Arthur Clarke - Les sables de Mars

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Au prix d’efforts fantastiques, les hommes sont parvenus à s’implanter sur Mars ! Un voile de mystère recouvre cette tentative et le monde ignore encore ce qui se passe sur cette planète froide et stérile.
Martin Gibson est le premier reporter autorisé à s’embarquer sur « L’Ares », qui effectue son voyage d’essai vers la colonie sidérale. Dès le décollage, la réalité dément toutes ses prévisions ; loin d’être fastidieuse comme il se l’imaginait, cette croisière ne tarde pas à lui ouvrir les yeux sur mille problèmes insoupçonnés du public. Mais les étonnements de Gibson se multiplient à son arrivée sur Mars. S’il y découvre une étrange colonie en pleine activité, il sent aussi que l’amabilité dont on l’entoure est factice. Il fait figure d’intrus, d’indésirable. Pourquoi ?
Persuadé qu’on se ligue contre lui pour dissimuler un important secret, Gibson se met en tête d’élucider cette énigme. Il n’y parviendrait pas si, au hasard d’une exploration,une singulière trouvaille ne lui valait une soudaine célébrité parmi les colons.
A mesure qu’il pénètre plus avant dans les secrets de la cité martienne, il est gagné par l’enthousiasme. Oubliant ses devoirs de reporter pour participer à l’extraordinaire bataille que les pionniers livrent contre la sauvagerie glacée de la planète, il n’informe pas la Terre de ce qu’il apprend.
Martin Gibson est lui-même conquis par ce monde désolé mais riche de promesses, au point que le retour sur sa planète natale ne lui semble plus souhaitable,
Quels sont donc les sortilèges qui enchaînent Gibson à la première cité extra-terrestre ? Pourquoi est-il devenu un autre homme ?
La réponse à ces deux questions est enfouie dans les sables rouges des déserts de Mars.

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Il était amusant, touchant même, de voir combien les colons s’attachaient à utiliser le plus souvent possible les noms des rues et des endroits familiers de leurs lointaines résidences terrestres. Il existait bien un système scientifique de numérotation des artères de Port Lowell, mais personne ne l’utilisait jamais.

La plupart des maisons d’habitation étaient des constructions métalliques uniformes, hautes de deux étages, aux angles arrondis, percées de fenêtres assez petites. Elles abritaient chacune deux familles, sans place à revendre, car le taux des naissances était le plus élevé de tout l’univers connu. Rien de surprenant, puisque la population tout entière avait un âge moyen allant de vingt à trente ans, les membres les plus âgés du personnel administratif approchant à peine de la quarantaine. Chaque immeuble possédait un curieux porche qui laissait Gibson perplexe. Il réalisa bientôt que son rôle était d’agir comme valve en cas de danger.

Whittaker l’emmena tout d’abord vers le centre administratif, le plus haut bâtiment de la ville. Un homme placé sur son toit aurait presque pu atteindre, en étendant le bras, le dôme qui flottait au-dessus. La visite n’avait d’ailleurs rien de très passionnant. Il aurait pu s’agir de n’importe quel service du même genre sur Terre, avec ses rangées de bureaux, de machines à écrire et de classeurs.

Le central d’aération présentait beaucoup plus d’intérêt. C’était vraiment là le cœur de Port Lowell. S’il cessait jamais de fonctionner, la cité et tous ceux qu’elle contenait ne tarderaient pas à mourir. Gibson n’imaginait que vaguement la façon dont la colonie se procurait son oxygène. Au moment donné, il avait eu l’impression qu’elle l’extrayait de l’air ambiant, ayant perdu de vue qu’une atmosphère aussi rare que celle de Mars en contenait moins de un pour cent.

Le maire lui désigna l’énorme tas de sable roux amassé par les bulldozers à l’intérieur du dôme. Ce que chacun appelait du « sable » n’avait en réalité que peu de ressemblance avec son homonyme terrestre. Cette mixture complexe d’oxydes métalliques n’était rien de plus que les débris d’un monde rouillé à mort.

— Tout l’oxygène nécessaire se trouve là-dedans, dit Whittaker en donnant un coup de pied dans la masse poudreuse, de même que presque tous les métaux imaginables. Nous avons eu un ou deux coups de veine sur Mars, et celui-ci n’est pas le moindre.

Il se pencha pour ramasser un morceau plus solide que le reste.

— Je n’ai rien d’un géologue, reprit-il, mais regardez-moi ça ! Pas mal, hein ? On prétend que c’est en majeure partie de l’oxyde de fer. Évidemment, le fer n’a pas grande utilité, mais il y a les autres métaux. Le magnésium est à peu près le seul que nous ne puissions extraire directement. Son meilleur gisement est dans les vieux fonds marins. Ainsi, à Xanthe, il en existe des couches salées d’une centaine de mètres d’épaisseur dans laquelle nous n’avons qu’à puiser selon nos besoins.

