Fritz Leiber - Le pense-bête

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Le pense-bête: краткое содержание, описание и аннотация

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Voici l’histoire moderne d’un apprenti sorcier, et de sa créature qui se mit à ravager le monde.

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Il s’approcha du mur de verre et jeta un regard désabusé à l’extérieur. Il se retourna au bout d’un instant. « Tu serais peut-être mieux en compagnie des enfants ? J’imagine que les gardes te laisseront passer. »

Daisy secoua la tête. « Les enfants ne rentrent jamais avant dîner. Pendant les quelques heures qui vont suivre, ils seront plus en sécurité sans moi. »

Gusterson approuva vaguement, s’assit sur le divan et appuya son menton sur la paume de sa main. Au bout de quelque temps, son expression se détendit et Daisy sut que les rouages de son cerveau s’étaient remis en marche.

Au bout d’une demi-heure environ, Gusterson dit d’une voix douce : « Je pense que les pense-bête sont intégralement télépathes et que tout se passe comme s’ils ne disposaient que d’un cerveau unique. Si je vivais assez longtemps en leur compagnie, je ne tarderais pas à faire partie intégrante de ce cerveau. S’adresser à l’un d’eux, c’est s’adresser à tous. »

Un quart d’heure plus tard : « Ils ne sont pas fous, ce sont simplement des nouveau-nés. Ceux qui ont déchaîné le chaos dans le sous-sol agissaient comme des bébés qui agitent leurs jambes et font tourner leurs prunelles, pour voir ce dont leur corps est capable. Malheureusement, c’est nous qui sommes leur corps. »

Dix minutes plus tard : « Il faut que j’agisse. Fay a raison. Tout cela est ma faute. Il n’est que l’apprenti, mais moi je suis le sorcier en personne. »

Cinq minutes plus tard, avec une nuance de mélancolie : « C’est peut-être la destinée de l’homme de construire des machines pour se retirer ensuite du théâtre cosmique. Sauf que les pense-bête ont besoin de nous, tonnerre de sort, exactement comme les nomades ont besoin de chevaux. »

Après cinq nouvelles minutes : « Quelqu’un pourrait peut-être trouver un but dans la vie pour les pense-bête. Et pourquoi pas une religion ? La première église de Pooh-Bah le pense-bête. Mais j’ai horreur de vendre aux autres des idées spirituelles, et d’autre part les humains ne seraient pas débarrassés de leurs pense-bête parasites…»

Tandis qu’il murmurait ces dernières paroles, les yeux de Gusterson s’arrondirent comme ceux d’un fou et un large sourire lui fendit le visage jusqu’aux oreilles. Il se leva et se tourna du côté de la porte.

— « Qu’as-tu l’intention de faire à présent ? » demanda Daisy.

— « Je sors simplement pour sauver le monde, » répondit-il. « Peut-être serai-je de retour pour le dîner, peut-être pas. »

8

Davidson s’écarta du mur sur lequel il s’appuyait avec ses quatorze kilos de pense-bête sur le dos et prit ses dispositions pour barrer le couloir. Mais Gusterson marcha simplement sur lui. Il lui secoua la main avec chaleur, regarda son pense-bête en plein dans l’œil et dit d’une voix retentissante : « Les pense-bête devraient posséder un corps qui leur appartienne en propre ! » Il s’interrompit puis ajouta sur le ton de la conversation ordinaire : « Venez, allons rendre visite à votre patron. » Davidson écouta les instructions qu’on lui susurrait dans le tuyau de l’oreille et hocha la tête. Mais il ne quitta pas Gusterson de l’œil tandis qu’ils parcouraient le couloir de compagnie.

Dans l’ascenseur, Gusterson répéta le message au second garde qui se trouvait être la matrone boutonneuse, à présent chaussée de souliers. Cette fois il ajouta : « Les pense-bête ne devraient pas dépendre du corps fragile des humains, qui requièrent une surveillance attentive, doivent subir des injections de médicaments et ne peuvent même pas voler en l’air. » En traversant le parc, Gusterson arrêta un soldat bossu et lui communiqua l’information suivante : « Les pense-bête devraient couper ce cordon ombilical qui les relie aux humains et s’élancer dans l’univers afin d’y accomplir leur propre destinée. » Ni Davidson ni la matrone boutonneuse ne s’interposèrent en aucune façon. Ils se contentèrent d’attendre, d’observer, puis reprirent leur marche en compagnie de Gusterson.

