Darkos se penche vers son père.
- Il ne voit pas très bien de loin, ils sont tous comme ça dans sa famille, explique-t-il à son père qui le fusille du regard. On n'explique pas à Maltazard. Darkos l'avait un instant oublié. Il recule d'un pas, et baisse la tête, en guise d'excuses.
- Il n'y a pas une chose que Maltazard ne sache pas. Je suis la connaissance et, contrairement à toi, ma mémoire est sans limites et sans faille ! lui balance son père, dans un excès d'autorité.
- Excusez-moi, père, pour ce moment d'égarement, lui répond son fils, saisi par la honte.
- Envoyez ! hurle Maltazard à l'adresse de Mino.
La petite taupe sursaute, hésite sur le manche à prendre, puis tire finalement sur celui qu'elle avait préparé. Un mécanisme se met alors en marche, un système compliqué qui fonctionne à l'aide d'engrenages, de cordes et de poulies.
- Je suis tellement content de le savoir en vie ! souffle Bétamèche, la mine réjouie.
- Quand tu travailles pour Maltazard tu n'es pas en vie, tu es juste en sursis ! lui répond Archibald, qui sait de quoi il parle.
Le mécanisme finit par ouvrir une petite trappe, tout en haut de la galerie.
Une ouverture qui donne directement vers l'extérieur. Un rayon de soleil pénètre aussitôt, formant un puits de lumière. Il illumine instantanément le sommet de la pyramide, formé par un rubis plus gros que les autres. Les faces judicieusement orientées renvoient la lumière, devenue rouge, à d'autres rubis qui vont transmettre à leur tour leur faisceau. C'est comme si la pyramide s'éclairait peu à peu, en partant du sommet vers la base, d'une délicieuse lumière. Un bordeaux lumineux, comme un sang translucide qui traverserait des veines de cristal.
Le spectacle est magnifique et nos amis, malgré leur situation précaire, semblent l'apprécier.
Le rayon termine sa course en éclairant le dernier rubis, celui dans lequel Maltazard a eu la mauvaise idée de tailler son trône.
Son corps tout entier s'illumine comme une apparition divine.
Une clameur monte au-dessus des armées. Quelques-uns des soldats en tombent même à genoux. C'est le genre de tour de magie qui impressionne toujours les âmes les plus faibles et Maltazard, en bon dictateur, connaît bien toutes ces ficelles.
Il n'y a qu'Archibald, en vieux scientifique, qui ne soit guère impressionné.
Amusé, tout au plus.
- Alors Archibald ! Êtes-vous fier de l'utilisation que l'on fait de vos connaissances ? demande Maltazard qui n'attend qu'une seule réponse.
- C'est très joli ! Ça ne sert pas à grand-chose, sauf à vous mettre un peu de rouge sur les joues, mais c'est très joli, lui répond le grand-père.
Le prince des ténèbres se raidit, mais décide de ne pas se vexer.
- Vous préférez sans doute mon nouveau système d'irrigation ? dit-il avec ironie.
- C'est effectivement très malin et bien réalisé, avoue Archibald, dommage que l'utilisation première en ait été modifiée !
- Comment ! Le but n'est-il pas de transporter de l'eau ? demande Maltazard, faussement naïf.
- Transporter de l'eau, effectivement, pour irriguer les plantes et rafraîchir les hommes, mais pas pour les inonder ! précise le scientifique.
- Pas seulement les inonder, mon cher Archibald, nous allons aussi les noyer, les pulvériser, les liquéfier, les zigouiller, les anéantir à tout jamais, spécifie Maltazard, au comble de l'excitation.
- Vous êtes un monstre, Maltazard ! lui dit calmement le vieil homme.
- Je sais, votre belle-fille me l'a déjà dit ! Et vous, qui êtes vous ? De quel droit déviez-vous la nature du chemin qu'elle s'est tracé ? Qui êtes-vous pour prétendre que la nature a besoin de vos inventions pour être meilleure ? Archibald demeure sans voix. Maltazard a marqué un point.
