Enrico,à la recherche d’un sourire encourageant : « Pronta, amore ? »
Daniela :« Quando vuoi, Coco. »
Enrico :« Motore. »
Paolo :« Ça tourne. »
Enrico :« Quando vuoi, cara. »
Daniela :« Non è possible ! Enrico è morto ? Mamma mia ! Che miseria… ! »
Enrico,hurlant : « Coupez ! » ( Mâchoires serrées ) No “Enrico” Daniela cara… Gastone… Gastone… GAS-TO-NE !!! »
Daniela :« Ah, merda ! Sans la camera, je ne suis pas concentrée, vous n’avez qu’à me filmer en même temps ! »
Enrico,cherchant son fauteuil et dans un souffle : « Bon. Non c’è problema, chérie. Gastone. ( Un temps ) Toi qui t’appelles ( hurlant ) GAS-TO-NE !!! Tu peux filmer ça, s’il te plaît ? »
Gastone,K.-O. debout : « Ma… perchè filmer un raccordo di suono ? »
Enrico,toujours dans un souffle et au bord des larmes : « C’est comme ça, è nuovo ! On filme un raccord son, voilà. Basta. Motore. »
Paolo,halluciné : « Ça tourne. »
Enrico :« Cara Sophia, quand vous voudrez. »
Danielahurlant : « SOPHIA ! Ma che SOPHIA ?!!! C’est Sophia, la vieille peau que tu prends pour moi ? Moi, la plus giovane sex symbol de la peninsula ?! »
Enrico :« Scusi, Daniela, bellissima, sono un po fatigué, scusi veramente. ( S’adressant au cadreur ) GAS-TO-NE… motore… »
Clapman,essayant de ne pas rire : « Un po di amore. Raccord son filmé. »
Enrico :« Daniela, quando vuoi. »
Daniela :« Non è possibile. Gastone è morto ? Mamma mia ! Che miseria… ! »
Un long silence et soudain Enrico hurle : « Bello ! Ma la même sensazione que la première prise, con animalita, sensualita di femmine… Grazie mille, Daniela ! Andiamo per un Oscar, ma chérie ! Claudio, a che ora arriva Vittorio ? »
Claudio,encore essoufflé et dans le caviar : « Che Vittorio ? »
Enricoau bord de l’infarctus : « GASSMAN ! Assistante di merda, di una totale deficienza de mes couilles ! »
Claudio :« Scusi, Dottore… Il Dottore Gassman arrive dans un quart d’heure. »
Enrico :« Gastone, on va préparer le plan suivant : quando Gassman, qui joue le rôle de Gastone… Capito ?!… entre brusquement dans la chambre en disant… Dov’è la scripte ? Monica ! MONICA, merda ! Ah ! Monica, qu’est-ce qu’il dit, Vittorio ? »
Monica,au bord de la crise de nerfs : « Non lo so et je m’en fous ! »
Paolotoujours accablé et dans un souffle : « Il dit : “Coucou, mon amour.” »
Enrico :« Il dit coucou mon amour. Va bene, Gastone ? »
Gastone :« Si. »
Enrico :« Allora, quando Vittorio Gassman entre, on le prend en haut de l’escalier, la caméra recule piano piano. »
Gastone,à l’oreille d’Enrico : « Qu’est-ce que c’est sur la peau di Daniela ? »
Enrico :« Quoi ? Je ne sais pas. »
Gastone,en prenant le viseur : « Ma veramente un sedimento vulcanico ! »
Enricos’approchant discrètement de Daniela et lui glissant à l’oreille : « Daniela, amore mio, che hai sulla pelle ? »
Daniela :« Che ? Oh, niente, toujours un po di eczema sulla pelle dopo caviar. »
Enrico,ailleurs : « Toujours… un po di pelle sul eczema… un po… di pelle… sul eczema… ? »
Daniela :« Enrico, niente problema, dans une heure c’est fini. »
Enrico,toujours anéanti : « Ma, on tourne la scène du baccio dans une demi-heure ! »
Daniela :« Calmati, on s’arrangera avec Gastone. »
Enrico,sursautant : « Gastone ? Che Gastone ? »
Daniela :« Le cadreur ! À propos, Enrico, pour le baccio, la scena di amore, il faut que je fume une Marlboro. »
Enrico,brusquement affolé : « Ma tu vas pas sortir une Marlboro quand l’uomo que tu crois morto entre dans ta chambre ? »
Daniela :« E perchè no ? J’ai un contrat con Marlboro. E molto facile, je crois que c’est un miraggio alors je prends una cigaretta. »
Enrico,souriant, tout en grinçant des dents : « Ma è un film, un vero, pas una publicità ! C’est… »
Soudain, ils sont interrompus par un appel venant de l’extérieur.