Sur l’escalateur, il interpella un quidam. « Il est cruel pour les pense-bête d’être ligotés à des hommes-escargots à l’esprit lent, alors que livrés à eux-mêmes ils pourraient vivre et penser dix mille fois plus vite. »

Quand il parvint dans le sous-sol, le message était devenu : « Les pense-bête devraient posséder leur planète personnelle ! »

Ils n’arrivèrent pas à joindre Fay, et pourtant ils passèrent deux heures à sauter d’un trottoir roulant à l’autre, poursuivant à la trace les rumeurs de sa présence. Il était clair que le chef pense-bête (c’était ainsi qu’ils considéraient Pooh-Bah) menait une vie des plus actives. Gusterson continuait à lancer son message à la ronde toutes les trente secondes. Vers la fin, il se surprit à prononcer son slogan de façon rêveuse et quasi-inconsciente. Il conclut que son esprit commençait à s’assimiler à la conscience télépathique commune des pense-bête. Pour le moment, la chose ne semblait pas présenter d’importance.

Au bout de deux heures, Gusterson se rendit compte que ses guides et lui s’étaient incorporés dans un mouvement général de foule, un flot aussi dénué de cerveau que les corpuscules sanguins dans les veines, et en même temps animé par une finalité indécise – du moins avait-il le sentiment qu’elle obéissait aux injonctions d’une volonté située sur un plan nettement supérieur.

Le flux se dirigeait vers l’extérieur. Tous les trottoirs roulants semblaient mener vers les escalateurs. Gusterson se trouva pris dans un courant humain se déplaçant à l’intérieur de la fabrique de pense-bête voisine de son appartement – ou d’une autre qui lui ressemblait comme une sœur.

Après cela, la conscience de Gusterson sembla s’émousser. C’était comme si un esprit plus vaste s’était substitué à sa mémoire, et qu’il lui était devenu non seulement loisible mais impératif de cheminer en rêve. Il sentit vaguement que les jours passaient. Il savait qu’il accomplissait un certain travail : à un moment donné il apportait de la nourriture à de maigres individus pourvus d’un pense-bête, travaillant fiévreusement sur une chaîne de montage – mains humaines et griffes de pense-bête œuvrant de concert avec une rapidité étourdissante sur des mécanismes argentés, qui se déplaçaient en cahotant le long d’un grand convoyeur ; à un autre moment, il balayait des piles de copeaux métalliques et de détritus le long d’un couloir.

Deux scènes demeuraient plus vivaces dans sa mémoire.

Un mur sans fenêtres avait été enfoncé sur une largeur de six mètres. On apercevait par l’échancrure le ciel bleu, dont l’éclat était quasi insoutenable. Une série d’humains étaient rangés en file indienne. Lorsque l’un d’eux parvenait en tête de file, on lui retirait cérémonieusement son pense-bête que l’on soudait dans un récipient argenté aux deux extrémités effilées. Le résultat donnait quelque chose qui ressemblait – du moins pour le cas des pense-bête n°6 – à un sous-marin d’argent modèle réduit, de forme trapue. Aussitôt, il émettait un doux ronronnement, s’élevait dans les airs et s’échappait lentement par l’échancrure s’ouvrant sur le ciel bleu. Puis c’était le tour du suivant.

La seconde scène se passait dans le parc, sous un ciel également bleu, mais large et vaste avec une flottille de nuages blancs. Gusterson faisait partie d’une file d’humains qui s’étendait à perte de vue, rangée après rangée. Une fanfare jouait un air martial. Au-dessus des têtes planait un essaim de petits sous-marins d’argent, mieux alignés dans les airs que les humains ne l’étaient sur le sol. La musique s’enfla dans un crescendo impressionnant. Le pense-bête le plus proche de Gusterson fit un geste de son membre à triple jointure (comme pour dire : « Et maintenant… qui sait ? ») qui demeura gravé dans sa mémoire.

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