Arthur regarde, ébahi, le spectacle de la ville tout entière qui se réveille. Des dizaines de Minimoys qui apparaissent de partout, descendent des plus hautes branches en glissant le long des lianes, d'autres en empruntant des toboggans qui les amènent directement au centre-ville. Tout le monde prononce son nom et la rumeur se propage plus vite qu'un rond dans l'eau. À chaque fois que le nom d'Arthur est scandé, c'est un visage qui s'allume. Les enfants hurlent de joie, les parents battent des mains et tout ce petit monde se dirige au pied du palais, aux pieds d'Arthur.
Le gamin pleure comme une madeleine, en précisant qu'on ne parle pas ici du gâteau, qui a bien souvent cramé mais jamais pleuré. Comment ne pas fondre devant un tel accueil, un tel débordement de joie et de bonheur ? Lui qui avait peur qu'on l'oublie ne peut que constater à quel point il est resté présent dans la mémoire de ces petits hommes. Même à l'école, quand Arthur revenait des grandes vacances, ses meilleurs amis ne l'accueillaient pas comme ça, bien au contraire. Le temps des vacances marquait toujours une distance et chacun se reniflait avant de copiner à nouveau. Ce n'est pas le cas chez les Minimoys et chacun vient se jeter au cou d'Arthur avec autant de bonheur qu'une puce qui tombe sur un chien. L'un d'entre eux fend la foule avec ardeur et se jette littéralement sur Arthur, qui en tombe à la renverse.
- Bétamèche ?! réalise Arthur en découvrant la frimousse de son agresseur.
- Arthur, c'est bien toi !! postillonne le petit bonhomme, ivre de bonheur.
Les deux amis se serrent fort l'un contre l'autre et font quelques roulades sur le sol, comme deux lionceaux qui se chamaillent joyeusement. Tout ça ressemble fortement à du bonheur.
- Mais où étiez-vous tous ?! J'étais tellement inquiet !! finit par demander Arthur.
- Ben... on dormait ! T'as vu l'heure qu'il est ? lui répond Bétamèche, en lui montrant le sablier qu'il a au poignet. C'est vrai que le village est sous terre, il n'est donc pas toujours évident de savoir l'heure qu'il est, mais vu qu'Arthur est passé par les lianes aux environs de minuit et que la balade en coccinelle n'a pas duré plus d'une heure, on est donc effectivement en pleine nuit.
- Mais qui donc a l'audace de me réveiller en pleine nuit ?! proteste le roi de sa voix rauque, confirmant ainsi l'heure tardive.
Le bon roi n'a pas eu le temps de monter sur son Mogoth. Il est donc un peu ridicule, avec ses petites jambes à l'air. De plus, son short bouffant, en feuilles d'acacia, est des plus grotesques. Mais il ne viendrait à l'idée de personne de se moquer de lui. D'abord parce qu'on ne se moque jamais du roi, ensuite parce que tous les Minimoys portent ce genre de short ridicule. Par contre, tout le monde ne peut pas se payer une matière pareille, puisque la feuille d'acacia est considérée comme précieuse. Probablement parce que l'arbre perd rarement ses feuilles et qu'il est donc rare d'en trouver sur la Septième Terre.
Quoi qu'il en soit, le roi se frotte les yeux, se secoue comme un chien qui serait tombé à l'eau et réitère sa question :
- J'ai dit : qui a eu l'audace de me réveiller ?! crie-t-il un peu plus fort, afin d'être entendu.
Bétamèche tourne la tête et aperçoit son père.
- C'est Arthur, papa ! Regarde ! lui répond son fils, la mine réjouie, en poussant son camarade vers le palais.
- Arthur ?! balbutie le roi, qui s'inquiète soudain de sa tenue. Excuse-moi, je... je ne suis pas très présentable, mais... que viens-tu faire ici en pleine nuit ? demande le roi, un peu déboussolé.
Arthur se sent mal à l'aise, tout d'un coup. Il vient de réveiller un village entier qui dormait paisiblement et qui semble en pleine forme. Il n'a pourtant pas inventé ce grain de riz et cette araignée qui le suivait partout ?
