes avaient construit des villes, mais jamais aucune comme celle-là. Certaines avaient duré des siècles, d’autres des millénaires, avant que le temps ne balayât jusqu’à leurs noms. Diaspar seule avait défié l’éternité, se défendant, ainsi que tout ce qu’elle abritait, contre la lente érosion des siècles, les ravages de la vieillesse et la corrosion de la rouille.
Depuis que la cité avait été construite, les océans de la terre avaient fait leur temps, le désert recouvert le globe tout entier. Les dernières montagnes avaient été réduites en poussière par les vents et les pluies, et le monde était trop las pour en enfanter d’autres. La cité n’en avait cure. Même la Terre pouvait s’effriter, Diaspar continuerait de protéger les rejetons de ses bâtisseurs et de les transporter, eux et leurs trésors, sains et saufs sur les flots du temps.
Ils avaient beaucoup oublié, mais ils ne le savaient pas…

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« Très bien », dit-il, mais sans trop d’amabilité, car il était encore contrarié de cet obstacle inattendu sur son chemin. « Je vous donnerai ma réponse dès que je le pourrai — si vous voulez bien me montrer de quoi votre pays a l’air.

— Entendu », reprit Seranis, et cette fois son sourire ne cachait aucune menace. « Nous sommes fiers de Lys, et ce sera un plaisir de vous montrer comment des hommes peuvent vivre sans l’assistance des villes. Pendant ce temps, ne vous inquiétez pas, vos amis ne s’alarmeront pas de votre absence. Nous y veillerons, si ce n’est que pour notre propre protection. »

C’était la première fois que Seranis faisait une promesse qu’elle ne pourrait tenir.

XI

Malgré tous ses efforts, Alystra ne put tirer aucune autre information de Khedron. Le Bouffon s’était promptement remis de sa première émotion, et de la panique qui l’avait poussé à s’enfuir pour regagner la surface, lorsqu’il s’était retrouvé seul dans les profondeurs du Tombeau. Il avait honte aussi de s’être comporté en poltron, et il se demandait s’il aurait jamais le courage de retourner au hall des chemins roulants, et au réseau de tunnels qui en irradiaient vers le monde. S’il estimait qu’Alvin s’était montré impatient, voire téméraire, il ne pensait réellement pas qu’il courrait un danger quelconque. Alvin reviendrait à son heure ; Khedron en était certain. Du moins, presque certain ; il restait une marge de doute suffisante pour lui faire sentir la nécessité d’être prudent. Il serait sage, décida-t-il, de parler aussi peu que possible, et de faire passer toute l’affaire pour une nouvelle plaisanterie.

Malheureusement pour ce plan, il ne lui avait pas été possible de masquer ses sentiments lorsque Alystra l’avait rencontré, à son retour à la surface. Elle avait lu la peur dans ses yeux, et si indéniable qu’elle l’avait immédiatement interprétée comme l’indice du danger que courait Alvin. Toutes les affirmations de Khedron restèrent vaines, et elle s’emporta de plus en plus contre lui, tandis qu’ils revenaient tous deux par le Parc. Tout d’abord, Alystra avait voulu rester au Tombeau, à attendre qu’Alvin revînt aussi mystérieusement qu’il était parti. Khedron avait réussi à la convaincre que ce ne serait qu’une perte de temps, et il s’était senti soulagé quand elle l’avait suivi vers la ville. Il y avait une chance qu’Alvin revînt très vite, et Khedron ne désirait pas qu’on découvrit le secret de Yarlan Zey.

Lorsqu’ils furent arrivés dans la cité, il devint évident que les procédés évasifs de Khedron avaient totalement échoué, et qu’il n’était absolument plus maître de la situation. C’était la première fois de sa vie qu’il se trouvait aussi embarrassé, qu’il se sentait incapable de résoudre un problème. Sa peur irrationnelle immédiate faisait lentement place à une inquiétude plus profonde et plus sérieusement fondée. Jusque-là, Khedron n’avait guère pensé aux conséquences de ces actes. Ses goûts personnels et une sympathie superficielle mais réelle pour Alvin lui avaient semblé cette fois-ci des mobiles suffisants. Bien qu’il eût apporté encouragement et assistance à Alvin, il n’avait jamais cru à un pareil résultat.

Malgré leur différence d’âge et d’expérience, la volonté d’Alvin avait toujours été plus forte que la sienne. Il était trop tard pour rien y faire maintenant ; Khedron avait le sentiment que les événements l’entraînaient vers un dénouement absolument incontrôlable pour lui.

