— Je saisis pas trop, là, intervint Verny. C’est pas du tout ce qu’on s’attendait à…
Le flic se tourna vers lui :
— Lieutenant-colonel, j’ai l’impression que vous comprenez pas la situation et j’ai pas les mots pour vous l’expliquer en douceur. Alors voilà : on reprend tout de zéro.
La chambre qu’on leur avait allouée était identique à celle de Wissa, avec une salle de bains en prime.
— Asseyez-vous.
Erwan avait demandé à Le Guen et Verny de les suivre. Les corbeaux attrapèrent les chaises derrière les bureaux et s’installèrent côte à côte, l’air remonté. La pluie frappait toujours les vitres, ciselant le temps en très fines unités.
— J’ai pas encore lu vos PV mais je suis sûr qu’ils sont nickel. Simplement, il y a mort d’homme. Un accident ou autre chose. On ne doit rien exclure. Pas même un meurtre avec préméditation.
Le Guen se dressa sur son siège :
— Mais d’où vous sortez des conneries pareilles ?
— C’est mon métier. Wissa était peut-être déjà mort quand on l’a placé dans le bunker. Peut-être savait-on que le Rafale allait frapper ce site. Un bon moyen pour effacer toute trace du crime.
— Personne ne pouvait connaître la cible avant la manœuvre, répliqua le gendarme.
— On va s’en assurer. Ce qu’il nous faut maintenant, ce sont des renforts. Où sont basés vos TIC ?
— Nos quoi ? demanda le Homard.
— Techniciens en identification criminelle, lui souffla Verny avant de répondre à Erwan : À Rennes. Je pense qu’ils pourront être là demain.
— Ce soir. Je veux entre autres un spécialiste paluches et moulages.
— On a un ANACRIM.
— Très bien. On pratiquera aussi des relevés organiques. Qu’ils se mettent au boulot cette nuit. D’abord la chambre de Wissa. Demain matin, Sirling. Vous avez des experts capables de bosser sur des sols mouillés ou même dans la flotte ?
— Des techniciens en investigation subaquatique, oui.
— Dites-leur d’apporter une pompe. Je veux draguer le trou creusé par le missile.
Le gendarme s’agita. Erwan arpentait la pièce, mains dans le dos, imitant malgré lui le colonel Vincq :
— Pour Wissa, Kripo s’occupera des fadettes mais il lui faut des petites mains. Combien de gendarmes pouvez-vous réunir avant demain matin ?
— Une dizaine.
— Parfait. Je veux aussi décrypter toutes les communications de la région. Tous les relevés des antennes relais du coin.
Verny siffla malgré lui. Erwan secoua la tête :
— Dans la lande, il doit pas y avoir eu un max d’appels.
— Et la réquise, pour les compagnies ?
— Le parquet la signera. On bénéficie du délai de flagrance et pendant une semaine, on a les mains libres. Pour l’ordinateur, vous avez quelqu’un de valable ?
— Un N’tech. Le meilleur de Bretagne.
N’tech pour « nouvelles technologies ». Erwan connaissait le jargon des gendarmes.
— Il est basé à Brest, continua Verny. S’il est pas en vacances, il peut être là avant ce soir.
— S’il est en vacances, trouvez-en un autre. On doit attaquer l’analyse de l’ordi dans les prochaines heures. Il décryptera les données, un de vos hommes les référencera et notera tout ce qui peut nous informer sur les relations de Wissa, ses goûts en matière de sexe et du reste.
— Pourquoi de sexe ? sursauta Le Guen.
— Parce que Internet est la plus grande machine à se branler que l’homme ait jamais inventée. Satisfait ?
— Je vois pas le rapport avec sa désertion.
— Arrêtons avec ça : ce scénario ne tient pas debout. Il n’y a aucune raison de penser que Wissa, passionné par sa formation de pilote et qui n’avait pas l’air spécialement trouillard, ait pris la mer pour éviter de faire des pompes ou de manger des croquettes pour chien. Sans compter tous les détails concrets qui ne collent pas.
