Passant dans l’ahun, nous nous posâmes sur la planète des Kaïens, qui nous servait de quartier général. Un autre ksill géant, que commandait Akéion, était déjà là. Sur l’un des côtés de l’immense champ d’atterrissage une petite cité cosmopolite avait surgi, abritant les équipes d’entretien des ksills. Les Kaïens se montraient amicaux, mais réservés.
Nous attendîmes. Deux autres ksills arrivèrent, et leurs commandants vinrent au rapport. Tout était normal. Une cinquantaine de soleils avaient déjà été rallumés, mais, comme le fit observer Beichit, par rapport aux milliards d’étoiles mortes des galaxies maudites, ce n’était qu’une faible étincelle dans la nuit.
Le temps passa. La nuit tomba, la nuit de Sswft. Les six autres ksills ne revenaient pas. Nous ne fûmes pas trop inquiets, la limite de temps n’étant pas atteinte. Nous dînâmes, puis allâmes dormir. Au matin, les quatre énormes dômes de nos ksills étaient encore seuls sur le terrain.
Vers le milieu de la matinée, un petit ksill se posa, venant d’Ella. Il amenait Assza. Sa visite nous fit paraître le temps plus court. Mais quand, à la nuit, aucun de nos engins ne fut encore rentré, l’inquiétude commença à nous tourmenter. D’un commun accord, nous décidâmes que Souilik, Assza et moi-même veillerions tard dans la nuit.
Nous nous installâmes à l’avant-dernier étage de la tour de contrôle, où les Hiss avaient agencé un poste de guet. Au-dessus de notre tête nous entendions les pas lourds du Kaïen qui assurait le trafic des aéronefs de son propre monde. Assza s’assit devant le poste émetteur, essaya de contacter les ksills à leur approche de la planète. Mais les appareils, aussi bien en ondes sness qu’en ondes hertziennes, restèrent silencieux. Vers minuit, Souilik prit sa place. Assis sur un confortable divan, je m’engourdissais lentement. Tout était obscur, sauf la faible lueur verte des lampes de contrôle.
Soudain, sur l’écran de vision parut la face blême d’un Hiss, Brissan, le commandant du ksill numéro 8. Il prononça quelques paroles entrecoupées et inintelligibles, puis l’écran s’éteignit.
Complètement réveillé, je me levai, me tins derrière Souilik. Il manœuvrait fébrilement les boutons de réglage. Une fois encore, l’écran s’alluma, mais resta blanc.
« Que se passe-t-il, Souilik ? Demandai-je.
— Je ne sais pas. Rien de bon, certainement.
— Venez », coupe Assza.
Nous grimpâmes à l’étage supérieur. Le Kaïen eut une lueur d’hostilité dans ses yeux pédonculés quand il nous vit entrer, lueur qui disparut quand il reconnut Souilik. À la demande d’Assza, il orienta le détecteur spatial — un modèle sinzu perfectionné d’ailleurs — et tâta le ciel. Ce détecteur est une sorte de radar utilisant les ondes sness. Sur l’écran apparut une tache qui se déplaçait rapidement.
« Le 8, dit Souilik. Il sera là dans quelques minutes. Il doit être déjà dans l’atmosphère ».
Nous redescendîmes. Un à un, les puissants projecteurs s’allumaient aux quatre coins du terrain, non point pour le ksill qui n’en avait nul besoin, mais pour un astronef kaïen qui revenait d’un voyage interplanétaire. Il arriva peu après, énorme masse ovoïde et inélégante. À peine s’était-il immobilisé que notre ksill apparut. Mais au lieu de descendre verticalement, il piqua obliquement vers le sol. Le visage tendu, Souilik regardait à travers la vitre.
« À quoi pense Brissan ? Il est fou, ou il croît piloter un réob ? Par les Misliks ! Trop vite, de toute façon ! Trop vite — Ssiiih ! »
L’énorme engin venait de toucher le sol, filant encore à plus de mille kilomètres à l’heure. Labourée, la terre jaillit, la poussière roula en vagues lourdes dans la lumière des projecteurs. À travers cette brume jaunâtre nous vîmes le ksill rebondir, retomber, bondir de nouveau. Puis il passa sur la tranche comme une gigantesque roue. Il heurta légèrement le ksill numéro 2 — celui d’Akéion — passa entre le 1 et le 3, et s’écrasa contre l’astronef kaïen.
