Arthur Clarke - Les sables de Mars

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Au prix d’efforts fantastiques, les hommes sont parvenus à s’implanter sur Mars ! Un voile de mystère recouvre cette tentative et le monde ignore encore ce qui se passe sur cette planète froide et stérile.
Martin Gibson est le premier reporter autorisé à s’embarquer sur « L’Ares », qui effectue son voyage d’essai vers la colonie sidérale. Dès le décollage, la réalité dément toutes ses prévisions ; loin d’être fastidieuse comme il se l’imaginait, cette croisière ne tarde pas à lui ouvrir les yeux sur mille problèmes insoupçonnés du public. Mais les étonnements de Gibson se multiplient à son arrivée sur Mars. S’il y découvre une étrange colonie en pleine activité, il sent aussi que l’amabilité dont on l’entoure est factice. Il fait figure d’intrus, d’indésirable. Pourquoi ?
Persuadé qu’on se ligue contre lui pour dissimuler un important secret, Gibson se met en tête d’élucider cette énigme. Il n’y parviendrait pas si, au hasard d’une exploration,une singulière trouvaille ne lui valait une soudaine célébrité parmi les colons.
A mesure qu’il pénètre plus avant dans les secrets de la cité martienne, il est gagné par l’enthousiasme. Oubliant ses devoirs de reporter pour participer à l’extraordinaire bataille que les pionniers livrent contre la sauvagerie glacée de la planète, il n’informe pas la Terre de ce qu’il apprend.
Martin Gibson est lui-même conquis par ce monde désolé mais riche de promesses, au point que le retour sur sa planète natale ne lui semble plus souhaitable,
Quels sont donc les sortilèges qui enchaînent Gibson à la première cité extra-terrestre ? Pourquoi est-il devenu un autre homme ?
La réponse à ces deux questions est enfouie dans les sables rouges des déserts de Mars.

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— Vous ne savez probablement pas encore vous servir de ces instruments-là, fit le pilote en exhibant deux masques respiratoires, mais ça ne sera pas long, vous n’aurez qu’à les porter une minute pour arriver aux « poux ».

Aux poux ? s’étonna Gibson en lui-même. Ah, mais bien sûr, ces petites voitures ne pouvaient être que les fameux « poux des sables » martiens, qui servaient aux déplacements sur la planète.

— Je vais vous les fixer, poursuivit l’autre. Ça va pour l’oxygène ? Bon, allons-y. Oui, je sais, ça semble un peu drôle au début.

Lentement, l’air s’échappa en sifflant de la cabine, jusqu’à égalisation des pressions intérieure et extérieure. Gibson éprouva des démangeaisons désagréables sur les parties exposées de son épiderme. C’était inévitable, l’atmosphère qui l’entourait étant plus rare qu’au sommet de l’Everest. Trois mois de lente accoutumance à bord de l’Arès, plus toutes les ressources de la science médicale moderne, avaient été nécessaires pour lui permettre de poser le pied sur Mars sans autre protection qu’un masque à oxygène …

Il était flatté de voir qu’autant de monde était venu pour l’accueillir. Naturellement, la planète n’avait pas souvent l’occasion de recevoir un hôte aussi distingué, mais Gibson n’ignorait pas que l’active petite colonie ne consacrait d’habitude que peu de temps aux cérémonies.

Le docteur Scott émergea à côté de lui, toujours porteur de la volumineuse boîte en métal dont il avait pris si grand soin pendant tout le voyage. À sa vue, un groupe de colons se porta au-devant de lui et l’entoura en ignorant complètement le romancier. Martin perçut leurs voix, si déformées dans cet air raréfié qu’elles en étaient presque incompréhensibles.

— Heureux de vous revoir, docteur ! Voyons, laissez-nous vous débarrasser !

— Nous avons tout préparé ; il y a en ce moment dix cas en attente à l’hôpital. Nous saurons à quoi nous en tenir dans une semaine.

— Allons, montons en voiture, nous discuterons plus tard !

Avant que Gibson eût réalisé ce qui se passait, Scott et ses disciples étaient soustraits à sa vue. On entendit le gémissement aigu d’un moteur puissant et le car s’ébranla vers Port Lowell, laissant Martin aux prises avec un sentiment de ridicule comme il n’en avait jamais connu dans sa vie.

L’écrivain avait complètement oublié le sérum. L’arrivée de ce dernier revêtait une importance infiniment plus grande pour Mars que la visite d’un romancier, si populaire fût-il sur sa planète natale. C’était là une leçon de modestie qu’il n’oublierait pas de sitôt.

Heureusement, il n’était pas tout à fait abandonné, car il restait encore des « poux des sables ». Un passager descendit de l’un d’eux et se dirigea rapidement vers lui.