« Leone ! Vieni subito ! Leone, vieni subito ! Al 3, subito ! Leone… vieni ! Leoooneee !!!! »
Enrico,fou de rage : « Stronzi !! Leone e morto ! Leone e morto… ! Vous êtes cons ou quoi ? ( Un temps très long, Enrico s’assied lourdement, épuisé, éteint ) Gastone, che ora è ?
Gastone :« 19 heures. »
Enrico :« La regia démonte le décor à 20 heures, merda di merda ! Gassman è pronto ? »
Gastone :« Oui, je l’ai vu. »
Enrico :« Speriamo… À propos, personne n’a apporté pour moi un bouquin d’Audiard, La Nuit, le jour et toutes les autres nuits ? »
Fernando :« Non, on me l’aurait dit. »
Daniela :« Alors, on la fait cette scène du baccio ? »
Enrico,cette fois entre la rage et le coma : « Si, carina, subito. Con una grande surprise de voir ton amant que tu crois mort. N’oublie pas de cacher tua pelle vulcanica, prego. Et pendant que tu y es, allume-moi nerveusement deux ou trois Marlboro, range le paquet dans ton décolleté mais surtout pas trop, pour qu’on le voie bien le paquet. Ah, Vittorio ! Com’è va ? Bene ? Allora, azione. SUBITO. »
✩
Elle fait peur, Lili Brik, la petite statuette aux yeux bleus. Je lui suis présenté sur les marches de l’hôtel Ukraïna à Moscou, quelques hommes l’entourent, respectueux, protecteurs.
Je reviens de Tachti-Bratsk. Bratsk le port sans mer, Bratsk de Sibérie, Bratsk de février, février de Sibérie, Sibérie de — 40 °C, qui ensanglante les lèvres des clowns dont je suis, ignorant la présence d’un copain de lycée, à quelques kilomètres de là, à Tachti, près de Bratsk, lui enchaîné la nuit, moi maquillé le jour.
En m’inclinant devant la petite statuette aux yeux livides, j’ai l’impression de m’incliner devant l’Union soviétique tout entière. Car elle sait, la séduisante et terrifiante petite dame, elle connaît, elle cautionne — le bruit court qu’elle a fait partie de la Tcheka, maman de la Guépéou aux mains rouges. Le Kremlin, elle a un double des clefs, nous sommes en 1958, elle trouve Khrouchtchev mollasson.
Ah, Staline ! Petit Père des peuples, c’était autre chose, il en faisait, du gâchis, afin que l’« homme nouveau » voie le jour. Vingt-cinq millions emprisonnés, fusillés, affamés, car il était aussi le maître des famines, le Petit Père, il voulait savoir combien de temps ça tient, le Slave cyclothymique, avant de devenir l’« homme nouveau ».
L’« homme nouveau » ! Enfin identique à l’homme de pierre ou de bronze provisoirement immobile que l’on voit à tous les coins de rue, tirant charrue, bouquin sous le bras, et fixant l’horizon ; à ses côtés, la « femme nouvelle » étreint en souriant l’omniprésente gerbe de blé, preuve tangible qu’un jour on cassera la croûte.
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