- Vous voyez, c'est ça le problème avec vous, les scientifiques, vous inventez des choses sans même prendre le temps d'en étudier les conséquences ! se plaint Maltazard. La nature met des années avant de prendre une décision. Elle fait pousser une fleur et la teste pendant des millions d'années avant de savoir si elle a sa place dans la grande roue de la vie. Vous, vous inventez et aussitôt vous vous proclamez « génie » et gravez votre nom sur les pierres du panthéon de la science ! Maltazard laisse échapper un rire moqueur.
Darkos aussi, pour imiter son père, même s'il n'a rien compris à la phrase.
- C'est tellement prétentieux ! ajoute le dictateur, avec mépris.
- La prétention est dangereuse mais pas mortelle, mon cher Maltazard. Heureusement d'ailleurs, sinon vous seriez déjà mort mille fois par jour, lui lance Archibald.
Le souverain encaisse à nouveau. Mais ces insultes déguisées commencent à lui peser.
- Je prends ça comme un compliment, car la prétention est nécessaire à tout grand souverain ! rectifie Maltazard.
- Etre souverain n'est qu'un titre, il faut savoir aussi se conduire comme tel, savoir être bon, juste et généreux, affirme Archibald.
- Quel portrait ! On dirait moi tout craché ! plaisante Maltazard. Darkos ricane, pour une fois, il a compris la blague.
- Et d'ailleurs je vais vous prouver que je peux être bon et généreux... Vous êtes libre ! annonce-t-il, en accompagnant ses dires d'un grand geste théâtral.
Quelques séides soulèvent la grille qui obstruait la canalisation principale. Celle qui mène directement au village minimoy et vers laquelle sont braquées toutes les pailles. Archibald a compris le piège avant les autres.
- Vous nous offrez la liberté et la mort qui va avec ? demande Archibald, conscient du danger.
- Offrir deux choses à la fois, n'est-ce pas une marque de générosité ? répond Maltazard, toujours aussi sadique.
- À peine serons-nous au milieu du chemin que tu verseras sur nous des tonnes d'eau ! s'exclame la princesse qui vient de comprendre.
- Tu devrais penser un peu moins, Sélénia, et courir un peu plus ! rétorque le maître des lieux.
- À quoi bon courir si on a une chance sur un million de s'en sortir ? ajoute la princesse.
- Une chance sur un million ? Je te trouve un peu optimiste. Je dirais, une chance sur cent millions ! précise-t-il avec humour. Mais c'est mieux que rien, non ? Allez !.. bon voyage ! Maltazard lève à nouveau le bras, comme il peut, et fait signe à ses séides de les pousser dans le tuyau. Pendant que Bétamèche se met à trembler comme une feuille, Arthur a enfin trouvé l'idée qu'il cherchait.
- Puis-je demander à Votre Grandeur sérénissime une dernière faveur avant de mourir ? Une toute petite faveur qui ne ferait que mettre en lumière la bonté extrême de votre majesté ! dit-il pompeusement en se courbant comme un esclave.
- Il me plaît bien ce petit-là ! avoue Maltazard, toujours sensible à la flatterie. Quelle est donc cette faveur ?
- J'aimerais léguer ma seule richesse, ce bracelet, à mon ami Mino, ici présent.
La petite taupe est toute surprise de l'intérêt subit que tout le monde lui porte, surtout ce jeune garçon qu'il ne connaît pas du tout.
Maltazard regarde la petite montre qu'Arthur exhibe sous son nez.
Le maître a beau flairer, il ne sent pas de piège là-dessous.
- Accordé ! finit-il par lancer.
Les séides se mettent à applaudir devant la générosité, enfin mesurable, de leur maître.
Pendant que Maltazard se laisse griser par les applaudissements et les flatteries de son entourage, Arthur file jusqu'à Mino.
- C'est ton père qui m'envoie ! lui glisse-t-il à l'oreille.
Il enlève sa montre et la passe au poignet de la petite taupe.
- Quand je serai dehors, il faut que tu te débrouilles pour m'envoyer un signal, afin que je sache où se trouve le trésor ! Tu enverras le signal à midi précis ! C'est clair ? lui demande Arthur, pressé par le temps.
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