- Un grain de riz ? interroge le roi. En voilà une drôle d'idée ! L'idée est tellement drôle que tout le monde se met à rire. Ils sont comme ça, les Minimoys. À la moindre occasion, ils rient comme des baleines ; à la moindre contrariété, ils pleurent comme des fontaines.
- Les Minimoys n'écrivent que sur des feuilles, mon jeune garçon, précise le roi, avec un soupçon de snobisme dans la voix. Feuilles de chêne pour les grandes lois, feuilles d'érable pour les pensées et les dictons, feuilles de tilleul pour les recettes de cuisine, feuilles de bouleau pour les notes de service...
- Feuilles de charme pour les messages coquins ! le coupe Bétamèche, avec un sourire espiègle. Mon père a la plus belle collection de feuilles de charme et...
- Euh... oui, bon ! Il a compris, je crois ! intervient le roi qui ne veut pas que la conversation dérive sur des sujets aussi délicats.
Les Minimoys, on l'aura compris, ont une feuille pour chaque usage. La feuille de platane pour les rapports d'accidents, la feuille de frêne pour les condamnations, la feuille de peuplier pour les problèmes sociaux, la feuille de chou pour les faire-part de naissance et l'aiguille de sapin pour les condoléances... mais arrêtons là cette liste sans fin. Le roi se tourne vers Taag, Hermit de son prénom, écrivain officiel du royaume et peintre à ses heures.
- Ecrire sur un grain de riz ? Tu entends ça, Taag ? Pourquoi pas écrire sur les murs aussi ? plaisante le roi, décidément de bonne humeur malgré l'heure avancée.
Taag n'a pas l'air choqué et l'idée lui paraît même intéressante.
- Je pense que quelqu'un t'a fait une mauvaise blague, mon bon Arthur ! conclut le roi en tapotant l'épaule de ce jeune homme, décidément trop naïf.
Arthur est un peu perdu. Personne, à l'évidence, n'a pu écrire ce message de son côté à lui. Archibald n'a pas ce genre d'humour, Marguerite est trop occupée à faire le ménage, sa mère trop miro pour écrire si petit et son père pas assez patient pour écrire quoi que ce soit. Il ne reste guère qu'Alfred. Arthur ne tarit pas d'éloges sur son chien et le sait capable de choses incroyables, mais de là à graver un grain de riz ! De plus, ce n'est pas son écriture. Si ce n'est personne du dessus, c'est donc forcément quelqu'un du dessous.
Chapitre 14
- Sélénia ?! s'écrie tout à coup le jeune homme. Elle est la seule absente. La seule donc à être en danger. Quoi de plus naturel pour une princesse en péril que d'essayer de prévenir son prince ? Tout prend maintenant un sens et Arthur commence à s'affoler.
- Où est-elle, sire ?! Sélénia ?! Où est-elle ?! demande Arthur avec insistance.
- Eh bien... probablement dans sa hutte ! répond simplement le roi.
- Non ! entend-on résonner dans la foule.
Tout le monde se retourne pour identifier celui qui parle de cette petite voix douce comme un poème, sage comme un vieux chêne. Arthur se décale un peu pour apercevoir ce personnage qu'il pense déjà avoir reconnu. C'est bien Miro, la petite taupe. Il est affublé d'un bonnet de nuit en forme de corne de brume et d'un short encore plus rigolo que celui du roi. On dirait qu'il porte des couches-culottes, ce qui est fort peu probable vu son âge. Il est effectivement encore très jeune. Miro fend la foule et vient prendre les mains d'Arthur.
- Je suis tellement content de te revoir, mon jeune Arthur, lui dit le sage, un beau sourire sur le visage. Nous t'attendions un peu plus tôt dans la salle des passages.
Arthur s'en excuse et explique toute son aventure jusqu'à ce maudit nuage qui ne voulait rien savoir ni comprendre. Il raconte aussi comment il est passé à travers les racines et a dû rejoindre le village à dos de coccinelle.
Miro sourit. Il doit l'aimer sa princesse pour être capable d'en supporter autant.
- Où est Sélénia ? demande Arthur, toujours préoccupé.
- Elle était déçue de ne pas te voir, au pied du rayon, lui confie Miro.
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