Cela mis à part, il était un peu injuste qu’Alystra vît en lui, de toute évidence, le mauvais génie d’Alvin, et qu’elle eût tendance à le blâmer de tout ce qui était arrivé. Alystra n’était pas particulièrement vindicative, mais elle était contrariée, et une partie de sa contrariété rejaillissait sur Khedron. Qu’elle causât, un jour, quelque ennui à Khedron, elle serait la dernière à le regretter.

Ils se séparèrent dans un silence glacial, une fois parvenus à la grande avenue circulaire qui entourait le Parc. Khedron regarda Alystra disparaître au loin, et il se demanda quels plans elle mijotait.

Il n’y avait qu’une chose dont le Bouffon fût maintenant certain. Pour un laps de temps considérable, il ne courrait plus du tout le risque de s’ennuyer.

Alystra agit rapidement, mais avec intelligence. Elle ne prit pas la peine de contacter Eriston et Etania ; les parents d’Alvin étaient d’agréables nullités pour lesquelles elle éprouvait quelque affection, mais aucun respect. Ils ne pourraient que perdre du temps en discussions futiles, et ils feraient ensuite exactement ce qu’Alystra allait maintenant faire.

Jeserac écouta son histoire sans émotion apparente. S’il fut inquiet ou surpris, il le dissimula bien, si bien même qu’Alystra se sentit plutôt désappointée. Il lui semblait que rien d’aussi extraordinaire et d’aussi important ne s’était jamais produit, et la froideur de Jeserac la démonta. Lorsqu’elle eut terminé, il l’interrogea assez longuement et laissa entendre, sans le dire ouvertement, qu’elle avait pu faire erreur. Quelle preuve avait-elle de supposer qu’Alvin avait véritablement quitté la ville ? Peut-être tout cela était-il une farce qu’on lui avait faite ; que Khedron s’y trouvât mêlé rendait l’hypothèse hautement vraisemblable. Alvin se riait peut-être d’elle, en cet instant précis, caché quelque part dans Diaspar.

La seule assurance qu’Alystra obtint de Jeserac fut sa promesse de chercher à obtenir des renseignements, et de reprendre contact avec elle d’ici au lendemain. En attendant, elle ne devait pas s’inquiéter, et il était également préférable qu’elle ne parlât de rien à qui que ce fût. Il n’était pas nécessaire de donner l’alarme au sujet d’un incident qui serait probablement éclairci dans quelques heures.

Alystra quitta Jeserac un peu dépitée. Elle eût probablement été plus satisfaite, si elle avait pu voir son comportement, tout de suite après son départ.

Jeserac avait des amis au Conseil ; lui-même en avait été membre, au cours de sa longue vie, et il risquait de l’être encore, la malchance aidant. Il appela trois de ses collègues les plus influents, éveilla prudemment leur intérêt. En tant que directeur des études d’Alvin, il était parfaitement conscient de sa situation délicate, et anxieux d’assurer ses arrières. Pour le présent, moins il y en aurait à savoir ce qui s’était passé, mieux cela vaudrait.

On tomba immédiatement d’accord pour prendre, avant toutes choses, contact avec Khedron et pour lui demander une explication. Ce plan excellent n’avait qu’un défaut : Khedron, l’ayant prévu, demeurait introuvable.

Si la position d’Alvin était quelque peu équivoque, ses hôtes prenaient grand soin de ne pas le lui rappeler. Il était libre d’aller partout où il le souhaitait à Airlee, le petit village sur lequel régnait Seranis, bien que le mot fût trop fort pour la position de cette dernière. Il semblait parfois à Alvin que Seranis était un dictateur bienveillant mais, à d’autres moments, il était clair qu’elle ne possédait aucun pouvoir. Jusque-là, il lui avait été totalement impossible de comprendre le système social de Lys, soit qu’il fût trop simple ou soit, au contraire, qu’il fût si complexe qu’Alvin se perdît dans ses détails. Tout ce qu’il avait découvert avec certitude, c’était que Lys était divisée en d’innombrables villages, dont Airlee était un exemple caractéristique. Cependant, en un sens, il n’existait pas de communauté type, car on avait assuré à Alvin que chaque village s’efforçait d’être aussi différent que possible de ses voisins. Tout cela était extrêmement déconcertant.

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