Les gradés hochèrent la tête. On n’en parlerait plus.
Erwan se pencha vers eux, les mains en appui sur ses genoux, très coach sportif :
— Maintenant, vos missions spécifiques. Verny, vous envoyez un groupe du côté de l’embarcadère pour éclaircir cette histoire de bateau. Des gens vivent là-bas ?
— Des touristes. Des pêcheurs aussi, mais ils sont sans doute en mer.
— Faites-les rentrer. Ils ont des femmes, des enfants ?
— La plupart, oui.
— Je veux les PV avant demain soir. Appelez aussi la capitainerie de Kaerverec. Ils ont peut-être les moyens de savoir qui est sorti en mer cette nuit-là.
— J’en suis pas sûr.
— Eh bien, renseignez-vous ! Je veux aussi connaître la météo. Savoir si un bateau pouvait facilement accéder à Sirling. Le Guen, vous prenez deux gars avec vous et vous visionnez les bandes de vidéosurveillance de la base depuis vendredi.
Le Breton changea d’expression, jetant un regard en loucedé à Verny.
— Un problème ?
— Y a une tradition… Durant le bizutage, on coupe les caméras.
— Je le crois pas, ça, murmura Erwan. Pas de surveillance pendant quarante-huit heures ? Sur un terrain abritant des appareils militaires ?
— Les zincs sont à l’abri dans des hangars verrouillés et officiellement, les cours ont pas commencé. C’est une tolérance et…
— Vous avez peur d’enregistrer les saloperies de vos Renards ?
— C’est le contraire ! s’offusqua Le Guen. On veut protéger l’honneur des débutants ! Si jamais y en a un qui craque, autant pas laisser de traces.
Erwan eut un geste d’épuisement :
— Alors grattez sur Wissa. Retournez la moindre de ses affaires. Fouillez son passé. Famille, santé, études, amis, quotidien au Mans, origines en Égypte, personnalité…
— Mais… qui je peux appeler… ?
— Démerdez-vous. Ses parents le décrivent comme un solitaire passionné, ils ne savent sans doute pas tout. Vérifiez s’il avait une fiancée, des hobbys, des obsessions, des ennemis. Je veux savoir aussi s’il avait une expérience de marin.
— Je pensais que vous ne croyiez pas à cette version.
— Combien de fois je dois vous le répéter ? Je ne crois rien : je suis là pour trouver ! Quand Archambault rentrera de l’autopsie, briefez-le. Qu’il vérifie le pedigree de chaque élève. Je veux une fiche sur tous les gars qui ont participé à cette putain de nuit.
— Et pour les frais ? demanda soudain Verny.
— Vous rédigez un mémoire au nom de la gendarmerie, on rédigera les nôtres au nom de la BC. C’est une cosaisie. Tout sera remboursé par le TGI de Rennes. Vous avez prévu un bureau pour nous ?
— C’est-à-dire…
— Pas de problème, coupa Erwan en ouvrant son sac et en posant son ordinateur sur une des tables. On sera très bien ici. Procurez-nous des planches, des tréteaux, des prises multiples. Vos gars s’installeront aussi dans l’école. Tout le monde dort ici jusqu’à la fin de l’enquête. On ne sortira de ces murs que lorsqu’on connaîtra l’exacte vérité. Ça vous va comme ça ?
Ils se levèrent sans répondre. Leur visage verrouillé pouvait passer pour un oui.
— Il est 16 heures, fit le flic en regardant sa montre. C’est l’heure du pilote, non ?
D’après les informations qu’on lui avait transmises, le capitaine Philippe Ferniot, trente-huit ans, chef de patrouille depuis 2009, actuellement chef de l’escadron de chasse Gascogne, totalisait vingt-cinq missions de guerre, mille huit cents heures de vol, dont mille cent sur Rafale. Le héros l’attendait dans la pièce qu’on avait allouée aux enquêteurs venus de Paris. Un réfectoire impersonnel ponctué de longues tables et d’un paperboard aux pages froissées.
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