Fritz Leiber - Le pense-bête
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- Название:Le pense-bête
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- Издательство:OPTA
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- Год:1965
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— « J’ai rédigé six pages de recommandations à propos des pense-bête, » répéta-t-il, dans l’atmosphère moite et feutrée du téléphone. « Je les ai dactylographiées afin de ne pas les oublier dans la chaleur de la polémique. Je te demande de les lire sans en perdre un mot, Fay. Cette idée n’a cessé de me tourmenter depuis le moment où je me suis demandé si c’était toi ou ton pense-bête qui t’avait amené à quitter notre appartement à ta dernière visite. Je voudrais que tu…»
— « Ah ! ah ! Chaque chose en son temps. » Dans le téléphone, le rire de Fay prenait des résonances métalliques. « Mais je suis heureux que tu te sois décidé à collaborer, Gussy. Le mouvement se développe avec rapidité. Sur le plan national, les adultes habitant le sous-sol sont pourvus de pense-bête dans une proportion de quatre-vingt-dix pour cent. »
— « Je n’en crois rien, » protesta Gusterson en mitraillant de l’œil la cohorte de bossus qui l’entouraient. Le trottoir roulant glissait le long d’un tunnel faiblement éclairé, garni de portes et de panneaux publicitaires. Des individus aux yeux absorbés y montaient ou en descendaient d’une pirouette. « Un phénomène ne peut se développer avec une pareille rapidité, Fay. C’est contre nature. »
— « Nous ne sommes pas dans la nature, mais dans un milieu cultivé. Une culture industrielle et scientifique progresse selon une raison géométrique. Chaque pas en avant est multiplié par un coefficient n. La progression est plus que géométrique, elle est même exponentielle. Confidentiellement, le chef mathématicien de la Miniaturisation m’a indiqué que la courbe de croissance ascendante évolue rapidement de la puissance quatre vers la puissance cinq. »
— « Cela veut-il dire que l’essor se développe avec une telle rapidité que, si nous n’y prenons garde, la tête du convoi aura bientôt rattrapé la queue ? » demanda Gusterson. « Ou simplement qu’il se perd dans l’infini ? »
— « Exactement. Bien entendu, la plus grande partie de la dernière puissance et demie est due au pense-bête lui-même. Il a déjà éliminé l’absentéisme, l’alcoolisme et l’aboulie dans de nombreuses régions urbaines – et ce point ne constitue qu’une seule lettre de l’alphabet ! Si, dans six mois, le pense-bête ne nous a pas transformés en une nation de génies dont la mémoire photographique engendre un flot continu d’inventions, je m’engage à retourner vivre à la surface. »
— « Il suffirait, selon toi, que les gens se promènent dans la vie avec des yeux vitreux, en écoutant les radotages que cet engin leur glisse dans le tuyau de l’oreille, pour que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes ? »
— « Gussy, tu es incapable de reconnaître le progrès, alors qu’il te crève les yeux. Le pense-bête est la plus grande découverte de tous les temps, depuis l’invention du langage ; le plus grand instrument jamais conçu pour intégrer l’homme à toutes les circonstances de son environnement. Suivant le processus actuel, tout nouveau pense-bête est soumis au service de la défense gouvernementale et civile aux fins de programmation primaire, ensuite au patron de l’intéressé, puis à son docteur-psychiatre, puis à son chef d’îlot, et enfin à lui-même . Tout ce qui est nécessaire au bien-être de l’homme est enregistré sur ses bobines. L’efficacité est multipliée selon un coefficient correspondant au cube de sa puissance originelle ! Entre parenthèses, la Russie possède actuellement le pense-bête. Nos satellites-espions ont réussi à le photographier. Il est identique au nôtre, sauf que les communistes le portent sur l’épaule gauche… Mais ils ont deux semaines de retard sur nous au point de vue du développement, et ils ne pourront jamais nous rattraper ! »
Gusterson dégagea son visage du téléphone pour aspirer une goulée d’air. À un mètre de lui, une fille à la lèvre boudeuse, à la silhouette de sylphide, fut prise d’une contraction spasmodique, puis elle fouilla dans son sac et en tira une pastille qu’elle glissa dans sa bouche.