— M. Gibson ? Westerman, du Times — c’est-à-dire du Martian Times. Nous sommes enchantés de vous recevoir. Et voici …

— Henderson, chef du service d’accueil, interrompit un grand gaillard au visage étroit, visiblement contrarié d’avoir été devancé. Je veillerai à ce que vos bagages vous suivent. Montez, s’il vous plaît.

Il sautait aux yeux que Westerman aurait préféré mettre le grappin sur le nouvel arrivant, mais le journaliste dut se soumettre avec le maximum de bonne grâce qu’il put extérioriser.

Gibson pénétra dans la voiture d’Henderson par la poche de plastique souple qui formait sas d’entrée — un système simple mais pourtant efficace — et l’autre le rejoignit presque aussitôt dans la cabine de conduite. Il fut soulagé de pouvoir ôter son masque respiratoire, car les quelques instants passés au-dehors lui avaient semblé pénibles. Contrairement à la sensation qu’il prévoyait, Martin se sentait très lourd et presque engourdi. N’ayant pas subi la moindre pesanteur depuis trois mois, il devait se réaccoutumer à son propre poids, même si ce dernier n’atteignait que le tiers de sa valeur terrestre.

Le véhicule s’élança sur la piste en direction des dômes, distants de deux kilomètres. Pour la première fois, Gibson remarqua le vert brillant et marbré des plantes vivaces qui étaient la forme la plus commune de la vie sur Mars. Au-dessus de sa tête, le ciel n’était plus d’un noir de jais, mais d’un bleu resplendissant et profond. Le soleil approchait du zénith ; ses rayons engendraient une chaleur surprenante à travers la carrosserie en plastique de la cabine.

Gibson se mit à scruter la voûte sombre du ciel pour tenter d’y découvrir la petite lune où il avait laissé ses compagnons. Henderson le remarqua. Il ôta une main du volant pour désigner un point proche du soleil.

— La voici, dit-il.

Le romancier disposa ses mains en abat-jour au-dessus de ses yeux et redoubla d’attention. Il repéra finalement, un peu à l’ouest du soleil, une brillante étoile suspendue comme une lointaine ampoule électrique, sur le fond bleu sombre du ciel.

Ce n’était pas possible, les dimensions étaient beaucoup trop petites, même pour Déimos ! Martin ne comprit qu’un peu plus tard que son compagnon se méprenait sur l’objet de ses recherches.

Cette lueur vigilante et stable, qui brillait d’une façon si inattendue dans le ciel diurne était ( et resterait encore pour de nombreuses semaines … ) l’étoile du matin de Mars. Mais on la connaissait mieux sous le nom de « Terre ».

Chapitre VIII

— Désolé de vous avoir fait attendre, s’excusa Whittaker, le maire, mais vous savez ce que c’est … L’administrateur est en conférence depuis une heure et j’ai tout juste pu lui glisser à l’oreille que vous étiez là. De cette façon, une présentation ne sera pas nécessaire.

La pièce avait tout d’un banal bureau terrestre. La porte annonçait en termes assez simples : « Administrateur général ». Pas de nom, c’était superflu. Dans tout le système solaire, chacun savait qui régissait Mars, et on pouvait difficilement évoquer cette planète sans penser aussi à Warren Hadfield.

Quand Hadfield se leva de derrière son bureau, Gibson fut surpris de constater qu’il était notablement plus petit qu’on se l’imaginait. Martin devait avoir jugé l’homme, une fois de plus, d’après ses propres récits. Pourtant, la stature mince et nerveuse, de même que l’expression de sensibilité du visage étaient bien celles qu’il s’attendait à trouver.

Le romancier aborda l’entrevue un peu sur la défensive, car trop de choses dépendaient de l’impression qu’il allait faire. Son séjour serait infiniment plus facile s’il gagnait Hadfield à sa cause. S’il s’en faisait un ennemi, mieux vaudrait qu’il rentre chez lui sur l’heure.

— J’espère que Whittaker s’est occupé de vous, s’inquiéta l’administrateur, après l’échange de formules de politesse. Vous comprendrez qu’il m’était impossible de vous recevoir plus tôt : je rentre tout juste d’une tournée d’inspection. Alors, est-ce que vous vous habituez à la vie ici ?

— Très bien, affirma Gibson en souriant. J’ai bien cassé quelques objets en les lâchant en l’air, mais je commence à me réaccoutumer à la pesanteur.

— Et que pensez-vous de notre petite ville ?

— C’est une réalisation remarquable ; je ne sais comment vous avez réussi à faire tant de choses en si peu de temps.

Hadfield le dévisagea avec intensité.

— Soyez franc, c’est plus petit que vous le croyiez, n’est-ce pas ?

Gibson hésita.

— Eh bien, je suppose que oui, mais il faut dire que j’ai encore à l’esprit des étalons tels que Londres et New York. Somme toute, deux mille personnes ne formeraient qu’un gros village sur Terre. Mais il faut aussi tenir compte du fait qu’une bonne partie de Port Lowell est souterraine.

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