Nous étions déjà en train de courir. Lentement la poussière retombait. Du 3 jaillirent les Hiss, les Sinzus. Nous passâmes devant le 1 et je me retrouvai courant toujours, avec Essine à ma gauche, Ulna, Beichit, Souilik et Assza à ma droite. À toute allure filèrent les véhicules kaïens portant les équipes de secours.
L’astronef flambait. Contre lui, la carapace tordue, déchirée, le 8 gisait, aux trois quarts démoli. La trappe de sortie gauche était ouverte, mais personne n’apparaissait. Nous plongeâmes dans le couloir bosselé, rampâmes sous les plafonds effondrés, déplaçâmes quelques cadavres de Hiss et de Sinzus et pénétrâmes dans le seall.
La lumière y palpitait encore et, du fond du ksill éventré, montait le bourdonnement des moteurs. Il y avait sept hommes dans le seall ; six d’entre eux étaient déjà morts. Brissan vivait encore. Il reconnut Souilik et Assza, murmura: « Attention, les Misliks contre-attaquent », puis mourut à son tour.
Dans le désordre des installations démolies et des appareillages arrachés, Souilik trouva le livre de bord, sous une banquette. Nous ressortîmes, laissant la place à l’équipage du 3, qui, méthodiquement, chercha les survivants possibles. Ils en trouvèrent enfin un, une jeune fille Kren, les quatre membres brisés. Elle fut transportée immédiatement à l’hôpital de la base.
L’astronef brûlait toujours. Je ne sais quelle substance les Kaïens emploient pour leurs fusées, mais elle est éminemment combustible, et dégage une énorme chaleur. Petit à petit le feu fut éteint ; nous regagnâmes la tour de contrôle, et un conseil de guerre fut immédiatement réuni.
En bref, voici ce que nous apprit la lecture du livre de bord. Tout avait semblé normal. Le kilsim avait été déposé à la surface d’une étoile morte. Le ksill avait attendu à bonne distance l’explosion. Elle ne s’était pas produite. Brissan attendit encore pendant une durée cinq fois plus grande que la durée normale. Il ne fallait pas songer à retourner vérifier le kilsim. Au moment où Brissan allait donner l’ordre de passer dans l’ahun, le ksill avait été entouré de Misliks. Les rayons thermiques, mis immédiatement en action, avaient balayé la menace, mais déjà trois Hiss avaient été gravement touchés.
Alors Brissan, avec l’accord de son état-major, avait commis une imprudence. Au lieu de rentrer à sa base, il s’était approché de la dernière planète de ce système, planète qui grouillait de Misliks. Il avait pu observer, à sa surface, des pylônes d’un type plus compliqué que ceux que nous avions autrefois détruits sur Sept de Kalvénault. Le kilsim, à la surface de l’étoile, ne fonctionnait toujours pas, et Brissan avait pensé que les Misliks avaient trouvé le moyen d’inhiber son fonctionnement. Cela supposait qu’ils avaient été avertis de ses effets, donc que les Misliks entretenaient, par des moyens inconnus, des relations ultra-rapides de système solaire à système solaire.
Brissan songea au retour. Il s’éloigna de la planète pour passer dans l’ahun. Alors, volant à travers l’Espace, des blocs de métal, des Misliks morts, commencèrent à pleuvoir sur le ksill, crevant sa carapace, bien moins épaisse que celle de l’Ulna-ten-Sillon.
Quoique très endommagé, le ksill passa dans l’ahun, mais la moitié des moteurs et de l’appareillage ne fonctionnaient plus, et les derniers mots inscrits sur le livre de bord étaient: « Base en vue. Nous descendons trop vite ».
Nous attendîmes vainement les autres ksills. Des trois cents membres des six équipages, un seul survécut, qui nous confirma plus tard le récit du livre de bord, Barassa la Kren. De leur côté les Kaïens eurent quatre-vingt-sept tués dans la catastrophe.
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