— « Par l’enfer, je m’aperçois que le pense-bête n’a pas encore tout résolu, » remarqua Gusterson en replongeant son visage dans le petit auvent privé qu’il partageait avec Fay. « Pourquoi le médecin qui traite cette fille n’a-t-il pas réglé le régulateur mental de son pense-bête de telle sorte qu’il se charge de lui injecter les médicaments appropriés ? »
— « C’est probablement que le docteur en question estime que l’absorption des pilules constitue pour elle une discipline salutaire – ou un exercice profitable, » répondit Fay volubilement. « Fais bien attention, maintenant. C’est ici que nous bifurquons. Je vais t’emmener à la Miniaturisation. »
Un ruban de trottoir roulant se sépara de la bande principale et vira dans une courte allée. C’est à peine si Gusterson s’en rendit compte lorsqu’il traversa la jonction à vitesse constante. Puis le ruban secondaire prit de la vitesse, les entraînant à une allure de 9 mètres-seconde vers un mur de ciment au pied duquel aboutissait l’allée. Gusterson se préparait à sauter, mais Fay le retint d’une main et, de l’autre, tourna vers le mur une plaque et un bouton. Lorsqu’ils furent à trois mètres du mur, celui-ci s’effaça sur le côté, puis se referma derrière eux avec une telle rapidité que Gusterson se demanda un moment si le fond de son pantalon et ses talons étaient encore à leur place.
Fay, ramassant sa plaque et son téléphone portatif, glissa le bouton dans la poche de veste de Gusterson. « Tu t’en serviras en sortant, » dit-il. « Si toutefois tu sors. »
Gusterson qui s’efforçait de déchiffrer les affiches « Ce qu’il faut faire » et « Ce qu’il ne faut pas faire », apposées sur les murs le long desquels ils passaient, s’apprêtait à examiner cette dernière proposition de caractère sinistre, mais à ce moment précis, le ruban ralentit, une porte s’ouvrit et se referma derrière eux, et ils se retrouvèrent dans une pièce à penser luxueusement meublée, mesurant bien deux mètres quarante sur un mètre cinquante.
— « Hé, pas mal du tout, » dit Gusterson d’un ton admiratif, afin de bien montrer qu’il n’était pas un paysan mal dégrossi. Puis, faisant appel à des connaissances qu’il avait acquises à l’occasion de recherches entreprises pour la composition d’un roman historique : « Mais cette pièce est au moins aussi grande qu’un compartiment de wagon Pullman ou que la cabine du second au cours de la guerre de 1812. Il faut vraiment que tu sois haut placé ! »
Fay hocha la tête, sourit faiblement et s’assit avec un soupir sur un fauteuil pivotant rembourré avec excès. Il demeura les bras ballants et laissa tomber sa tête sur sa cape gonflée au niveau de l’épaule. Gusterson le regardait fixement. C’était la première fois, à sa souvenance, qu’il avait vu le petit homme trahir de la fatigue.
— « Le pense-bête offre un sérieux inconvénient, » reprit Fay. « Il pèse quatorze kilos. On le sent, lorsqu’on est resté debout pendant deux heures. Sans aucun doute, nous allons le munir du dispositif anti-gravité dont tu as parlé pour les grenades de poursuite. Nous l’aurions déjà introduit dans ce modèle, mais il nous fallait y incorporer tant d’autres choses. » Il soupira de nouveau. « Le système d’évaluation et de décision, à lui seul, en a triplé la masse. »
— « Hé, » protesta Gusterson qui pensait plus particulièrement à la fille aux lèvres boudeuses, « tu veux dire que tous les gens que nous avons vus transportaient quatorze kilos sur leur épaule ? »
Fay secoua lourdement la tête. « Ils portaient tous le modèle n°3 ou 4. Le mien est un n°6, » déclara-t-il du ton dont il aurait dit : « Je suis le seul à porter la vraie Croix. Les autres sont toutes en balsa. »
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