Ils pénétrèrent dans une construction basse et brillamment éclairée, où aboutissait un courant continu de sable transporté sur courroies à bennes. Malgré l’empressement exagéré mis par l’ingénieur responsable pour expliquer les opérations, Gibson se contenta de retenir que le minerai était fondu dans des hauts fourneaux électriques, que l’oxygène en était tiré avant d’être purifié et condensé, et qu’enfin les divers déchets métalliques s’acheminaient vers des traitements plus compliqués. On produisait également ici une certaine quantité d’eau, presque suffisante pour les besoins de la colonie, encore qu’il existât d’autres modes d’approvisionnement.

— Il est évident, déclara Whittaker, que nous ne devons pas seulement emmagasiner de l’oxygène, mais qu’il nous faut aussi conserver un taux convenable à la pression de l’air et nous débarrasser du CO 2. Vous comprenez bien, n’est-ce pas, que le dôme n’est maintenu en place que par la pression intérieure et qu’il ne possède aucun autre support ?

— Oui, admit Gibson, et je suppose que si cette pression tombait, tout le dispositif s’effondrerait comme un ballon crevé ?

— C’est cela. Aussi, nous conservons le taux de 150 millimètres en été, un peu plus en hiver. Ça nous donne à peu près la même pression d’oxygène que sur Terre. Quant au CO 2, ce sont tout simplement les plantes qui s’en débarrassent pour nous. Nous en avons importé en quantité suffisante pour ce travail, puisque la végétation martienne ne se prête pas à la photosynthèse.

— C’est ce qui explique les tournesols hypertrophiés d’Oxford Circus, je pense ?

— Oh, ceux-là sont plutôt destinés à la décoration qu’à autre chose. Je crains qu’ils ne commencent à devenir un peu gênants. Il va falloir que je mette un terme à leur prolifération. À présent, si vous le voulez bien, allons faire un tour à la ferme.

L’appellation était plutôt séduisante pour désigner l’usine de produits alimentaires qui occupait le Dôme n° 3. L’atmosphère y était particulièrement humide et la lumière solaire s’y trouvait renforcée par des groupes de tubes fluorescents, de sorte que la production pouvait s’y poursuivre jour et nuit.

Gibson ne connaissait pas grand-chose en matière de culture hydroponique ; aussi ne fut-il que médiocrement intéressé par les chiffres que Whittaker lui déversa dans l’oreille. Malgré tout, il comprit que le ravitaillement en viande était l’un des problèmes majeurs et s’extasia devant l’ingéniosité déployée pour le résoudre en pratiquant sur une vaste échelle la culture de cellules dans d’énormes bacs remplis de liquide nutritif.

— C’est mieux que rien, commenta le maire d’un air un peu rêveur, mais qu’est-ce que je ne donnerais pas pour un vrai gigot d’agneau ! Malheureusement, l’élevage nous prendrait tellement de place que nous ne pouvons pas y songer.

— Nous essayerons pourtant de créer un petit cheptel de vaches et de moutons quand le nouveau dôme sera terminé. Ça plaira aux enfants, qui n’ont jamais vu le moindre animal.

Ce n’était pas tout à fait la vérité, et Gibson devait s’en rendre compte par la suite. Whittaker avait incidemment oublié de parler des deux habitants les plus fameux de Port Lowell.

— À la fin de la visite, le romancier commença à ressentir les effets d’une légère indigestion mentale. Il est vrai que les mécanismes de la vie de la cité étaient vraiment complexes et que son guide ne lui épargnait aucun détail. Aussi, ce fut pour Martin un soulagement intense lorsqu’ils s’en retournèrent finalement au domicile du maire.

— Je pense que c’est beaucoup pour un seul jour, dit le magistrat, mais je tenais à vous faire faire le tour aujourd’hui, étant donné que nous avons tous pas mal de besogne demain, et qu’il me sera difficile d’en distraire un moment. Vous comprenez, l’administrateur est en voyage. Il ne rentrera pas avant jeudi, et c’est moi qui suis chargé de la surveillance générale en son absence.

— Où est-il allé ? s’enquit Gibson, plus par politesse que par intérêt véritable.

— Oh, jusqu’à Phobos, répondit l’autre après une courte hésitation. Il sera heureux de vous rencontrer dès son retour.

C’est alors que la conversation fut interrompue par l’arrivée de Mrs. Whittaker et de ses enfants, et le romancier fut contraint de parler de la Terre pendant tout le reste de la soirée. C’était la première fois — mais ce ne devait pas être la dernière — qu’il remarquait l’insatiable intérêt que les colons portaient à la planète mère. Ils ne l’admettaient pas ouvertement, ils affichaient une indifférence bornée envers le « vieux monde » et ses affaires, mais leurs questions, et surtout leurs rapides réactions aux commentaires et aux critiques terrestres, démentaient formellement leur attitude.

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